Quand on eut mangé le dernier chien – Justine Niogret

Du blanc, partout. De la glace à perte de vue. Pas l’ombre d’une vie, rien que l’immensité désertique. On dirait le Sud, le temps dure longtemps. Depuis des millions d’années. Et toujours cet hiver.

Coller au réel

Le roman de Justine Niogret conte une exploration, qui ne va pas bien se dérouler. Celle de trois hommes lancés aux confins de l’Antarctique pour cartographier un monde encore inconnu. Même si le texte reste évasif, l’action se passe dans les années 1910 et est inspirée de faits réels, d’une équipée qui s’est bien lancée dans le grand Sud.

Un Australien, venu de la terre la plus proche, un Anglais et un Suisse. Pour un même objectif, défricher une terre encore vierge de tout passage humain (et animal). Trois hommes et leur horde de chiens.

Quand on eut mangé le dernier chien, le titre du roman donne immédiatement le ton, annonçant tout de suite l’un des fins mots de l’histoire. Parce que l’objectif n’est pas développer un suspense mais bien de coller au plus près de la réalité de cette expédition qui va tourner au drame.

200 pages, ça peut paraître court, mais c’est en fait le format idéal pour ce récit, tant l’autrice se montre minutieuse et pointue concernant les ressentis des trois équipiers.

A l’os

Justine Niogret n’est pas la première venue, principalement connue pour ses romans de l’Imaginaire. Son premier, Chien du heaume a été bardé de prix. J’ai aussi en mémoire ; marque indélébile ; son roman noir La viande des chiens, le sang des loups sous le pseudonyme de Misha Halden.

Pour cette histoire vraie romancée, son profil et sa plume se révèlent parfaits. Il fallait faire preuve de bien d’imagination pour recréer le vrai ! D’invention pour parler du réel, d’esprit pour développer cette incroyable empathie envers ces personnages.

Le travail sur la narration, la construction des personnages, l’environnement et les émotions est assez incroyable. Chaque mot est pesé. A l’image des explorateurs qui ne peuvent pas se permettre d’emmener des futilités, l’écriture est à l’os, à ronger. Mais au plus près des corps et de leurs réactions, hommes et chiens.

Ascèse

Comme sur ces terres gelées où le temps n’a pas la même dimension, il convient de prendre le temps pour savourer, pour se laisser imprégner, envahir par cette immensité et ces conditions dantesques.

Pour survivre, il faut aller au-delà de ses limites, viser l’ascèse (mot utilisé à plusieurs reprises, par son importance). Oui, libérer l’esprit en demandant au corps bien plus qu’il ne peut donner, savoir se priver volontairement pour ce qui peut être vu comme de héroïsme. Ou de la folie.

Il faut bien une certaine folie pour partir ainsi, mais aussi de la folie pour tenter de revenir. Mais, comme le dit l’un des protagonistes, « Seul l’acte d’avancer à un sens, le retour n’existe pas ».

Pourquoi s’imposer cette douleur ? Pour chercher quoi ? C’est en allant au bout de leurs forces que certains trouveront (peut-être) un semblant de réponse.

En ce début de siècle dernier, il restait tout à découvrir, être le premier à poser le pied sur la banquise.

Saisissant

En faisant preuve d’auto-discipline, jusqu’à aller vers sa propre animalité.

Avec une conteuse qui ne surjoue pas. Au contraire, on perçoit la somme de recherches effectuées pour que ce récit sonne vrai. Pour faire ressentir au mieux les affres d’une telle virée.

Pour découvrir avec stupéfaction ce climat, ce décor qui en devient tangible par la grâce d’une écriture juste et tellement puissante de vérité. Et je le répète, sans jamais en rajouter mais avec une vraie poésie noire, toujours collée aux personnages et aux terrifiants événements qu’ils endurent. Le titre du livre explique bien que rien ne se fera dans la facilité.

Quand on eut mangé le dernier chien, que resta-t-il ? Le livre de fiction / réalité de Justine Niogret est une expérience littéraire saisissante, qui percute de plein fouet votre humanité, belle grâce à des hommes valeureux jusqu’au bout malgré les conditions épiques. Dure par la violence de ce qu’ils endurent. Il fallait du talent pour ainsi raconter cette aventure, l’autrice en a énormément.

Yvan Fauth

Sortie : 24 août 2023

Éditeur : Au diable vauvert

Genre : fiction inspirée d’une histoire vraie

Prix : 19 €

4ème de couverture

Il n’existait pas de mots pour en parler, puisque les mots étaient une façon de communiquer entre les Hommes et que le Sud était par essence totalement inhumain. Il s’agissait d’une vie étrangère, une vie de glaces, de minéraux et de vents.

C’était un voyage au bout duquel il n’y avait rien. On ne pouvait se risquer dans cet espace que pour un court instant et on savait que l’on marchait non pas dans la mort, car la mort est une action, un fait, mais plus exactement dans un endroit où il était impossible de vivre.



Catégories :Littérature

Tags:, , , ,

13 réponses

  1. Un billet qui donne envie, bravo.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      merci Bruno !

  2. Mais où vas tu chercher des mots pareils qui raclent jusqu’à la moelle ? Merci à toi pour la chronique 🙏 😘

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      je ne sais pas, ahah !

  3. J’aime beaucoup les histoires tirées de faits réels et encore plus lorsque cela se passe dans des contrées lointaines très inhospitalières. Cette atmosphère me plait particulièrement. Encore un livre de plus sur ma liste. Merci.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      il faut tenter alors oui, le livre en vaut la peine

  4. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Je l’avais en main samedi ! Tu me donnes bien envie de le découvrir, je ne connais pas du tout Justine Niogret, ce sera l’occasion de la découvrir ♥️

  5. Lord Arsenik – Noumea - Nelle-Calédonie

    Yapuka bouffer les chats ! Dans le collimateur, je connais Justine Niogret de nom, mais je n’ai jamais eu l’occasion de lire ses romans.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      les chats ne sont pas cons, ils restent au chaud 😉

  6. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Oh, Yvan chante le sud ! Tu veux que je pousse la chansonnette ?? 😆

    Mais enfin, on ne mange pas les chiens ! Ni les chats… fallait bouffer les hommes 🙂

  7. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    J’aime bien ce que fait Justine Niogret.
    Là je note mais pas pour maintenant, trop de truc en même temps….

Rétroliens

  1. Quand on eut mangé le dernier chien – Justine Niogret – Amicalement noir

Laisser un commentaireAnnuler la réponse.

%%footer%%