Papillons de nuit – Jane Hennigan

Les dystopies fleurissent actuellement, et s’y rajoutent plus régulièrement encore des histoires de pandémie. Qu’est-ce qui permet alors à ces Papillons de nuit de Jane Hennigan de sortir du lot ? De nombreuses qualités, clairement.

Insistons déjà sur le fait que l’autrice a achevé l’écriture de son premier jet au moment où commençait seulement à se répandre le COVID. Étrange concours de circonstances, qui montre surtout que ce livre n’a pas été écrit pour surfer sur cette vague anxiogène. D’autant plus que la singulière épidémie, qui sert de socle à l’histoire, n’est qu’un moyen et non une finalité pour la raconter.

Les hommes dans des cocons

Imaginez un monde où des papillons toxiques se multiplient et rayent presque les hommes du monde, en les rendant fous sanguinaires (et donc à abattre) où en les tuant en quelques jours seulement. Les hommes, pas les femmes, protégées, elles, grâce à leur système humanitaire qui réagit plus rapidement contre l’agression.

Le roman se situe quelques décennies après, avec des flashbacks réguliers vers le début de la crise.

Le monde s’est presque effondré, mais tient dorénavant debout à travers des systèmes matriarcaux. Les hommes sont enfermés, protégés de l’agression extérieure, comme dans des cocons. Le monde s’est adapté, tant bien que mal.

A l’envers

Le récit navigue entre plusieurs eaux, déjà développées par d’autres auteurs par le passé, mais avec suffisamment de conviction et de maîtrise pour en faire une lecture vraiment prenante.

La pandémie ne sert donc bien qu’à développer le contexte et renverser la table. Inverser les pôles. Dans une société (ici anglaise) qui a inventé de nouvelles règles de fonctionnement, à l’instar d’une sorte de Servante écarlate à l’envers. Mais c’st bien plus compliqué que ça, ici il n’est pas question de religion. Hommes encagés, hommes objets…

Du neuf avec un peu de vieux, en somme, mais quand c’est fait avec habileté, imagination et fine observation de l’humain, le résultat fonctionne à plein.

Bien pensé

Le roman est relativement court, 340 pages, se focalisant sur quelques personnages, pour mieux faire vibrer les émotions. Principalement Mary, arrivée à un âge où elle serait déjà à la retraite de nos jours, mais travaillant toujours au sein d’un « institut » pour hommes.

Elle est l’une des dernières à avoir encore le recul, à avoir connu les deux périodes avant / après le désastre. Une protagoniste septuagénaire, ce n’est vraiment pas si commun.

L’autrice m’a bluffé, elle a réfléchi avec soin son univers, les conséquences, les évolutions et les dérives possibles. Sans en faire des tonnes, en amenant ses idées par petites touches, au fil des pages, rendant d’autant plus crédible cette société réinventée. A cause d’une révolution génétique ayant donné vie à un paradigme antinomique à nos sociétés actuelles, encore bien trop patriarcales.

Vertigineux

Et cette idée est vertigineuse. Il y avait sans doute la place pour en faire un roman fleuve, mais Hennigan a préféré parler d’histoires personnelles pour mieux faire comprendre les impacts, au sein d’une intrigue où elle insuffle peu à peu un suspense bien vu.

J’ai été assez fasciné, autant que terrifié, par ce futur étrange, la manière dont le passé a été balayé. Grâce au talent d’une primo romancière qui a sacrément bien pensé son affaire, et ne tombe pas dans des pièges trop faciles. Une vraie raconteuse d’histoire, avec un style qui sait happer le lecteur, tout en sensibilité. Une finesse d’approche qui est une vraie qualité, pour moi, et qui met d’autant plus en valeur les passages chocs.

Papillons de nuit est loin de survoler son sujet. Même si elle n’invente rien, Jane Hennigan propose une dystopie qui happe, questionne et fait frissonner.

Ce livre, qui se suffit sans problème à lui-même, donnera l’occasion d’une « suite », nom de code Toxxic (publié en mars 2024 en anglais). Vu la richesse de l’ambiance créée, c’est une très bonne nouvelle.

Yvan Fauth

Sortie : 30 août 2023

Éditeur : J’ai lu

Collection en grand format « nouveaux millénaires »

Traduction : Gilles Goullet

Genre : Post-apocalyptique / Dystopie

Prix : 20 €

4ème de couverture

Partout sur la Terre, les hommes meurent dans leur sommeil ou se transforment en tueurs sanguinaires. Le monde tel que nous le connaissons prend fin, tout comme l’espoir qui animait jusque-là l’humanité. Cependant, une certaine forme de société persiste et s’adapte. Bien des années plus tard, rares sont ceux qui se rappellent la vie d’avant. Mary, elle, n’a pas oublié. Hantée par les souvenirs de sa famille, de la joie qu’elle a jadis connue, elle n’a d’autre choix que de se conformer à son rôle d’aidante au sein d’un institut pour hommes. Lorsque l’occasion se présente, elle doit toutefois prendre une décision difficile. Va-t-elle s’accrocher au seul vestige du passé qui lui reste ou tout risquer au nom de l’égalité ?



Catégories :Littérature

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13 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Quand c’est bien fait et que ça pose de belles réflexions, j’adore les dystopies. Et puis, tu sais bien nous le vendre 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Franchement, c’est vraiment pas mal du tout !

  2. Le pitch évoque un peu « Sleeping beauties  » de Stephen King, je trouve…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      On pourrait effectivement le penser, mais en fait pas du tout. Les deux histoires n’ont rien à voir

  3. Tu es très loin toi aussi d’avoir survolé le sujet. Merci pour la chronique 🙏 😘

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      je ne survole pas, je creuse 😉

  4. Tant mieux si ça n’a rien à voir, je n’avais pas aimé du tout (pour une fois !)

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      moi non plus ! Lun des rares King qui me soit tombé des mains (et pourtant c’est mon idole)

  5. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Dystopie, j’adore !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      et moi donc ! quand c’est bien fait (comme ici)

Rétroliens

  1. Papillons de nuit – Jane Hennigan – Amicalement noir

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