1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
NICOLAS BEUGLET
Titre : Le passager dans visage
Editeur : XO
Date de sortie : 16 septembre 2021
Lien vers ma chronique du roman
On retrouve une Grace Campbell endurcie par sa précédente enquête dans « Le dernier message ». On peut dire qu’une partie importante de ce nouveau roman est centrée sur elle…
Dans Le dernier message, on avait laissé Grace face à cette porte blindée derrière laquelle se cache un secret personnel si terrible qu’elle était tétanisée à l’idée de s’y confronter. Jusqu’à ce qu’au début du Passager sans visage, elle reçoive un courrier anonyme lui indiquant une nouvelle piste de recherche sur le drame qui a marqué les premières années de son existence au fer rouge. Mais qui a envoyé cette lettre ? Jusqu’où peut-elle faire confiance à son mystérieux auteur ?
Grace va alors reprendre une enquête nébuleuse jusqu’à se demander si ses parents sont vraiment étrangers à la tragédie de son enfance. De nombreux souvenirs étranges vont refaire surface, comme cette terrifiante silhouette l’observant depuis le coin de sa chambre dans un étrange costume coloré. Sauf que toutes ces questions personnelles vont progressivement amener Grace à comprendre que sa tragédie est liée à l’un des pires scandales de ces vingt ou trente dernières années et dont vous n’avez probablement jamais entendu parler…
Tu nous fais regarder les contes de fées d’une autre manière…
Les contes de fée portent si mal leur nom. Ils sont extrêmement violents dans leurs versions originales et non celles édulcorées qui ont été popularisées par Disney. On les dit formateurs pour les enfants en les aidant à les confronter à leur peur tout en leur offrant un dénouement heureux. D’abord le dénouement n’est pas toujours heureux et puis s’il l’est, au prix de quelles horreurs ? Et ce questionnement sur la dimension « joyeuse » du conte de fée se pose tout particulièrement avec le conte qui est au cœur de l’enquête de Grace et qui m’a le plus traumatisé dans mon enfance : le joueur de flûte de Hamelin.
A l’époque, je ne savais pas trop pourquoi jusqu’à ce que je me rende compte récemment de deux choses : un, il se finit mal et deux, c’est presque le seul conte qui ne contient aucun élément magique ou fantastique. Cendrillon a sa fée, Le petit chaperon rouge, le loup qui se déguise, Le petit poucet, un ogre, Hansel et Gretel une sorcière…
Dans l’histoire du joueur de flûte, la narration est sèche, factuelle et donc cruellement réaliste. Cela m’a donné envie d’en savoir plus sur son origine et c’est là que j’ai découvert avec stupeur que le village d’Hamelin gardait dans ses registres médiévaux une trace historique de la disparition subite de 130 enfants en l’an 1284…
Tous tes livres sont basés sur de terribles faits réels. Sans trop en dire, ce dont tu parles ici a de quoi faire perdre toute foi en l’Homme…
Le fait réel que tu évoques ici est le scandale pédophile le plus révulsant et pourtant, je n’en avais jamais entendu parler avant de tomber dessus par hasard en faisant mes recherches pour nourrir le passé de mon héroïne Grace Campbell. Il s’agit de l’affaire allemande de ce que l’on a nommé le projet Kentler : pendant plus de trente ans les services sociaux de Berlin ont sciemment placé des enfants abandonnés chez des pédophiles au prétexte qu’ils seraient forcément aimés par leur parent. Le fait est si fou que j’ai cru un moment que c’était un fake. Malheureusement non…
Et tout cela parce qu’un « universitaire » a théorisé « scientifiquement » le bénéfice de la relation pédophile pour l’adulte et pour l’enfant auprès d’intellectuels, de juges et de fonctionnaires. Autrement dit, il a rendu positif et souhaitable le viol des enfants au niveau juridique et administratif. Donc, je pense qu’au-delà de l’événement lui-même qui se doit d’être plus reconnu, je suis convaincu qu’il est fondamental de rappeler comment l’intellectualisation d’une idéologie mortifère peut finir par être rendue acceptable : « Nous savons mieux que vous ce qui est bon pour vos enfants parce que la science le dit… »
Mais au-delà des perversions, il est question, comme dans le précédent roman, de sujets de société très actuels…
Le roman n’a pas été placé dans l’époque Covid. J’avais envie de respirer et de faire respirer mes lecteurs dans un monde moins anxiogène. Cela dit, ce n’est pas non plus une promenade de santé pour Grace et le lecteur, loin de là. Et certaines thématiques qui électrisent notre vie depuis deux ans sont tricotées à l’intérieur du récit.
Mon rôle en tant qu’auteur est d’abord de vous raconter une bonne histoire qui vous captive. Si après je peux y glisser les questionnements qui sont les miens sur les mouvements de notre société et provoquer un débat en vous ou entre vous, j’en suis heureux. Car ma plus grande peur aujourd’hui, c’est justement que la peur et par conséquent le désir de sécurité deviennent les seuls guides de nos choix sociaux. Je crains que l’on ne soit tous encouragés à devenir accro à la sécurité au point d’en oublier tout ce que l’on doit à l’autre pilier de notre existence démocratique : la liberté. En tout cas, le débat entre ces deux axes se doit d’être acharné et permanent si on ne veut pas ressortir de cette crise dans un monde dont on regrettera les règles… trop tard.
Dès le départ, tu as imaginé les aventures de ton enquêtrice comme une trilogie…
Oui, depuis Le dernier message, ce cycle a été pensé pour être une trilogie qui, petit à petit dévoile les secrets de Grace et les intentions masquées de la gigantesque société Olympe. Il me faut ce temps pour que le lecteur prenne la mesure du basculement de notre monde que j’essaye de raconter à travers des enquêtes aussi addictives que possible.
Le Passager sans visage apporte, je crois, des réponses intéressantes, mais il reste encore de gros secrets à dévoiler pour le prochain et dernier acte. Notamment au sujet des deux derniers mots du livre qui font beaucoup réagir…
Photo : Sophie Mary (Lumières de l’ombre)
Catégories :Interviews littéraires
Je n’ai pas encore pu découvrir cette nouvelle série de Nicolas Beuglet (impossible de l’obtenir à mon boulot, les lecteurs la réserve encore et toujours !), mais en lisant cette interview j’ai terriblement envie de jouer à la vilaine bibliothécaire qui vole les réservations de ses lecteurs pour pouvoir le lire avant eux ;D
Tellement hâte d’avoir le tome 3 ! Franchement, j’ai halluciné quand j’ai lu le passage sur ce projet allemand, j’espérais qu’il ne s’agissait que d’un fait imaginaire… c’est horrible… et le débat sur la sécurité à évidemment suscité beaucoup de réflexion de ma part… je ne sais pas vers où on va avec ce monde, mais on y va très vite…
toujours intéressant