
1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
IVAN ZINBERG
Titre : Matière noire
Sortie : 07 novembre 2019
Éditeur : Cosmopolis
Lien vers ma chronique du roman
Après plusieurs romans se déroulant aux USA, tu nous reviens avec une intrigue française, et sur des terres que tu connais bien…
J’ai commencé à écrire mon premier roman « Jeu d’ombres » de façon spontanée, sans vraiment réfléchir à l’avance où j’allais situer l’action. J’ai toujours lu plus de littérature populaire anglo-saxonne que française, ce qui a dû m’influencer quand je me suis lancé dans l’écriture. Naturellement, les USA se sont imposés. Ce type d’univers cadrait bien avec les intrigues tortueuses à rebondissements qui caractérisent mes trois premiers romans. « Étoile Morte » et « Miroir Obscur », mes deuxième et troisième thrillers, se déroulent plus précisément à Los Angeles. Des auteurs cultes comme Connelly, Kellerman ou Crais m’ont tellement plu et influencé que j’ai eu envie de m’y coller aussi, mais évidemment sans connaître ce lieu et cette culture aussi bien qu’eux, qui sont américains et vivent en Californie.
C’est ce qui m’a poussé à situer mon quatrième roman en France. Je savais que j’y viendrais. On écrit toujours mieux sur ce que l’on connaît. « Matière Noire » est par conséquent beaucoup plus authentique et réaliste que les précédents. Il n’y a eu aucune recherche ou presque à effectuer sur la toile de fond et l’univers du roman. Les nuances, les clins d’œil ou les anecdotes sont venus sans difficulté. L’atmosphère est meilleure quand elle naît d’un auteur évoquant son propre pays. J’ai choisi ma région, Rhône-Alpes, et ma ville d’origine, Saint-Étienne. J’en avais envie depuis un moment et je « sentais » que je devais écrire cette histoire. On ne change pas le passé, mais si c’était à refaire, j’aurais situé mes romans en France dès le premier. Écrire « Matière Noire » a été une expérience bien plus stimulante que les précédentes.
L’idée de base du roman tient à des faits divers réels, des disparitions que le pays a connu depuis des décennies…
Je pense que j’aurai de plus en plus de mal à l’avenir à écrire des histoires trop éloignées de la réalité. Ce qui me plaît aujourd’hui, c’est le réel. J’aime les faits divers, connus ou moins connus. On peut en effet en reconnaître certains dans « Matière Noire ». Je m’intéresse aux affaires et événements que je vois passer au quotidien dans le cadre de mon boulot de policier. Je ne cherche pas à écrire des histoires 100% réalistes, mais au minimum il me faut une base crédible, qui me rappelle ce que je vois dans la vie. Sinon, je m’ennuie en écrivant et j’ai le sentiment de fabriquer quelque chose d’artificiel.
Mais il est très dur de créer du suspense et de la tension sans faire appel à des péripéties romanesques qui n’existent pas dans la réalité. La vérité, c’est qu’il y a assez peu d’action ou de rebondissements dans les véritables enquêtes policières. Il faut un peu forcer le trait dans un thriller pour le rendre divertissant et attractif. Mais je veux à tout prix éviter la surenchère, je fais en sorte de m’appuyer sur un socle sérieux. J’ai commencé à lire il y a quelques temps un roman où l’on découvrait un cadavre composé de morceaux de six victimes qu’on avait suturés entre eux. J’ai lâché au bout de quelques pages. Quand on est dans l’invraisemblable, ou le très peu probable, j’ai maintenant du mal. Ces thrillers peuvent être addictifs et brillants dans leur efficacité et leur construction, et j’ai adoré en lire, mais je suis pour l’instant passé à autre chose, comme auteur et comme lecteur. J’y reviendrai peut-être, qui sait.
Peux-tu nous expliquer le choix du titre, Matière noire ?
L’ambiance générale de « Matière Noire » est résolument sombre. Il y est question de meurtres, de disparitions, de détresse sociale, de solitude, de familles en souffrance, de deuil, de perversion, des « monstres du quotidien » qui nous entourent et dont on ignore la nature profonde et la dangerosité. Les deux personnages principaux sont un flic de la BAC, qui à travers son job côtoie la misère et la violence, et un ancien flic des RG reconverti dans le journalisme, à l’affût des pires affaires criminelles. Chacun d’eux, dans sa discipline respective, travaille et façonne ce matériau, cette matière noire. On désigne aussi le cerveau par la formule « matière grise ». Quand l’organe cérébral génère atrocités et abominations, comme c’est le cas dans le roman, on peut imaginer l’expression « matière noire ». Enfin, « Matière Noire » est le nom d’un album du très bon groupe d’indus-métal français Mass Hysteria et je trouvais ce titre excellent. Je ne l’ai donc pas inventé.
Ton enquête est formidablement minutieuse, et très détaillée. C’est ta casquette de capitaine de police qui influence ta manière de construire tes intrigues ?
Je suis plutôt cartésien et scientifique à la base, donc c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut chercher l’origine de la construction minutieuse et détaillée de l’intrigue. Élaborer une histoire, je vois cela comme de l’artisanat, une composition très organisée en amont, chapitre après chapitre, élément après élément. Pour tenir, l’ensemble doit être pensé et mis en ordre dès le départ, avant de commencer à écrire. Ce n’est sans doute pas valable pour tous les romans, mais dans le cas d’une intrigue policière complexe et sophistiquée, il ne faut rien laisser au hasard.
Mon travail de capitaine de police me sert tout de même pour écrire. Dans la police, on rédige énormément. Ça peut être des procès-verbaux, des rapports, des notes… Ce sont des documents très formels, factuels et précis. Les enquêtes que j’ai menées, même si je ne travaille plus dans un service judiciaire aujourd’hui, reposaient sur une logique d’investigations, des schémas récurrents, des actes très codifiés du point de vue procédural. Tout cela influence bien entendu ma façon d’imaginer des histoires, de les construire et de les écrire.
Mais tu fais passer pas mal d’émotions à travers tes deux personnages principaux, que tu as profondément travaillés…
Les personnages sont aussi importants que l’intrigue et l’univers d’un roman, voire plus. C’est à travers eux qu’on va vivre l’histoire. Ils doivent avoir une épaisseur, une vraie personnalité, un passé et des questionnements tels que nous les connaissons dans la vie. Nous pouvons alors ressentir leurs émotions et de l’empathie, ce qui renforce l’intérêt pour le texte et permet d’accrocher encore plus au récit. Il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une histoire qui ne fonctionne que sur l’intrigue et dont les personnages sont inexistants. L’un des champions des personnages réussis est le grand maître Stephen King. Nombre de ses personnages sont incroyablement marquants.
Pour « Matière Noire », j’ai créé les personnages les plus authentiques possible. Là encore, j’ai voulu me positionner au plus près de ce que l’on pourrait trouver dans la vraie vie. Les deux principaux, par leur manière de vivre, de travailler ou de penser, pourraient exister. L’introspection et les émotions se mêlent à l’action et aux investigations. J’ai laissé de côté l’extravagance, les héros invincibles, les policiers alcooliques et autres clichés, pour me tourner vers quelque chose de plus intéressant en évitant les caricatures. Faire vivre des personnages crédibles est aussi le moyen d’évoquer leurs défis personnels, des enjeux de notre société et la place de chacun de nous dans celle-ci, ou des problématiques particulières comme le manque de moyens dans la police ou les difficultés de ce métier. « Matière Noire » n’est pas un thriller horrifique, ludique et rocambolesque. C’est un polar actuel, sombre, profondément ancré dans le monde d’aujourd’hui, avec ce qu’il faut d’immersion et de mystère.
Je te remercie pour cet interview, Yvan. C’est un plaisir d’apparaître dans ta rubrique 1 livre en 5 questions.
Catégories :Interviews littéraires
Il arrive lundi dans mes bras, je sens que je vais adorer. Merci pour ce beau partage les garçons 🙏♥️
bonne future lecture !
Merci Yvan 😉♥️
Un livre qui doit être bon, beaucoup de travail sur la matière!
Merci Yvan pour cette belle chronique. J’avais lu le quatrième de couverture et je ne connaissais pas l’auteur. Là j’ai déjà davantage d’explications, ce qui donne envie de se plonger dans cette histoire Française. Je pense avoir mis ce livre dans ma PAL 😉 Bon dimanche pour demain. Geneviève
c’est que l’auteur a fait du bon boulot dans cette interview ;-). Plus sérieusement, oui il a su en parler de manière directe et c’est passionnant
Je suis toujours dedans, parce que j’ai manqué de temps pour avancer, mais jusqu’ici j’aime beaucoup !
alors tout va bien 😉