Les enfants du serpent – Clarence Pitz

N’en déplaise à certains, le thriller peut avoir une âme. Les enfants du serpent de Clarence Pitz en est un bon exemple.

40 % de la production mondiale de coltan provient de République démocratique du Congo. Avec sa capacité à stocker et à libérer de l’énergie électrique, c’est un minerai rare utilisé dans nos téléphones et ordinateurs portables.

Une richesse inouïe, payée du sang et de ses morts par une des populations les plus pauvres du monde. Pour assouvir notre besoin irrépressible d’avoir toujours le téléphone dernier cri. Un pays riche surtout de violence, où des milices armées sèment la terreur à coups de sévices inimaginables.

Maintenant que j’ai bien refroidi l’atmosphère, je peux vous parler de la dureté de ce roman, mais aussi des émotions qui le traversent.

Eprouvant, mais nécessaire

Deux pays, deux temporalités. Le Congo et la Belgique, le passé dix ans en arrière et le présent.

La scène d’introduction est particulièrement éprouvante. Mais nécessaire. Le socle qui tiendra toute l’histoire du roman, celle qui servira à comprendre et ressentir.

Il fallait en passer par là, par cette violence-là. L’autrice flirte avec la ligne rouge, mais sans tomber dans la cruauté gratuite, sans en faire de trop. Un exercice d’équilibriste dont on sort meurtri, mais enrichi aussi. Pour comprendre ce que vivent ces populations, pour ne pas se voiler la face.

Rien n’est plus fort qu’un récit qui parle du monde à travers des personnages touchants. Qui donne du sens à un livre dit « de genre ». A titre personnel, j’aurais même aimé davantage de détails sur ces scandales (mais j’ai fait mes recherches ensuite).

Supplément d’âme

Les amateurs de thrillers en auront pour leur argent, l’écrivaine utilise beaucoup des ficelles qui font qu’on reste accroché aux pages. Chapitres courts, rebondissements, faux semblants, tension, rythme, tout y est.

Avec ce supplément d’âme insufflé à travers le destin de personnages travaillés avec soin, même (malgré) le rythme soutenu. Un style sobre et accessible, qui sait aussi faire passer des sensations fortes.

Il faut dire que la maîtresse de cérémonie n’est pas du genre à ménager ses ouailles, y compris ceux en charge de l’enquête depuis la Belgique.

Les lecteurs de Clarence Pitz retrouvent ici quelques têtes connues, dont l’inspecteur Karel Jacobs (et sa fille, qui va se voir offrir un rôle prépondérant). Les nouveaux lecteurs n’auront aucun problème à entrer dans ces vies de papier, le livre se lisant individuellement.

Qui sont ces serpents qui sifflent…

La partie enquête ne révolutionne rien, efficace. C’est bien les moments se déroulant en Afrique qui font émerger le livre du flot incessant de romans du genre.

Avec une autrice qui a su déjouer les pièges pour que ce roman tienne la distance. Qu’il fasse passer ses messages sans noyer l’aspect suspense. De quoi contenter les lecteurs qui aiment frémir tout en étant sensibles à la douleur du monde.

Les enfants du serpent est un thriller qui risque fort de siffler un moment à vos oreilles, acouphènes d’un récit qui vibre par sa dureté autant que par les émotions transmises par des personnages puissants.

Clarence Pitz est une vraie conteuse d’histoires, fictionnelle mais avec des gros morceaux de réel, et avec une belle humanité.


Yvan Fauth

Sortie : 09 octobre 2023

Éditeur : IFS / Collection : Phénix noir

Genre : thriller

Prix : 19 €

4ème de couverture

2012. La brutalité des hommes s’abat sur le village de Bumia, à l’est de la République Démocratique du Congo. Un groupe armé surnommé « les arracheurs » commet les pires atrocités. Parmi les victimes, Gloria et sa fille Phionah. L’âme blessée, le corps ravagé, elles parviennent à prendre la fuite, laissant derrière elles un champ de cendres et plusieurs dizaines de morts.   

2017. Au cœur de Bruxelles, dans le quartier populaire de Matonge, un homme défiguré et énucléé est retrouvé dans un caniveau. L’inspecteur Karel Jacobs reconnaît la signature des « arracheurs ». A l’approche du procès d’un de ces miliciens, Jacobs craint que les témoins du massacre de Bumia ne soient à nouveau en danger. Engagé dans une course contre la montre, il va devoir se plonger dans ses souvenirs pour sauver la vie des deux rescapées. Mais aussi de ses proches.



Catégories :Littérature

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7 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Le sujet est passionnant et très bien mené. Effectivement, quand un thriller aborde ce genre de thématiques, je dis OUI 👍

  2. Nath - Mes Lectures du Dimanche – Livres, ongles & Rock 'n Roll

    Voilà une chronique que j’attendais, je suis ravie de te voir conquis par le fond et la forme… et merci d’avoir remis les pendules à l’heure en début de chronique !

  3. Vingt et une pages – Franche-Comté, France – Je m'appelle Ludivine. Lectrice curieuse, je partage avec vous mes découvertes sur Vingt et une pages, un blog littéraire et décontracté ! ☕🍃

    Nath m’avait déjà bien tenté avec ce roman et ta chronique en rajoute une couche. Je ne connais pas encore les romans de Clarence Pitz mais elle semble très habile pour lier le suspens avec des thèmes difficiles et réels. Merci pour cette chronique. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Bonne découverte alors !

  4. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Je vais de le finir et j’ai pris une sacrée claque.
    Quelle conteuse en effet !

Rétroliens

  1. Les enfants du serpent – Clarence Pitz – Amicalement noir

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