1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
MICHAËL MENTION
Titre : Dehors les chiens
Editeur : 10/18 (poche – inédit)
Sortie : 18 février 2021
Lien vers ma chronique du roman
Tu es décidément un touche-à-tout. Voilà que tu tâtes du Western. Ça donne quoi le Far West à la sauce Mention ?
Une vision à la fois fantasmée et authentique du Far West. Si je change une nouvelle fois d’univers, ma démarche reste la même : désacraliser, démythifier l’Histoire pour revenir à l’humain et sa complexité. Je l’ai fait pour le foot, Lacenaire, Miles ou encore les Sixties, et j’avais envie depuis un moment de m’attaquer au Far West pour rétablir quelques vérités. Par exemple, les duels dans la rue… en fait, il y en avait peu à l’époque, et pour cause, la violence était mal perçue par les habitants, qui redoutaient une mauvaise publicité pour leurs villes. Bien que récente et fragile, la loi était très présente, ce qui n’empêchait évidemment pas quelques soûlards de régler leurs comptes. Du début à la fin, j’avais à cœur d’être réaliste dans le traitement du quotidien : nourriture, rémunérations, maladies contractées dans les écuries, etc.
J’aime écrire sur les époques charnières car, au-delà de l’aspect sociologique, j’y vois une matière romanesque dont je peux extraire une multitude d’éléments. J’ai situé l’intrigue après la fin de la guerre civile, une période où le pays était en reconstruction, où chaque jour apportait son lot d’avancées sociales et techniques. A travers le western, j’ai pu allier réalisme et pop culture, un mélange des genres auquel j’ai toujours cru : dans Dehors les chiens, outre l’aspect documentaire, les lecteurs trouveront aussi du rock, du pulp, du gore. A ce sujet, j’en profite pour remercier Carine Fannius et Elsa Delachair de 10/18 pour avoir soutenu mes partis pris narratifs et stylistiques.
Peux-tu nous présenter Crimson Dyke, qu’on est amené à revoir par la suite ?
Depuis cinq/six ans, je réfléchissais à un personnage récurrent et je ne voulais pas d’un enquêteur classique, de type « polar historique pour dimanche en pantoufles ». A ça s’est ajoutée une envie de western de plus en plus obsédante. Je venais de terminer De mort lente et, après avoir passé deux ans dans les lobbies et la Commission européenne, j’ai eu envie de vacances… et mon personnage s’est imposé : ni cow-boy, ni sheriff, mais un simple exécutant, exploité et sous-payé, chargé d’arrêter les faux-monnayeurs. Crimson travaille pour le gouvernement, c’est un agent des Services secrets, loin de toute imagerie fun et glamour. Bref, un pion parmi d’autres.
Je ne veux pas trop en révéler sur lui, je réserve ça aux volets suivants, mais je dirais que c’est un nihiliste à tendance idéaliste. Un homme usé qui n’a guère confiance en l’avenir, mais pas assez usé pour se tirer une balle. C’est sur cet équilibre-là que j’ai construit sa psychologie, son rapport aux autres. Crimson est un bloc d’intégrité, qui s’évertue à rester civilisé dans un monde bouillonnant. C’est un arbre dans la tempête : il résiste, il résiste, puis un jour, ça craque. Et là, comme dirait l’autre, « ça va chier ».
C’est une vraie fiction, à l’intrigue souvent surprenante, mais tu as aussi soigné tes personnages et le contexte historique…
Merci. Au début, je ne voulais pas creuser l’aspect historique (pas envie de me spécialiser dans ça), mais ma passion pour l’Histoire m’a rattrapé. Hormis Portland, j’ai surtout axé mon récit sur les détails du quotidien, ces petits rouages qui font tourner l’époque. Quand tu vis au 21e siècle et que tu écris sur le 19e, tes personnages sont tout ce que tu as de concret. Kowalski, Dorothy, Walter… ce sont eux qui m’ont donné la tonalité du récit. Certains auteurs misent sur l’intrigue, d’autres sur le pathos ou le « super twist final », chacun a sa propre dynamique. En ce qui me concerne, la notion d’intrigue me paraît de plus en plus secondaire, je préfère privilégier l’atmosphère et les personnages. Si tu crois en eux, tu crois au reste.
Quant au Far West, il est propice à toutes les envies, il s’est passé tant de choses entre la religion, les mœurs, les indiens, les flux migratoires, sans compter l’omniprésence des rumeurs et des légendes, ce qui multiplie les possibilités narratives. Dehors les chiens relate une époque où les enquêtes étaient bancales, où le mysticisme supplantait souvent la réalité des faits, c’est pourquoi j’ai entretenu un certain flou dans l’articulation des événements. En complément de ce traitement réaliste, je tenais aussi à ce que Dehors les chiens soit un roman « badass » avec une violence sèche, des dialogues tendus et des sales gueules, comme dans l’univers de Dick Tracy.
Mais quels que soient les livres, ton écriture est toujours aussi reconnaissable, tout comme ton univers…
Au fil du temps, j’ai l’impression d’être plus sobre, d’aller davantage à l’essentiel, mais tout ça relève du technique. Le reste, « ma voix d’écrivain » comme dit Guérif, je ne la contrôle pas. Au début du roman, je décris la puanteur d’une ville « comme si le Diable en personne avait vomi sur le pays » et c’est typiquement le genre de truc qui s’impose malgré moi. La noirceur est parfois si aberrante qu’elle s’accompagne d’un certain humour. Au lycée, j’étais déjà un mélange de gravité et d’ironie, ce qui s’est confirmé par la suite dans mon écriture. On écrit ce qu’on est.
Après, il y a des éléments récurrents, comme mon rapport au son. Pour le télégraphe, je tenais à signifier le cliquetis de l’appareil. Certains (toujours les mêmes) y verront un tic d’écriture ou un truc surfait, alors que le son est primordial pour moi. Le premier personnage du western, c’est le silence et, par conséquent, chaque bruit raconte quelque chose : la pose d’un rail, le grattement d’un sabot… quand j’insiste sur le clic-clic-clic du télégraphe, c’est pour mieux traduire le job aliénant de l’employé qui fait ça toute la journée. L’Histoire est là, dans le quotidien des anonymes.
Si mon écriture est ici quelque peu naturaliste, le piège à éviter était le lyrisme abusif avec des descriptions interminables de paysages et de soleils couchants. Je voulais m’attarder sur certains panoramas, mais la rudesse du contexte devait balayer en permanence la beauté et la grâce. Au début, je ne savais pas comment débuter ce western, alors je l’ai abordé comme un polar : j’ai injecté du béton et du cuir dans la plaine, ce qui a dessiné plusieurs personnages, notamment les Season Brothers, qui sont un peu « les SS de l’Ouest ».
Sans trop en dire, tu nous prouves que les problèmes des relations humaines de l’époque nous parlent toujours aujourd’hui…
Quelle que soit l’époque traitée, je l’aborde toujours sous un angle contemporain. L’opposition entre Walter et Kowalski, ce côté « lutte des classes » est intemporel, idem pour les conditions de travail de Dorothy. Si j’écris sur le passé, c’est pour m’interroger sur les racines du présent. Le Far West, c’était le règne du tough guy, mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Les notions de virilité et de héros ont-elles encore un sens ? C’est le genre de question que je me pose et que j’ai envie de partager avec les lecteurs. Crimson, lui, a déjà sa réponse.
Crédit photo : Olivier Gamas
Catégories :Interviews littéraires
Magnifique interview
Et formidable auteur
Au début je ne m’imaginais pas toutes les nouvelles “technologies” qui sont apparues à cette époque, et aussi que beaucoup de situations dont on se plaint aujourd’hui étaient déjà présentes. Et comme il a raison de privilégier l’épaisseur des personnages et l’atmosphère. Quelque part, Crimson m’a rappelé Harry Bosh. Ces hommes qui ont une belle âme et qui suivent leur chemin, imperturbable. Bravo encore
merci pour ce magnifique commentaire qui rend bien hommage au livre et à l’âme de l’auteur !
Mais qu’est-ce qui ne va pas avec les dimanches en pantoufles ? 😂😂😂