Interview Audrey Brière – Les malvenus

1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

Interview Audrey Brière

Les malvenus

Editeur : Seuil

Sortie : 03 février 2023

Lien vers ma chronique du roman

Il s’agit d’un polar, avec une enquête, mais j’ai envie de dire pas seulement, loin de là…

C’est une remarque très intéressante. En effet, quand j’ai commencé à écrire cette histoire (sans savoir qu’elle serait publiée par le Seuil), à aucun moment je n’ai songé « je vais écrire un polar ». Je n’ai pas réfléchi à l’intrigue en termes de genre, je me suis laissée porter. Et quand j’ai proposé le produit fini et que mon éditrice m’a dit « banco, tu vas chez Seuil Polar », je lui ai répondu « ah bon ? ». J’étais ravie, notez bien, le polar étant un genre que j’adore, mais je ne l’avais pas anticipé.

Quand je dis que je me suis laissée porter, ce n’est pas tout à fait exact 😉. Mon premier souhait (et la façon dont j’écris d’une façon générale) était de construire une histoire, de dérouler une intrigue presque visuellement, un peu à la façon des tableaux des enquêteurs dans les films, avec les photos, des fils de laine rouge reliant des punaises, etc. J’aime énormément le travail préliminaire à l’écriture, la phase de recherches et de réflexion, le moment où l’on dessine le plan de son histoire comme on dessine le plan d’une maison pour être sûr qu’une fois les murs élevés, les fondations soient solides. L’écriture, pour moi, c’est pareil. C’est un métier de bâtisseur, si j’ose dire.

J’avais également à cœur d’esquisser des personnages riches, complexes, multiples… J’aime que rien ne soit laissé au hasard dans l’histoire, que chaque détail ait une signification. Du coup, l’enquête principale est importante, mais tous les autres éléments moins « policiers » le sont tout autant.

” Il me fallait également un contexte de privation, de rationnement ”

Qu’est-ce-qui vous a poussé à choisir cette période et ce genre d’endroit pour raconter votre histoire ?

Le village de Haut-de-Cœur, dans lequel se déroule l’histoire, est inspiré d’un véritable village de Bourgogne (qui existe sous un autre nom), dans lequel mes arrière-grands-parents ont vécu une bonne partie de leur vie. Après le décès de mon arrière-grand-mère, j’ai hérité d’un carton de vieux documents : photos anciennes, lettres datant de la guerre, cartes postales… J’avais déjà quelques prémisses d’idées pour les Malvenus, mais ce sont vraiment ces souvenirs qui ont été l’élément déclencheur. Cela m’a donc paru naturel de situer l’histoire dans ce village. Il existe tel qu’il est décrit dans le livre, jusqu’aux noms des rues et l’emplacement des commerces… Seuls le nom du lieu et l’emplacement du couvent ont changé.

Quant à l’époque, j’avais envie de parler des débuts de la police scientifique. Je trouve cette époque et ces inventions fascinantes. Il me fallait également un contexte de privation, de rationnement ; l’époque devait justifier l’isolement extrême de ce petit village bordé de forêt… d’où la guerre. Ces éléments additionnés ont donné l’année 1917.

Dans cette région où tout le monde pense se connaître, les secrets pèsent pourtant lourdement…

Eh oui ! Vous savez, la fameuse phrase « on ne connaît jamais vraiment ses voisins… » est tellement exacte !

Plus concrètement, la décision même de créer des personnages orphelins impliquait nécessairement la dimension du secret. Ces enfants sans parents, sans passé, sans histoire… leur existence même est entourée de secrets. Il était assez logique à mes yeux que ce même secret les suive, les enveloppe, leur colle à la peau… Et soit à l’origine de leurs drames personnels.

” Je les ai voulus imparfaits, plein de trous, agaçants, touchants, peu ordinaires… et en même temps forts, presque féroces dans leurs objectifs “

Vos personnages principaux sont formidables, très caractérisés, atypiques, décalés…

Merci beaucoup 😊. J’ai pour eux une immense affection. Je les ai voulus imparfaits, plein de trous, agaçants, touchants, peu ordinaires… et en même temps forts, presque féroces dans leurs objectifs. Quelques lecteurs m’ont confié avoir trouvé Matthias difficile à aimer… et malgré tout très attachant ! J’adore ce paradoxe. Quant à Esther, je pense que ce sont ses zones d’ombre qui attirent. Elle donne très peu, elle retient beaucoup de choses, mais j’espère avoir réussi à lui donner ce pouvoir d’attraction.

Au-delà du duo principal, j’ai une tendresse vraiment particulière pour Antoine, que je considère un peu comme un être condamné à la vie malgré lui, à la fois triste et plein de panache. Il est la faiblesse de Matthias, la faiblesse de Jeanne, et pourtant il est doté d’une grande force.

Quand vous dites « très caractérisés », je pense que vous faites allusion aux détails visuels des personnages, comme leurs habits ou accessoires. C’est une sorte d’emprunt au film Il était une fois dans l’ouest, dans lequel chaque personnage est illustré par une musique qui lui est propre. Quand les premières notes de musique retentissent, on sait immédiatement quel personnage va entrer en scène. A mon sens, cela contribue à incarner les personnages, tout en leur conférant ce fameux côté décalé dont vous parlez.

C’est une époque qui voit aussi une révolution des techniques d’investigation…

Oui, l’époque est foisonnante en termes d’inventions de nouvelles techniques de police scientifique ! Pour l’ancienne étudiante en droit que je suis, doublée d’une grande amatrice de polars, l’anthropométrie d’Alphonse Bertillon ou encore le premier laboratoire de police judiciaire d’Edmond Locard sont des sujets passionnants. A l’heure de la reconnaissance faciale et des algorithmes tout puissants, j’ai adoré me plonger dans les balbutiements de la police judiciaire. Cela nous rappelle que le travail d’enquêteur est un travail avant tout bien humain. Que Matthias, policier fictif, se retrouve embarqué dans la grande Histoire au milieu de ces figures historiques s’est naturellement imposé. J’adore l’idée que, si un récit est bien ficelé, la petite et la grande histoire s’entremêlent et que les pistes se brouillent…

Photo de Sophie Mary, aux quais du polar 2023



Catégories :Interviews littéraires

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8 réponses

  1. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Celui-ci il me le faut !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      indispensable pour toi

  2. j’ai adoré ce livre, à lire absolument !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      merci pour cet enthousiasme !

  3. Merci à vous deux pour ce bel échange. 🙏😘

  4. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Passionnant !!! L’exercice de l’interview apporte toujours des éléments significatifs pour mieux apprécier le texte. J’ai beaucoup aimé ce roman ♥️

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      quand on sait écrire un tel bon roman, on a habituellement des choses très intéressantes à dire :-). En voilà un nouvel exemple

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