Interview Mo Malo – La Mélancolie de l’ours polaire

1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

Editeur : Paulsen

Sortie : 14 septembre 2023

Lien vers ma chronique du livre

Avec ce texte, tu reviens sur ton deuxième voyage au Groenland, pour nous le faire vivre au plus près des ressentis. Mais on est loin du voyage touristique…

En effet ! Déjà, la destination choisie se situe assez loin des routes touristiques « ordinaires » du Groenland. Kullorsuaq, au nord-ouest du pays, est une petite île isolée, occupée à l’année par 450 habitants seulement, et en grande partie coupée du reste du monde lors de la saison hivernale. Elle est certes desservie par un hélicoptère, mais celui-ci est presque aussi souvent en panne qu’il ne décolle. La localité la plus proche, l’île d’Upernavik, se situe à 200 km au sud. Depuis la France, il faut pas moins de 5 vols et 3 jours complets pour s’y rendre… quand tout se passe bien !

Alors pourquoi aller me coller dans un endroit pareil ? me demanderas-tu à raison. On touche là à l’objet même de mon voyage, et ce qui le différencie je pense des promenades touristiques. Si j’ai choisi cette destination, c’est avec en tête un but bien précis, et assumé : côtoyer certains des derniers chasseurs inuit d’ours polaires. Or, via mes contacts sur place, en particulier le guide et explorateur polaire Nicolas Dubreuil que je remercie ici pour toute son aide, je savais que certains chasseurs-pêcheurs autochtones pratiquaient encore cette chasse extrêmement exigeante. Et aussi très décriée sous nos latitudes… J’y allais donc pour cela : tenter de comprendre pourquoi des hommes persistaient à s’adonner à cette pratique ancestrale, alors même qu’elle échappe à toute logique économique et qu’elle se confronte à l’opinion publique mondiale, laquelle réprouve par principe tout ce qui peut menacer des espèces déjà fragilisées par le réchauffement climatique.

Ce livre n’est donc pas juste une exploration de la banquise en plein hiver polaire, mais aussi celle d’un sujet au cœur des enjeux écologiques actuels, et in fine bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Pour en appréhender tous les enjeux et toutes les lignes de tension, je n’avais donc d’autre choix que d’aller vivre leur vie par -40°.

 » Je le savais dès que j’ai conçu ce projet et ce livre, j’allais devoir m’y confronter moi-même « 

C’est un vrai livre d’aventure qui peut aussi se lire comme un roman…

L’aventure, j’ai par nature plus l’habitude de l’imaginer que de la vivre. Je suis romancier avant tout… même si j’ai pour coutume de me rendre dans les pays du monde où je situe mes intrigues. Or, dans ces régions de l’Arctique, l’aventure commence dès qu’on pose le pied hors des villages. Les difficultés sont omniprésentes et le danger est partout. Au Groenland, en dehors de quelques grosses agglomérations (en particulier Nuuk, la capitale), la vie quotidienne s’apparente plutôt à de la survie. Se déplacer, s’alimenter, se chauffer, se soigner, travailler… Tout est une épreuve de chaque jour, de chaque instant.

Alors cette fois-ci, je le savais dès que j’ai conçu ce projet et ce livre, j’allais devoir m’y confronter moi-même. Ce que je ne savais pas, en revanche, c’est que mon périple allait être à ce point semé d’embûches, y compris dans des étapes que je pensais a priori sécurisées et plus « confortables ». Avec le recul, je me dis que ces mésaventures, assez pénibles sur le moment, on sans doute ajouté une petite note picaresque à mon récit, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Quant à la forme, même si elle suit en grande partie le fil chronologique de mon voyage, on ne se refait pas je pense. Je le dis d’ailleurs en préambule de l’ouvrage. Je n’ai aucune prétention à livrer ici une étude ethnologique savante. Je n’apporte que mon regard de conteurs d’histoires. Mais ça tombe bien : la culture inuit, orale par essence, regorge de contes et légendes. Et le parcours des chasseurs groenlandais est lui aussi digne des meilleurs récits d’aventures.

Je n’ai donc pas eu à forcer mon savoir-faire, juste à me laisser porter par ce que je découvrais sur place, et les question et réflexions que cela soulevait en moi.

Ce texte est aussi introspectif, tu te livres beaucoup…

Désolé pour cette tarte à la crème, mais il me semble que tout voyage – en tout cas lorsqu’il échappe à la forme normée et balisée des offres touristiques – est une occasion de s’interroger sur soi-même. Je n’y ai pas échappé. Et comme nombre de voyageurs-conteurs avant moi, bien plus expérimentés et méritants cela va sans dire, j’ai réalisé que ces déplacements au bout du monde étaient autant l’occasion de se transformer au contact de ses découvertes, que celle de revenir à sa véritable nature, tel Ulysse rentrant à Ithaque.

Il est vrai que dans mon cas ce paradoxe élémentaire m’a fait toucher du doigt des aspects très intimes de ma personnalité. Et en cela, ce voyage est un peu celui d’une vie, en ce qu’il m’a aidé à éclairer et accepter ce que j’avais le plus de mal à supporter chez moi. Un voyage cathartithaque, en quelque sorte ! Bref, et je laisse mes lecteurs le découvrir par eux-mêmes, mais il n’est sans doute pas fortuit que je me sois pris d’une telle passion pour cette figure qu’est l’ours polaire…

 » Si j’ai pris la plume, c’est justement pour avoir l’espace et le temps nécessaire au développement d’un propos documenté et plus nuancé  »

Concernant la chasse dans ces contrées, tu as tenté de dépassionner le sujet pour apporter matière à réflexion…

Il serait vain de résumer ici tous les tenants et aboutissants de ce sujet. Si j’ai pris la plume, c’est justement pour avoir l’espace et le temps nécessaire au développement d’un propos documenté et plus nuancé. Mais oui, tu as raison, mon ambition première est ici d’inciter le lecteur occidental à dépasser sa réaction émotive initiale, empreinte de culpabilité, dès qu’on associe les mots « chasse » et « ours polaire ». Comme je l’expose de manière plus détaillée dans La Mélancolie de l’ours polaire, tout a débuté en 1973, quand la population mondiale d’ours blancs était au plus bas (près de trois fois moindre qu’aujourd’hui) et que des règles internationales de protection de l’espèce ont été fixées. Dès lors, l’espèce est devenue l’emblème des victimes du réchauffement climatique, et une sorte d’espèce totem intouchable dans l’esprit des Occidentaux, eux-mêmes responsables au premier chef dudit réchauffement.

Au-delà de ce paradoxe absurde et même assez cruel – ceux-là mêmes qui mettent en péril l’ours polaire viennent expliquer à ceux qui vivent en bonne intelligence avec lui depuis des millénaires que c’est « mal » de le chasser – j’ai voulu montrer comment les destins respectifs des ours, des Inuits et de nous-mêmes étaient intimement liés. En quoi la persistance de cette chasse vivrière et soumise à des quotas très stricts était, au-delà des apparences et des affects, le gage d’un rapport plus harmonieux au milieu naturel.

Comme ça l’a fait pour toi, est-ce-que tu espères que cette expérience pourra aider à voir le monde autrement, à mieux l’écouter ?

Ce serait faire porter un grand poids sur mes frêles épaules de romancier. J’espère juste avoir choisi les bons mots pour ébranler un tout petit peu les opinions toutes faites sur ces sujets. Tu parles d’écoute, et je sais à quel point cette notion est importante et sensible pour toi. Je me permettrai de l’élargir en utilisant le terme d’attention, tant il est vrai que tous les sens peuvent et doivent être mobilisés.

Dans mon livre, je cite beaucoup le philosophe et pisteur Baptiste Morizot. Et partager la chasse à l’ours avec les inuits m’a prouvé, par l’expérience, à quel point il visait juste quand il nous incitait à un regain d’attention au monde et aux autres formes de vivant qui l’occupent. Alors si moi aussi, à ma manière, je peux inciter ceux qui me lisent à ce changement d’attitude vis-à-vis du milieu qu’ils habitent ou qu’ils visitent, j’aurais apporté ma toute petite pierre à cet édifice à la fois si fragile et si essentiel.

Photo @Sophie Mary, durant les Quais du polar 2023



Catégories :Interviews littéraires

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6 réponses

  1. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Merci Messieurs pour ce bel entretien 😀

  2. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Super intéressant ! J’aime beaucoup Mo Malo ♥️

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      voilà bien quelqu’un de vrai et effectivement de passionnant à côtoyer !

  3. Je ne connaissais pas cet auteur et cela m’a donné envie de le découvrir. Déjà j’avais beaucoup apprécié votre critique du livre. Donc là je sais que c’est quelqu’un que j’ai envie de suivre. Merci pour cette découverte qui correspond vraiment à ce que j’aime lire.

  4. Merci à vous deux pour ce bel échange 🙏 😘

Rétroliens

  1. La Mélancolie de l'ours polaire - Mo Malo - EmOtionS, blog littéraire

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