Ian Manook fictionne ses racines. Celles de la famille Manoukian, ses grands-parents. Celles du peuple arménien aussi.
Raconter le passé à travers un récit romancé n’est pas chose aisée. Le lecteur doit se retrouver dans l’équilibre recherché par l’auteur.
Au sortir de cette lecture, je peux vous assurer que vous n’en oublierez pas l’expérience.
Réalité et fiction
Le 24 avril est la journée commémorative du génocide arménien perpétré dès 1915. Une tragédie trop peu connue, durant une période sombre de l’Histoire mondiale.
A cette époque-là, Araxie, dix ans, et sa petite sœur Haïganouch, six ans vont vivre l’enfer. L’aînée est la grand-mère de l’auteur. Deux gamines qui vont brutalement perdre leur innocence, comme des millions d’arméniens. Comme également Haïgaz, gamin des rues. Et d’autres personnages basés plus ou moins librement sur des personnes bien réelles. Ils sont plusieurs qu’on va suivre de près.
Les faits sont avérés, mais le livre est un vrai roman. Son souffle, porté par le réel, vous emportera. Vous brûlera aussi.
Les 60 premières pages sont terrifiantes. Épouvantables, au-delà des mots. Elles m’ont mis à terre, j’ai cru ne plus pouvoir me relever. Elles m’ont fait souffrir comme jamais en lisant un livre (et pourtant je suis un grand lecteur de romans noirs). La déportation vue de l’intérieur, au plus près, à travers ces deux gamines et leurs proches. L’horreur à l’état pur. Certaines scènes abominables resteront gravées en moi pour toujours. Inqualifiables et pourtant vraies.
Accrochez-vous, c’est un passage obligé pour comprendre. Et s’attacher « à la vie, à la mort » à ces personnages. Ils sont sublimes dans toute cette laideur, dignes face à toutes ces inimaginables ignominies. L’homme est pire qu’un animal, mais certains savent garder leur humanité. Il y a aussi de la lumière dans les ténèbres parfois, au bout de ces pages-là.
Récit habité
Ce récit est habité. Par des fantômes, des âmes, des émotions. Il a maturé durant 50 ans avant que l’écrivain ne nous le livre, et nous fasse vivre des sensations inoubliables. Qui viennent du cœur et des tripes.
De 1915 à l’avant de la seconde guerre mondiale, Manook nous conte une grande saga familiale, qui s’entremêle avec les soubresauts de l’Histoire. C’est un voyage auquel il nous convie, à la fois intérieur, mais aussi à travers le monde secoué par les conflits. La diaspora arménienne, son cœur et ses ramifications, pour survivre, juste vivre.
L’environnement est historique, riche d’enseignements, car bien intégré dans le récit. Je suis de ceux qui sont convaincus qu’on peut mieux s’imprégner de la réalité par la fiction. L’auteur nous en fait une magistrale démonstration.
Un roman qui raconte des destins extraordinaires, de personnes qui n’ont pourtant rien demandé, à part vivre. Parfois la folie de quelques hommes construit la bonne ou la mauvaise fortune de millions d’autres. Les plonge aussi dans des aventures humaines incroyables.
L’oiseau bleu d’Erzeroum tient donc autant du devoir de mémoire que du roman d’aventure familial. Des destins pour ne pas oublier, tirer les leçons et non pas nier. Oui, apprendre de ces femmes et hommes qui ne perdent pas espoir malgré les vicissitudes d’une existence tourmentée.
Enrichissement
Ce livre est un enrichissement, autant émotionnellement qu’intellectuellement.
Par cette émotion qui pulse à travers des personnages mémorables et grâce à une écriture enlevée. Une plume alerte et expressive au possible. L’écrivain travaille sans plan, c’est bluffant, même si la construction du livre décontenance parfois. Mais c’est sans doute aussi ce qui fait que le récit pulse ainsi.
Ses lecteurs habituels ne doivent en aucun cas se détourner de cette fiction du réel. Bien au contraire, je suis convaincu qu’ils y trouveront tout ce qui leur plait chez l’écrivain jusqu’à présent, de manière exacerbée. Ceux qui le découvriront ne pourront que s’attacher à lui dorénavant. Ce livre est universel.
Ian Manook est un formidable raconteur d’histoires, même quand il exprime des faits authentiques. L’oiseau bleu d’Erzeroum est un roman tortueux, perturbant, mais surtout profondément humain malgré les atrocités qu’il décrit. Cette saga familiale est une lecture essentielle, qui reste gravée en nous.
Lien vers l’interview de Ian Manook au sujet de “L’oiseau bleu d’Erzeroum”
Lien vers ma chronique du deuxième roman “Le chant d’Haïganouch”
Yvan Fauth
Date de sortie : 07 avril 2021
Éditeur : Albin Michel
Genre : Fiction / Histoire vraie
4° de couverture
L’odyssée tragique et sublime de deux petites filles rescapées du génocide arménien.
1915, non loin d’Erzeroum, en Arménie turque. Araxie, dix ans, et sa petite soeur Haïganouch, six ans, échappent par miracle au massacre des Arméniens par les Turcs. Déportées vers le grand désert de Deir-ez-Zor et condamnées à une mort inéluctable, les deux fillettes sont épargnées grâce à un médecin qui les achète comme esclaves, les privant de leur liberté mais leur laissant la vie sauve.
Jusqu’à ce que l’Histoire, à nouveau, les précipite dans la tourmente. Séparées, propulsées chacune à un bout du monde, Araxie et Haïganouch survivront-elles aux guerres et aux trahisons de ce siècle cruel ? Trouveront-elles enfin la paix et un refuge, aussi fragile soit-il ?
C’est autour de l’enfance romancée de sa propre grand-mère que Ian Manook, de son vrai nom Patrick Manoukian, a construit cette inoubliable saga historique et familiale. Un roman plein d’humanité où souffle le vent furieux de l’Histoire, une galerie de personnages avides de survivre à la folie des hommes, et le portrait poignant des enfants de la diaspora arménienne.
Catégories :Littérature
Très belle chronique pour ce roman qui mérite un belle mise en avant ❤️
j’ai essayé en tout cas, le roman le mérite
J’apprécie beaucoup l’auteur, sous ses différents pseudos, mais celui-ci attendra sans doute des jours plus sereins pour pouvoir en supporter le contenu.
c’est un livre à lire absolument, choisis donc ton moment mais surtout ne le ,perd pas de vue, ce serait dommage
Je suis entrain de le lire, une lecture violente et magnifique et d’un intérêt magistral et et et …
tout ce que tu en dis, je le ressens.
J’aime cet écrivain, quelque soit le nom qu’il choisit pour nous emmener avec lui
Bonne suite de lecture alors ! Elle sera surprenante et marquante jusqu’au bout. Merci du commentaire !
Cette critique me donne vraiment envie de lire ce roman d’une grande intensité. Je ne connais pas ce pan de l’histoire de l’Arménie dans le détail c’est pour cela que j’aimerais le découvrir.C’est le genre de tragédie qu’il ne faut pas oublier d’où l’importance des livres qui permettent d’en garder la trace.Merci je vais le mettre dans ma liste de futur lecture.
On connait effectivement trop mal cette partie de l’histoire, moi le premier; Ce livre permet de comprendre beaucoup de choses. Bonne future lecture alors !
Merci pour cette chronique qui donne vraiment envie de découvrir ce livre, avec les horreurs d’un genocide dont j’ai beaucoup entendu parler, mais de loin finalement. Ce sont effectivement des pans de l’histoire de l’humanité qu’il ne faut pas oublier, jamais.
Jamais. D’où l’importance de ce livre. Mais c’est aussi une histoire de famille très touchante !
Ok, je m’accrocherai pour les 60 premières pages et j’éviterai de le reléguer dans le freezer, là où je colle les livres trop durs pour mon petit coeur… Généralement, des livres sur le génocide juif, sur les camps de concentration… Faudra que je dépasse ça.
tu vas souffrir, mais ce livre mérite qu’on le lise, et tu verras que ce sont des destins exceptionnels
A lire quand on est prêt alors !
mais à lire absolument !
Un roman puissant et bouleversant. Ta chronique le rend si bien. Faisons un succès à cet oiseau qui mérite de prendre un bel envol !
et attendons avec intérêt la suite ! ;). merci pour ton commentaire, mon ami