Interview – 1 livre en 5 questions : Jungle pourpre – Julie Ewa

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

JULIE EWA

Titre : Jungle pourpre

Editeur : Albin Michel

Sortie : 27 avril 2022

Lien vers ma chronique du roman

Ce roman est sans aucun doute ton plus personnel…

Et comment ! Je crois même que ce livre est le plus personnel de tous. Au-delà de l’intrigue policière et du suspens, je me suis énormément inspirée de ma propre expérience en Indonésie : une aventure humanitaire qui s’est transformée en… polar !

Lors d’un long voyage en Asie, j’ai rencontré à Yogyakarta un homme prénommé Aron qui a grandi dans la rue. Il vendait des colliers à la sauvette et malgré son passé trouble, il rêvait d’aider les enfants des rues. Sa générosité m’a touchée, de même que le sort de ces gamins livrés à eux-mêmes sur les trottoirs. J’ai décidé de rester en Indonésie pour monter un projet avec lui : ouvrir un centre pour les enfants des rues. Nous avons créé une association ensemble. Finalement, nous nous sommes installés à Padang dans un quartier pauvre aux maisons de bois et de taule. Les premiers mois n’ont pas été faciles, mais j’ai réussi à m’intégrer.

Dix mois plus tard, un événement a tout fait basculer. Je n’entrerai pas dans les détails : ceux qui liront mon livre devineront sans doute ce qui s’est passé. J’ai traversé des semaines sombres où j’ai découvert le poids des réseaux mafieux et les trafics existants. Heureusement, je n’ai pas été personnellement en danger – j’essayais de m’en persuader – grâce à l’aide d’un policier que j’ai rencontré et qui s’appelle Ankga. Ankga est devenu l’un des héros de cet ethno-polar. Mais bien sûr, j’en enrobé mon vécu dans une grosse couche de fiction.

Comme souvent, ton histoire se déroule en grande partie à hauteur d’enfant…

C’est mon côté éducatrice spécialisée qui parle… Le point de vue des enfants me fascine. Les enfants sont spontanés et authentiques. Ils mettent les adultes face à leurs propres contradictions : ils sont comme des miroirs qui nous invitent à nous questionner sur nos croyances et nos modes de fonctionnement.

La petite héroïne de mon livre a onze ans et demi. Elle s’appelle Dea et a grandi dans la jungle. En Indonésie, l’école a un coût, et beaucoup de familles pauvres sont en difficulté pour scolariser leurs enfants. Dea ne veut pas infliger ce fardeau à ses proches, alors elle s’enfuit de chez elle et rejoint un groupe d’enfants des rues. J’adore Dea, car elle a un côté garçon manqué qui me rappelle ma propre enfance, lorsque je grimpais aux arbres et que je jouais dans la rivière. Dea est aussi très vive d’esprit : elle remet en question son éducation, sa culture, sa religion, parce que le système lui paraît injuste et que les adultes se contredisent.

L’Indonésie est un pays à majorité musulmane, traversé par des courants radicaux. Une partie de la population se sent tiraillée et sous pression. Sur place, j’ai eu de multiples occasions de remarquer comment ces pressions s’exerçaient. Les filles sont les premières touchées, et ce, dès leur plus jeune âge. Par exemple, des excisions sont pratiquées sur les bébés. Les femmes avec qui j’ai échangé n’avaient même pas conscience de ce qu’on leur enlevait. Comment une telle violence est-elle possible ? Ce livre essaie de donner un point de vue qui se veut immersif.

Mais il y a aussi une enquête, qui permet d’apporter un autre rythme à l’ensemble, même si elle n’est pas le point de vue essentiel…

Oui, comme je viens de l’évoquer, j’aborde beaucoup de thèmes forts dans ce roman : la pauvreté, le droit des enfants, l’émancipation des femmes, la religion… Mais il s’agit avant tout d’un polar avec des flics qui enquêtent.

Il y a une part fictive : des disparitions, des meurtres, une investigation menée par un trio de policiers issus d’une brigade de stupéfiants. Je m’appuie sur des faits réels, mais j’ai tâché – comme dans mes précédents livres – d’instaurer une dynamique de roman policier : des chapitres courts, du suspens, des rebondissements, des émotions.

Pour moi, l’écriture doit rester un jeu et un plaisir. Mon plaisir, c’est de divertir le lecteur, de l’embarquer, le dépayser, le bousculer et le surprendre jusqu’à la dernière ligne.

Es-tu de ceux qui pensent que pour une parfaite immersion du lecteur, l’auteur doit raconter ce qu’il a vu de ses propres yeux ?

Je ne crois pas que cela soit une nécessité, sinon, les trois quarts des romans seraient à jeter la poubelle. À titre personnel, je remarque que j’arrive plus facilement à décrire des paysages et des atmosphères quand je m’en suis imprégnée. Il m’est aussi plus facile de décrire des sentiments et des émotions que j’ai éprouvés à l’intérieur, ou par empathie, au contact des personnes concernées. Enfin, je me sens plus légitime à aborder des problématiques auxquelles j’ai été confrontée.

Je sais que ce livre soulève un sujet sensible qui est l’islamisme et la radicalisation en Indonésie. Je marche sur des œufs ! Mais je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas vécu sur place, avec un conjoint musulman et parmi des voisins musulmans qui sont devenus des amis. Depuis quatre ans, les activités de mon association se poursuivent et je suis régulièrement témoin de situations qui font écho à celles de mon roman. Les points de vue que je donne sont ceux de personnes qui existent.

Bien sûr, ce sont des points de vue subjectifs. A chacun de se forger son propre avis. Je n’ai personnellement pas de réponses à toutes les questions que je me pose (et heureusement). Sur certains points, il m’est difficile de prendre parti.

Trois romans dans cette même veine humaniste, la fin d’un cycle ?

Tu es devin ! Je suis en train de passer un cap, je suis à un tournant de ma vie et de mon métier d’écrivain. Je ne dis pas que mes prochains romans ne seront pas humanistes. Ma part « humaniste » est si prégnante qu’elle transparaîtra toujours dans mes écrits.

Par contre, je ressens le désir de changer de thématique pour me consacrer à un tout autre sujet, qui me passionne depuis l’enfance : les expériences « surnaturelles ». En ce moment, une grande transformation s’opère dans mon système de croyances. Je ne sais pas encore quelles routes je vais prendre, mais je sens qu’une direction m’appelle. Depuis quelques années, j’apprends de plus en plus à écouter la voix de mon cœur.

Lien vers le site de l’association Kolibri



Catégories :Littérature

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4 réponses

  1. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Adorable Julie

  2. Mais quel bel échange encore une fois. Merci à tous les deux 🙏😘

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      avec une personne d’une telle humanité, l’échange ne peut être que beau

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  1. Jungle pourpre - Julie Ewa - EmOtionS - Blog littéraire

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