1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
XAVIER MÜLLER
Titre : Erectus, l’armée de Darwin
Editeur : XO
Sortie : 18 février 2021
Lien vers ma chronique du roman
Lorsque vous écriviez le tome 1 d’Erectus, aviez-vous déjà l’idée de lui donner une suite ?
Non, le tome 1 avait été conçu comme une histoire autonome. Certes il s’achevait par un ultime rebondissement qui ouvrait possiblement vers une suite, mais cette fin était davantage là pour stimuler l’imagination du lecteur qu’appeler une suite. Vous vous souvenez du dénouement du premier film de la Planète des singes ? Charlton Heston voit soudain émerger du sable la statue de la Liberté et comprend, dévasté, que la planète sur laquelle il a atterri est en réalité la Terre. La fin du tome 1 avait la même fonction.
Ceci étant, il est évident que c’était un germe pour une éventuelle suite. A la fin du tome 1, même si le virus a été contenu, on n’a découvert aucun moyen de faire revenir ses victimes à l’état d’humain. Tous ceux que la pandémie a transformé en erectus ont été parqués dans des gigantesques réserves. Et là coup de théâtre : le cri d’un nourrisson déchire l’air de la réserve africaine, alors qu’on pensait les erectus stériles et donc que leur espèce allait s’éteindre d’elle-même. Quand le premier tome s’est avéré un succès et qu’un tome 2 a été mis en chantier, il était clair que je devais m’emparer de cet élément de surprise final pour bâtir l’intrigue. Mais c’était loin de me suffire. Je voulais une histoire tout aussi forte que le premier, et surtout qui ajouterait à sa mythologie. D’où ce point de départ, avec ces erectus dans la réserve qui sont retrouvés sauvagement assassinés et arborent des traces de cannibalisme. Qui sont les auteurs de ces crimes et pourquoi ? Rapidement, on se rend compte que les erectus possèdent des facultés cognitives supérieures qui suscitent la convoitise…
C’est un vrai thriller scientifique, un divertissement mais que vous avez travaillé avec rigueur…
Pour le premier tome, je m’étais documenté sur les épidémies modernes, celles du SRAS et des virus H1N1 et Ebola notamment. Et j’avais lu avec beaucoup d’attention les documents de préparation d’une crise à grande échelle élaborés par les agences sanitaires. Tout le monde savait qu’une pandémie nous frapperait un jour ou l’autre, cela n’a été une surprise pour personne. L’idée clé de la suite d’Erectus est la possibilité que l’évolution n’ait pas uniquement été généreuse avec nous, mais qu’elle nous ait privés de facultés en même temps que nous gagnions en intelligence, au cours des derniers millions d’années. Ce que j’avance dans le livre, c’est que nos ancêtres étaient peut-être plus doués que nous sur certains aspects, sans doute même réalisaient-ils des prodiges.
Est-ce crédible ? En fait, la science a montré que nous avons des sens « cachés ». Par exemple, une légende fait de nous de piètres renifleurs. Or des chercheurs ont prouvé que nous sommes capables de remonter une piste olfactive aussi bien qu’un chien. (Nous ne sommes simplement pas sensibles aux mêmes odeurs !) Plus sidérant, en 2019, des scientifiques de l’Institut de technologie de Californie ont placé des personnes dans une enceinte magnétique et observé une altération de leurs ondes cérébrales. Comme si nous avions un sixième sens magnétique, certes affaibli, mais bien réel ! Il est possible que « cette magnétoréception, trop peu utilisée, a pu disparaître chez les humains modernes », a même écrit l’un des membres de l’équipe. Époustouflant, non ?
Par ailleurs, certains primatologues qui étudient des chimpanzés disent que, parfois, les membres d’un même groupe semblent avertis d’un danger à l’avance, sans cri ni geste, comme si l’information avait circulé entre eux par télépathie. Y a-t-il un fond de vérité dans ces récits ? Je l’ignore, mais cela irait dans le sens que nos lointains ancêtres, notamment Homo erectus, étaient, par certains aspects et avec de gros guillemets, des « surhommes ».
J’ai trouvé que vous vous étiez davantage « lâché » dans cette deuxième aventure, avec une imagination encore plus débridée…
Le premier tome se voulait « réaliste » dans la mesure du possible. Je voulais me pencher sur les conséquences d’une pandémie causée par un virus faisant régresser les espèces et sur le chaos que cette crise engendrerait dans nos sociétés. Avec le même soin qu’un entomologiste étudie les fourmis. Dans ce nouvel opus, les enjeux diffèrent, à la fois pour moi comme auteur et pour l’histoire. Il fallait que je pousse tous les curseurs un peu plus loin, sinon quel intérêt ? Cette volonté de renouvellement explique, par exemple, les étranges facultés cognitives des erectus. Une première version de l’histoire misait beaucoup sur l’aspect politique de la gestion des erectus en tant que seconde espèce humaine ; j’étais beaucoup sous l’influence des films des années 1970 qui mêlaient le thriller et la politique, dont d’ailleurs l’un des épisodes de la Planète des singes, une série qui a une évidente filiation avec Erectus. Puis à force de fréquenter des salons du livre et de rencontrer des lecteurs, je me suis posé la question : qu’est-ce que les gens aiment vraiment dans cette histoire ? Et la réponse m’a surpris un peu : ils appréciaient beaucoup plus le versant pandémique que je l’aurais pu imaginer. Et ils avaient aussi beaucoup accroché aux espèces animales préhistoriques qu’ils avaient découvertes pour la plupart d’entre eux (avec un petit faible pour le gomphotherium, l’éléphant à quatre défenses).
Là, je me suis dit que j’allais dans la mauvaise voie, que je ferais mieux de conserver la lutte sanitaire comme nœud de l’intrigue. D’où le menace d’un nouveau virus, un variant du premier mais bien plus puissant. Et dont l’origine n’a rien de naturel cette fois… Ce nouvel opus est définitivement plus épique que le premier, avec sa grande bataille finale où les erectus affrontent les humains en chevauchant des gomphotheriums. Tout cela créé une ambiance fantastique contrebalancée par le traitement réaliste et intimiste des relations entre Anna et les autres personnages, dont sa fille qui joue un rôle de premier plan, car elle a hérité de certains pouvoirs des erectus tout en étant humaine.
Au-delà du divertissement, il est également question de thèmes qui parlent de nos sociétés, racisme, peur de la différence, tolérance…
Les histoires de monstres (et Erectus en fait partie) possèdent toujours des double-fonds. Ce sont toujours des métaphores de notre capacité à accepter la différence. Comment continuer à vivre avec quelqu’un qui n’est plus vraiment lui-même ? Ou, en tout cas, qui ne réagit pas comme nous. Ce sont des questions que vous vous posez si l’un de vos proches tombe gravement malade ou est handicapé. Les hommes ont toujours été suspicieux, jaloux entre communautés, que celles-ci se distinguent par la couleur de la peau, une religion ou je ne sais autre chose qui pourrait passer pour un élément identitaire. Il ne suffit vraiment de pas grand chose pour faire naître ces sentiments négatifs en l’homme. En Papouasie Nouvelle-Guinée, il existe un village qui mène la guerre depuis des décennies contre le village de la vallée suivante. Ces gens habitent à quelques kilomètres de distance et pourtant à aucun moment ils ne se considèrent comme frères ; à leurs yeux les autres sont des étrangers, ceux qu’on désignait par le mot « Barbare » dans l’Antiquité.
Aujourd’hui une seule espèce humaine vit sur Terre. Vous connaissez beaucoup de familles d’animaux qui ne sont représentés que par un seul représentant ? Il existe plus de 12 000 espèces de fourmis, 23 de mouettes et 3 de loups. Nous sommes 7 milliards sur la planète et pourtant nous nous sentons très seuls d’une certaine manière. Imaginez un instant que nous partagions la Terre avec des cousins Néandertal ou Erectus. Si l’histoire de l’homme avait été un peu différente, la situation (et le bazar) que mon livre met en scène aurait très bien pu survenir. Aurions-nous alors invité cette espèce sœur à notre table, pour partager notre repas et notre maison ? Pas sûr…
La suite est-elle déjà bien avancée dans votre esprit ?
Même si le tome 2 se suffit à lui-même, sa fin s’ouvre, cette-fois, explicitement vers une suite. De fait mon disque dur contient un dossier « tome 3 » dans lequel j’ai jeté quelques idées. Rien n’est encore gravé dans le marbre, j’en suis à composer l’histoire, à choisir les éléments qu’elle inclura. Ce roman clôturera l’arc narratif global et ce sera le pinacle de l’affrontement entre les erectus et les hommes. Mais avant de démarrer l’écriture, je veux trouver l’idée phare, celle qui vous restera dans le crâne quand vous refermerez le livre. Je veux que mes histoires soient comme des virus mentaux, qu’elles contaminent votre cerveau et que vous ne puissiez plus les déloger. Sauf en vous faisant trépaner !
Catégories :Interviews littéraires
J’ai le premier tome dans ma pal. Quel bel échange entre vous deux. Merci. Ça donne envie de lire le second tome et le troisième même s’il est encore sur le disque dur. 🙏😘
J’adore cet échange effectivement. Lance-toi !
Bien Chef. 🎉
J’ai adoré le premier. Je récupère le tome 2 demain. Mais j’ai une 6e question : Pourquoi ces affreuses couvertures ? C’est le pompon avec la nouvelle…
c’est vrai qu’elles ne sont pas top, surtout la nouvelle
Passionnant !!! Je commande les deux 😂
Je suis d’accord, c’est super intéressant ! Très content de cet échange
Loin de moi l’idée de rajouter des livres dans nos piles…
Non, je déconne !
Si vous avez aimé Erectus, je ne peux que vous conseiller de lire et de découvrir Neandertal de John Darnton. Une merveille du genre ! Je l’avais lu en poche, dans sa première traduction en France en 1998, avant que Michel Lafon ne le réédite en grand format en 2009.
http://rivieres.pourpres.net/forum/neandertal-de-john-darnton-vt149.html?highlight=john+darnton
Merci pour le conseil (toujours avisé) !