Interview Isabelle Amonou – L’enfant rivière

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

ISABELLE AMONOU

Titre : L’enfant rivière

Editeur : Dalva

Sortie : 05 janvier 2023

Lien vers ma chronique du roman

Comment est venue cette idée de placer l’histoire dans un futur proche ?

C’est la concordance de plusieurs événements qui m’a incitée à choisir un futur proche. Lorsque je suis arrivée au Canada (en résidence d’écriture), j’étais en train d’écrire une nouvelle d’anticipation pour un recueil collectif dont l’objet était d’imaginer Rennes à l’horizon 2030-2040 (le recueil est paru en 2020 aux Éditions Goater, il s’appelle Rennes No(ir) futur).

Ma nouvelle contenait en germes les ingrédients du roman à venir. La rivière, la Vilaine, y tenait une place importante. J’ai été fascinée par la rivière des Outaouais, aussi impressionnante que symbolique. J’ai éprouvé l’envie de transposer et amplifier ma nouvelle au bord de cette rivière-frontière. En conservant l’anticipation, mais pas trop, car le propos était d’appuyer légèrement le présent pour en accentuer les dérives, pas de le faire sombrer dans une dystopie.

Le récit sert deux personnages principaux qui vivent la disparition de leur enfant de manière différente…

La disparition d’un enfant est terrifiante. Ça ne m’est heureusement pas arrivé, mais je suis incapable de dire comment j’aurais réagi si l’une de mes filles avait disparu de cette manière. Alors, j’ai effectivement choisi deux réactions opposées qui correspondent à mes personnages. Thomas, le cérébral, plutôt doux en gentil, est aussi passif : il se résigne à accepter la disparition de son enfant, même si elle le détruit. Mais Zoé, écorchée, révoltée, toujours dans l’action, refuse cette disparition avec un acharnement qui peut paraître insensé. Et cette différence de réaction fait exploser leur couple. Alors que ces deux manières de vivre le drame recouvrent une même souffrance, mais non partagée, parce que peut-être d’une telle violence que non partageable.

 » Une femme qui s’est construite sur la colère, une personnalité explosive, en opposition complète avec celle de Thomas. Aussi prévenant qu’elle est impulsive, aussi raisonnable qu’elle est imprévisible mais dont l’amour n’aura pas suffi à l’apaiser « 

Je voulais un personnage de femme à la fois vulnérable et forte. Un peu à l’image du personnage de Dalva (qui est aussi le nom de ma maison d’édition) dans le roman de Jim Harrisson. J’ai construit Thomas en opposition. Il m’intéressait de mettre en scène deux personnages tout à fait opposés dans leur rapport au monde et à leur enfant : Zoé, un tantinet négligente car persuadée de ne pas être capable de l’élever, et Thomas, étouffant à force d’anxiété. Tous deux prisonniers de leur héritage familial. Rencontrer Thomas a permis à Zoé de trouver la force de s’éloigner de sa famille toxique et l’a apaisée dans un premier temps, mais paradoxalement la naissance de leur enfant, et donc la création d’une nouvelle famille, a tout chamboulé, et la disparition les a détruits. L’un s’enfuit, l’autre reste avec sa rage de vivre qui lui permettra d’accéder finalement à une forme de rédemption, dans une « famille » reconstruite à l’écart des cadres normatifs.

Le Canada est vraiment une terre idéale pour raconter cette histoire…

Oui, et en particulier cette région, je crois. La rivière des Outaouais représente une frontière aussi physique que symbolique : entre deux états, deux langues, plusieurs cultures… J’ai eu la chance incroyable d’être invitée là-bas en résidence d’écriture. J’ai passé le mois de novembre 2019 dans une maison patrimoniale, au milieu d’un parc, dans la neige… c’était une expérience fantastique (c’était le nom de la résidence, d’ailleurs, la Fantastique résidence).

J’ai fait là-bas beaucoup de rencontres précieuses, j’ai pu explorer les deux villes et la région, et en rentrant en France, j’ai beaucoup lu sur la rivière des Outaouais, les explorateurs, les populations autochtones, l’histoire des pensionnats. Je suis tombée un peu amoureuse du lieu, qui est devenu un élément essentiel. C’est le cas dans tous mes romans, je crois, le lieu finit par devenir un personnage à part entière.

Vous abordez aussi plusieurs thèmes de société, dont le réchauffement climatique et les tensions sociales, sous couvert de l’anticipation…

Le roman mélange plusieurs thèmes que j’avais envie de traiter : en premier lieu la perte (de l’enfant, du couple, de la famille, des illusions), qui est au centre de mes derniers romans. Mais aussi le dérèglement climatique qui, comme tout le monde, m’inquiète, et encore le sort infâme qui a été fait aux autochtones du continent américain, les migrations, la maternité, l’inné et l’acquis, les États-Unis de l’ère Trump… L’anticipation m’a effectivement permis d’orchestrer tout ça. Même si elle reste bien sûr un prétexte pour aborder un futur proche qui n’est qu’une continuation du présent et résonne avec le passé.

 » Je me suis rendu compte a posteriori que, dans une moindre mesure, c’est aussi mon histoire « 

La question des racines est, elle aussi, bien présente…

C’est aussi un livre sur l’identité, effectivement. Thomas est anglophone de famille protestante. Zoé est algonquine par sa mère, mais celle-ci a refusé de lui transmettre le moindre héritage. Ni la langue, ni la famille, ni la culture. C’est avec son père qu’elle a appris la chasse, la pêche… et la violence. Il y a un manque en elle dont elle se rend compte mais qu’elle ne veut pas accepter et ne sait pas combler. Elle apprendra à l’apprivoiser en parlant enfin avec sa mère qui a, elle, complètement nié ses racines (mais signe ses tableaux du matricule qu’on lui avait attribué dans les terribles pensionnats autochtones) mais va devoir, sous la pression de ses enfants et petits-enfants, rouvrir cette page douloureuse de son histoire. La violence subie a brisé la transmission générationnelle, mais tout n’est pas encore perdu.

Je me suis rendu compte a posteriori que, dans une moindre mesure, c’est aussi mon histoire. Mes parents n’étaient pas nés francophones (leur langue maternelle était le breton), on leur a inculqué le français de force. Et ils ne m’ont jamais appris leur langue.



Catégories :Interviews littéraires

Tags:, , , , ,

4 réponses

  1. Nath - Mes Lectures du Dimanche – Livres, ongles & Rock 'n Roll

    Il a rejoint ma PAL 😊

  2. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Je vais regarder ses autres romans 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      en mode bretons 😉

Rétroliens

  1. L'enfant rivière - Isabelle Amonou - EmOtionS, blog littéraire

Laisser un commentaireAnnuler la réponse.

En savoir plus sur EmOtionS, blog littéraire

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

%%footer%%