Interview littéraire 2017 : Nick Gardel

Nick Gardel a déjà fait son petit bonhomme de chemin, avec ses romans atypiques, ses grandes gueules attachantes et son humour noir. Des polars à l’ancienne qui en deviennent intemporels. Si vous aimez les ambiances et les bons mots à la Audiard, voilà un auteur qui est fait pour vous !

Nick Gardel vient de sortir son nouveau roman en auto-édition : Chorale. mais il est également en contrat avec l’éditeur Caïman, spécialiste des romans noirs. Voilà plein de bonnes raisons de taper la discut’ avec lui.

Lien vers ma chronique de : Chorale

Lien pour commander le nouveau roman « Chorale » sur le site de l’auteur

Merci d’avoir accepté mon invitation. Avant de commencer, qu’est-ce que je te sers à boire ?

Merci à toi surtout. Je fais le désespoir des œnologues éclairés et autres amateurs de vin. Je n’ai aucun goût pour le jus de la treille. Je peux en boire mais mon système expert se contente de déceler la couleur du breuvage. Je suis plutôt bière en fait. Mais là encore, je ne suis pas un puriste et je peux enchaîner aussi bien les Despé ou les Tsing Tao, qu’une blanche du Mont Blanc. Alors si tu avais un truc blond qui mousse gentiment, je suis preneur…

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, peux-tu te définir en trois mots, juste trois ?

Improbable

Irrévérencieux

Archaïque.

L’exercice est compliqué parce que c’est surtout des choses que je ne suis pas qui me venait à l’esprit. Je ne suis pas sérieux par exemple, ou plutôt je suis sérieusement pas sérieux.

Tes romans ont été pour la plupart auto-publiés, mais tu as également travaillé avec un éditeur (Caïman pour la ressortie de Fourbi étourdi). Quelle est la formule idéale ?

Il n’y a pas de formule idéale dans ce milieu. En fait, il y a la recherche de toucher le maximum de monde. Mon occupation de base est d’écrire des histoires. En mettant les choses à plat, j’ai passé beaucoup plus de temps sans faire connaître mes écrits qu’en les faisant éditer. Mais, au-delà de la jouissance du créateur, le réel plaisir vient dans l’échange avec les lecteurs.

Et pour que cet échange ait lieu, il faut passer par une phase mercantile. L’auto-édition donne les pleins pouvoirs, c’est grisant et c’est très valorisant quand le déclic se fait et qu’on commence à vendre un peu. C’est aussi une source d’agitation très angoissante et chronophage avec régulièrement des regards en arrière accompagnés de « à quoi bon ? ».

Avec l’édition traditionnelle, on laisse les rênes à un autre, on s’agite moins, mais l’angoisse de la vente est encore présente. En tout cas pour moi, je crois que Chorale sera ma dernière aventure en auto-édition. J’ai atteint une vraie lassitude de cette omniprésence indispensable. Caïman m’ouvre les rayons des libraires et les portes des salons, on va voir comment je me débrouille dans cette nouvelle aventure.

Tu te démènes comme un beau diable pour faire ta promo sans moyens, c’est un exercice un peu contre nature pour un écrivain, non ?

C’est totalement un autre métier en fait. L’écriture est un acte résolument solitaire pour moi. Même si, de plus en plus, je partage ce que j’écris au fil de la rédaction. J’aime avoir le sentiment d’écrire « pour » quelqu’un. Pour faire sourire quelqu’un, pour surprendre quelqu’un. Je suis très contradictoire dans l’exercice en fait. Imperméable aux critiques et à la fois très anxieux de plaire à la poignée d’amis primo-lecteurs. Vendre les livres est (était) très amusant. Mais l’exercice est très répétitif et il lasse. D’autant que je ne suis pas dans un « créneau » de vente très tendance. J’écris des polars distrayants avec un style assez exigeant. Le tout étant finalement assez léger, pas de quoi marquer durablement les esprits et donc établir des records de vente.

Passons au plat de résistance. Si tu avais le choix, qu’aimerais-tu partager comme plat, tout de suite ?

Mon archaïsme va ressortir même pour une question aussi terre à terre. Je suis un amoureux d’une forme d’amitié simple et directe. J’aurais adoré me retrouver à une table entre Lino Ventura et Bernard Blier pour manger un plat de spaghettis. J’ai eu l’occasion de voir des reportages ou des témoignages sur cette petite bande qui doit paraître désuète aujourd’hui. Alors sans hésiter, un plat de pâtes. Tout comme les voyages, je ne conçois les mets ou les lieux que par les gens que j’y côtoie. Si tu voulais me faire avouer mon plat favori, j’aurai dû citer l’invention qui sépare l’homme de la barbarie : la Pizza. Mais, je tiens à préciser que je ne considère pas la pizza comme un plat. La pizza est l’essence même de la vie. Il n’y a pas de mauvaise pizza, parce que, au final, c’est déjà de la pizza. Il y a des meilleures pizzas que d’autres, c’est tout.

Je te laisse nous présenter Chorale, ton nouveau roman, avec tes propres mots…

Chorale est un fantasme. C’est plus qu’un roman, c’est une démarche. Historiquement j’ai eu une révélation littéraire quand j’ai découvert à 15 ans que Isaac Asimov avait réussi à rendre cohérent la quasi-totalité de son univers en mêlant son cycle des Robots et celui de Fondation avec Terre et Fondation. J’ai adoré cette lecture de jeunesse qui m’a fait envisager à rebours tous les livres de l’auteur comme des pièces d’un grand tout. C’est totalement jouissif. Aujourd’hui j’ai quasiment renoncé à la SF, mais j’ai gardé ce goût pour les clins d’œil. J’adore rencontrer un personnage qui a eu une autre vie dans un autre roman. Je le faisais déjà avec certains de mes personnages secondaires. Cette fois j’ai sauté le pas et c’est devenu le point de départ de Chorale.

As-tu imaginé cette réunion de personnages récurrents comme un achèvement ou comme un nouveau départ ?

Alors il ne faut pas se leurrer c’est un exercice d’équilibriste cette idée. L’écueil principal étant l’exclusion. Celle du lecteur, j’entends. Je voulais que ce roman existe pour lui seul. C’est donc une véritable aventure, on peut la lire comme s’il n’en existait aucun autre. Il s’avère que certains des personnages rencontrés ont déjà côtoyé mes lignes et mes phrases. Je voulais aussi éviter le côté artificiel du collage, chacun a sa propre place et aucun n’est parachuté dans l’histoire en vain. Donc pour répondre à ta question plus directement, c’est exactement le barycentre des deux positions. C’est indéniablement un achèvement car on répond à beaucoup de questions sur le « et après ? », mais c’est aussi un nouveau départ car, les différents cycles étant bouclés, la liberté est totale pour autre chose. Sans compter sur cette troisième alternative : Chorale est une histoire à part entière, indépendante. C’est un vrai « One-Shot ».

Si je te dis que tes romans ont un charme un peu suranné et que tes dialogues ne dépareraient pas dans un film d’Audiard, le prends-tu comme un compliment ?

C’est même au-delà du compliment. Je travaille énormément mes dialogues pour qu’ils aient cette impression de légèreté, ce petit plus décalé que trouvait instinctivement Audiard. On le disait dilettante, rendant ses scénarii à la dernière minute. Ce n’est pas mon cas. C’est même l’essentiel de mon travail d’écriture. Trouver la répartie qui va faire mouche, ne pas alourdir le style pour raconter le moment juste. Charme et suranné, c’est exactement ça. C’est aussi sans doute pour cela que mon lectorat est aussi réduit, ce n’est pas exactement une recette du succès tout ça…

Malgré les bons mots que tu enfiles comme des perles, on sent aussi poindre parfois une certaine mélancolie désenchantée dans ton roman…

Le thème du roman est l’amitié et surtout jusqu’où on est capable d’aller pour elle. Ça induit forcément une certaine forme de mélancolie. C’est un roman sur la fidélité à une idée aussi anachronique que « l’amitié ». Mais je suis assez satisfait d’y avoir glissé quelques perles de folie. J’ai un « méchant » qui vole pas mal la vedette aux héros récurrents. Lui n’est pas en questionnement sur ce qu’il fait là et pourquoi il y est, il avance et ça produit, je l’espère, un contrepoint assez intéressant.

Ce blog est fait de mots et de sons. Je sais que la musique tient une place importante dans ton processus créatif…

L’un des personnages est issu de mon univers musical. Peter Raven est une construction de bric et de broc entre ma passion pour le personnage du Poulpe et mes groupes musicaux favoris. Forcément l’empreinte musicale d’un tel personnage est forte. Mais j’écris essentiellement dans le silence ou dans un habillage sonore non significatif. Je suis d’avis de penser que la musique ou tout au moins la perception que j’en ai est un phénomène solitaire.

Je suis un visuel, c’est-à-dire que je me construis une image quand on m’évoque une situation (oui, même les passages les plus tordus de mes romans je les ai visuellement imaginés !). Quand j’écoute les groupes que j’aime, j’y consacre pleinement mon attention et cela rend l’écriture impossible (et vice versa). Mais la musique a une place importante dans la construction même de mes histoires. J’ai écrit un roman intégralement en ayant comme plan les chansons d’un album mythique.

Pour donner un exemple, mon roman précédent Droit dans le mur commence dans un frigo au milieu des carcasses pour faire référence au morceau In The Flesh de l’album The Wall de Pink Floyd. Comme le titre revient dans l’album, la situation est traitée en deux chapitres distincts assez éloignés dans le roman…

Pour Chorale, la construction de l’intrigue était déjà suffisamment périlleuse pour ne pas me rajouter des passages obligés avec des références que moi seul comprend…

Et pour terminer, je t’invite à choisir ton dessert préféré…

Le parent pauvre de bien des restaurants. Comme si la touche sucrée n’avait finalement que peu d’importance. C’est vrai que je m’en passe la plupart du temps. Un éclair au café, ou une torche au marron, pourquoi pas ?

Non, des châtaignes grillées, comme ça, simplement. Pour rester dans le ton de la mélancolie et de la touche légèrement surannée. Un moule à tarte en tôle qui a déjà vu quelques générations et juste une poignée de châtaignes ramassées en forêt. Les premières, grosses encore et pas véreuses, qu’on passe sous le grill jusqu’à ce que la seconde peau se détache en craquant. Un truc à déclencher les trémolos d’une pub pour saucisses en plastique et qui vous invite à ne pas passer à côté des bonnes choses. Il y a un côté moelleux à la nostalgie quand elle est assumée. Mais le café doit être servi en même temps… Je préfère.



Catégories :Interviews littéraires

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5 réponses

  1. Excellentissime cet interview, merci, merci …et bien sûr je cours augmenter ma PAL !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      super ! oui l’interview (et l’auteur) sont top 😉

  2. Un grand merci pour ce moment très sympa passé en compagnie de NIck Gardel auteur que je ne connaissais pas mais dont désormais j’ai très envie de découvrir l’univers et l’écriture. Donc je le mets dans ma Pal. Et soit dit en passant, moi aussi j’ai dévoré les romans d’Isaac Asimov quand j’étais ado…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ceux qui ont lu Asimov dans leurs jeunesses ne peuvent être que des lecteurs de goût 😉

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