Interview Franck Thilliez – Norferville

1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

Sortie : 02 mai 2024

Editeur : Fleuve

Lien vers ma chronique du roman

Norferville est une ville fictive, mais presque tout ce que tu décris existe bel et bien…

Norferville est en effet une pure invention, mais elle ressemble très fort à une ville qui existe dans le Grand Nord québécois, et qui s’appelle Schefferville. J’ai fait beaucoup de recherches sur Schefferville, j’ai même été en contact, via les réseaux, avec des habitants qui m’ont donné des infos purement techniques sur, par exemple, la nourriture locale, l’ambiance, la manière d’appréhender l’hiver… C’est une vie très particulière là-bas, loin de tout, et il fallait que je m’imprègne de cette atmosphère. Je suis déjà allé 3 semaines au Québec, un peu vers le Nord, mais jamais aussi loin : atteindre Schefferville demande environ 13 heures de train depuis Sept-Îles (seule moyen de transport possible, il n’y a pas de route !), qui est déjà elle-même à 10 heures de voiture de Montréal ! Autant dire, le bout du monde.

J’ai créé Norferville, ainsi que la réserve Innue enclavée dans la ville, car je ne voulais surtout pas porter préjudice aux vrais habitants, peu nombreux, de Schefferville (et de la réserve Innu qui existe réellement : Matimekush-Lac John). Mon histoire véhicule son lot de personnages bien pourris et il était hors de question que des individus bien réels se sentent visés. J’ai adoré façonner Norferville de toutes pièces, suivant mes besoins. Lui insuffler une âme maléfique. Vous verrez à la lecture !

 » Je voulais qu’il ressente la piqûre du froid dès qu’il toucherait une page de ce livre « 

Tu as beaucoup travaillé l’ambiance pour qu’on ressente les conditions atmosphériques jusque dans nos os. Un autre manière de frissonner…

L’ambiance… Pour moi l’une des clés essentielles d’un thriller réussi. Avant de commencer à écrire l’histoire, je me suis donné pour objectif de transporter, par les mots, le lecteur dans le Grand Nord, au cœur d’une nature à la fois magnifique et terriblement hostile. Je voulais qu’il ressente la piqûre du froid dès qu’il toucherait une page de ce livre. Décrire cette terrible sensation du froid, la rendre omniprésente sur plus de 400 pages, sous des formes différentes, était un vrai défi que j’ai adoré relever. J’ai pris un plaisir immense, réalisant presque un « fantasme d’écrivain », de plonger à un moment donné mes personnages dans un blizzard. Il n’y a qu’à Norferville que je pouvais faire ça !

Tu mets en scène deux personnages cabossés, une sorte de profiler français et une flic canadienne qui est une « Pomme ». Peux-tu nous parler un peu d’eux ?

Léonie Rock est née à Norferville car son père était mineur, et sa mère, une autochtone de la réserve. Elle est une « Pomme », comme disent les Innus de façon un peu péjorative, car blanche dedans, et rouge dehors. A ses 16 ans, elle et une de ses amies ont été violées aux abords de Norferville, emmenées par 3 individus qu’elles n’ont jamais pu identifier car elles avaient les yeux bandés. C’est à cette période que Léonie et ses parents ont quitté le Grand Nord pour aller vivre à Québec, car la mine a fermé. Vingt ans plus tard, devenue flic, cette femme métisse va être contrainte de retourner dans cet endroit qu’elle déteste, car un meurtre terrifiant y a été commis. Les vieilles cicatrices vont se rouvrir.

A des milliers de kilomètres de là, Teddy tient une petite agence de « détectives » à Lyon. Il mène des enquêtes privées mais travaille surtout avec la police pour aider à la résolution de crimes complexes demandant une analyse de profil psychologique. Un jour, Teddy va apprendre que sa fille de 28 ans a été retrouvée morte, mutilée, dans une cité minière isolée, au fin fond du Québec. Sans même savoir où il met les pieds, il va immédiatement s’embarquer pour Norferville, en plein hiver. C’est dans un monde dur, dangereux, inquiétant, qu’il va rencontrer Léonie et qu’à deux, ils vont tenter de comprendre ce qui s’est passé.

 » Ce qui arrive à certains personnages du roman peut paraître dur, mais il est le reflet d’une certaine réalité que les commissions d’enquêtes et les associations de défense des droits des femmes ont fait émerger ces derniers temps « 

Ce roman touche au cœur par ses sujets de fond, dont le traitement révoltant envers les autochtones…

La découverte de ce terrible phénomène qui a touché le Canada jusqu’à il n’y a pas si longtemps encore m’a beaucoup ému, et a été l’un des moteurs de mon écriture. Pendant plusieurs dizaines d’années, les femmes autochtones de ce grand pays ont été davantage victimes de violences et de disparitions que le reste de la population féminine, alors qu’elles sont en plus petit nombre. L’isolement, la pauvreté, le manque de considération à leur égard, mais surtout, une passivité de l’Etat face à ces actes violents en ont fait des cibles privilégiées, à la fois au sein de leurs propres communautés, mais aussi en dehors. A la tête des ministères qui se sont succédés au fil des années, il n’y avait que très peu d’intérêt envers la sécurité des autochtones, pour ne pas dire « pas du tout ».

Pour le romancier que je suis, il n’a pas été difficile d’imaginer le traitement qu’ont dû subir certaines de ces femmes dans les villes très isolées comme Norferville, à l’époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux et aucun moyen de communiquer avec l’extérieur. Ce qui arrive à certains personnages du roman peut paraître dur, mais il est le reflet d’une certaine réalité que les commissions d’enquêtes et les associations de défense des droits des femmes ont fait émerger ces derniers temps, notamment grâce à la libération de la parole de la femme et de mouvements style #Metoo. Les réseaux sociaux ont parfois du bon…

 » Le polar est pour moi la photographie d’une société à un moment donné « 

De livre en livre, tu cherches à donner une âme à tes histoires, que le divertissement soit aussi source d’enrichissement et de réflexion…

Le polar est pour moi la photographie d’une société à un moment donné, il doit essayer de représenter au mieux ce qu’était le monde à ce moment-là. Se plonger dans sa complexité, ses questionnements, ses dysfonctionnements. Les gens achètent des romans pour voyager, se divertir, frissonner, et vivre d’autres vies que les leurs, mais ils aiment que leurs lectures les enrichissent, les éclairent sur la société dans laquelle ils avancent. Alors, moi, j’essaie de leur apporter les deux : le divertissement d’un côté, et la réflexion de l’autre. J’espère que Norferville ne les laissera pas indifférents, qu’ils ressentiront encore le vent glacé du Grand Nord dans leur dos une fois le livre refermé, et qu’ils comprendront mieux les difficultés que peuvent rencontrer les familles autochtones dans le Québec d’aujourd’hui.

Photo : Sophie Mary, durant les Quais du polar 2023



Catégories :Littérature

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13 réponses

  1. Matatoune – Retraitée, je profite de ce nouveau temps libre pour lire, visiter et voyager et comme j'aime partager, j'ai créer ce blog : vagabondageautourdesoi.com. Venez y faire un tour !

    Je reviendrai lire de façon plus approfondie cette rencontre, une fois le livre découvert. Merci

  2. Nath - Mes Lectures du Dimanche – Livres, ongles & Rock 'n Roll

    Toujours un plaisir de lire l’histoire de la création d’un livre ! J’ai lu dernièrement le livre d’Estelle Tharreau, qui parlait également de ce dramatique sujet… ça promet donc ! Hâte de lire ça ! 😍

  3. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Passionnant comme d’habitude !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Avec Franck, toujours !

  4. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Un thriller pour nous donner froid ! Je le lirai un jour de canicule 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ça va viendre 😁

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        Tu crois ?? 😆

  5. Arggg 😍. J’en salive d’avance. Merci à vous deux pour ce bel échange 🙏 😘

  6. Lilou – passionnée d’égyptologie, amoureuse du Québec, adore les arts et la culture, lectrice compulsive, chroniqueuse...

    Je n’ai pas lu encore celui d’avant, mais je vais lire celui-là assez rapidement, car je suis une amoureuse du Québec ! Ces faits dont vous parlez pendant l’entretien, je les connais déjà malheureusement. Ce n’est pas à l’honneur des Canadiens… mais il ne faut jamais détourner le regard. Cet entretien m’a vraiment donné envie de le lire, merci à toi Yvan pour ces moments d’échanges vraiment intéressants. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est toujours passionnant d’écouter Franck Thilliez ! Bonne future lecture alors

  7. Matatoune – Retraitée, je profite de ce nouveau temps libre pour lire, visiter et voyager et comme j'aime partager, j'ai créer ce blog : vagabondageautourdesoi.com. Venez y faire un tour !

    Voilà de belles réponses qui éclairent ce magnifique thriller ! Très grande réussite ! Merci pour ce retour de Franck Thilliez et à toi de le partager !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est toujours passionnant avec Franck Thilliez ! Merci à toi

Rétroliens

  1. Norferville - Franck Thilliez - EmOtionS, blog littéraire

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