1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
Interview NOËLLE MICHEL
Demain les ombres
Editeur : Le bruit du monde
Sortie : 05 janvier 2023
Lien vers ma chronique du roman
Sans trop en dire, l’idée sur laquelle se base le roman est absolument formidable. Elle ouvrait un immense champ des possibles…
L’idée principale que j’avais à cœur d’explorer en écrivant ce roman est celle d’humanité plurielle. Aujourd’hui, nous, les Homo sapiens, sommes la seule espèce du genre Homo à avoir survécu. Ça n’a pas toujours été ainsi. Nos ancêtres ont côtoyé d’autres espèces humaines au paléolithique. Je trouve cette idée fascinante et même renversante ! Je me suis demandé ce que cette « solitude évolutionnaire » pouvait avoir comme influence sur notre inconscient collectif, nos représentations du monde, notre rapport à l’autre… Et surtout, je me suis posé cette question : que se passerait-il si une autre espèce humaine faisait son apparition ?
Le roman navigue entre les lignes des genres littéraires, avec bonheur, suivant une voie intimiste tout autant que ménageant le suspense…
En général, quand je commence à écrire, c’est l’idée de départ qui me dicte à quel genre appartiendra le roman. Ou plutôt à quels genres, car de ce fait, je m’inscris rarement dans une case bien définie. Demain les ombres relève à mon sens à la fois de la dystopie, de la science-fiction et en tout cas, de l’imaginaire, mais seulement en partie, car il est ancré dans un monde très proche du nôtre (et l’histoire qu’il raconte pourrait probablement vraiment avoir lieu dans le futur, d’un point de vue scientifique).
C’est un roman noir, mais il n’est pas pour autant dénué de lumière et d’espoir ; roman d’aventures, d’évasion, avec une intrigue que j’espère bien ficelée et pleine de suspense ; mais il fait aussi la part belle à l’évolution et aux émotions des personnages, et est nourri de réflexions philosophiques sur notre rapport à la nature, au divertissement, à l’altérité, à la science. Je crois que c’est ce mélange, qui résulte du thème et de l’histoire que j’ai choisi d’écrire, qui fait la richesse du livre.
Le monde de demain que vous décrivez est crédible, on y reconnaît sans peine ses racines dans ce que nous vivons actuellement…
Le monde que je décris n’est finalement que le décor de l’intrigue, j’ai donc veillé à ne pas en faire un véritable personnage de l’histoire dans lequel on pourrait se perdre, ou qui pourrait ralentir le rythme. Mais j’avais bien sûr à cœur de le rendre aussi crédible que possible, en me basant sur l’état actuel du monde et le cap que nous suivons pour l’instant… Autant dire que cette vision de futur n’a rien de réjouissant.
” J’avais à cœur de battre en brèche les anciens stéréotypes “
Concernant nos lointains cousins néandertaliens, ce que vous racontez n’a rien de farfelu, vos recherches ont été minutieuses…
Dans l’écriture, j’aime beaucoup la partie recherche et documentation. J’ai gardé des traces de mon passé de scientifique (je suis ingénieure de formation, j’ai travaillé une dizaine d’années dans le traitement d’eaux usées avant de devenir traductrice littéraire et écrivaine). Je me suis plongée avec bonheur dans les ouvrages concernant les néandertaliens. J’ai en outre contacté Marylène Patou-Mathis, préhistorienne de renom, qui a gentiment accepté de relire mon manuscrit…
Demain les ombres reste un roman de fiction, mais globalement, il s’appuie sur l’état des connaissances. Comme celui-ci est forcément fragmentaire, j’ai comblé les vides avec ma vision personnelle, ou privilégié les hypothèses scientifiques que je préférais. J’avais à cœur de battre en brèche les anciens stéréotypes associés aux néandertaliens : chaînon manquant entre le singe et l’homme, sorte de sous-homme plus brutal, moins intelligent… Et j’ai tenté de faire la même chose avec une certaine vision éculée des femmes à la préhistoire. On sait aujourd’hui que ces clichés sont absurdes. Au paléolithique, les femmes chassaient et peignaient aussi. Et Néandertal n’était pas meilleur ou moins bien que Sapiens, il était juste différent. Mais très semblable aussi… Puisqu’il avait la capacité physiologique de développer un langage articulé et qu’il avait accès à la symbolisation.
” Nous prenons le chemin d’un repli identitaire et nous échouons pour l’instant à interroger collectivement notre place, peut-être pas dans l’univers, mais en tout cas sur cette planète “
Le roman est l’occasion de questionner notre vraie place dans l’univers tout comme de réfléchir sur la notion d’altérité…
En effet, et je pense que ce questionnement est un enjeu central pour l’avenir de l’humanité. Nous prenons le chemin d’un repli identitaire et nous échouons pour l’instant à interroger collectivement notre place, peut-être pas dans l’univers, mais en tout cas sur cette planète. Or, cette question est cruciale pour notre avenir. Nous sommes en train de mettre notre propre survie en danger… Sans compter que nous détruisons systématiquement le vivant (je rappelle que nous sommes en train de vivre la sixième extinction de masse de notre planète). Et nous sommes embourbés par une force d’inertie qui nous paralyse, alors que la situation environnementale nécessiterait une réaction coordonnée, globale et rapide.
En faisant ressurgir une autre espèce humaine, Demain les ombres interroge notre place dans le règne animal. Nous ne sommes pas la finalité de l’évolution ni les maîtres du vivant. Nous sommes une espèce parmi tant d’autres. Nous devons sortir de cette vision de « maître et possesseur » de la nature pour nous y inclure, et apprendre à vivre avec les autres espèces sans les écraser, sinon nous finirons par disparaître nous aussi – ce qui ne me paraît pas « grave » en soi ; ce qui l’est davantage, c’est que ce faisant, nous plongerons dans de grandes souffrances des milliards d’êtres humains et d’autres êtres vivants, souffrances que l’on pourrait éviter…
Le roman questionne aussi notre rapport à la technologie et au progrès scientifique. Nous avons tendance à faire tout ce que le progrès nous permet, sans réfléchir très longtemps aux aspects éthiques et même à l’utilité de ces « progrès ». La technologie a des facettes formidables et peut nous apporter beaucoup, mais elle ne résoudra pas à elle seule les problèmes environnementaux multiples auxquels nous sommes confrontés.
Demain les ombres met cruellement en relief la façon dont nous nous sommes éloignés de la nature pour vivre complètement hors sol ; contraste encore plus criant quand on observe le mode de vie des néandertaliens. L’Occident vit à mon sens une profonde crise de sens, mais nous pouvons la résoudre en nous tournant vers l’humilité et en réexplorant en profondeur nos liens avec l’environnement et le vivant.
Crédit photo : (c) Anke Hollevoet
Catégories :Interviews littéraires
Pierre Pelot a écrit une série (« Les hommes sans futur » – années 80) de livres basée sur une idée très similaire .
Merci pour ce bel échange. 🙏😘
Quelle intelligence dans les propos !!! Que de justesse et de clairvoyance sur notre monde actuel !
Superbe entretien, merci mon ami
J’ai encore plus envie de le lire !!!
tu ne peux ABSOLUMENT PAS passer à côté !