Interview – 1 livre en 5 questions : Le grand soir – Gwenaël Bulteau

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

Gwenaël Bulteau

Titre : Le grand soir

Editeur : La manufacture de livres

Sortie : 06 octobre 2022

Lien vers ma chronique

Avec ton deuxième roman, tu nous ramènes au tout début du siècle dernier, une époque qui décidément semble te fasciner…

Cette fois-ci, nous sommes en 1905, 1906. Le roman commence par l’enterrement de Louise Michel. au cours duquel, une jeune femme de bonne famille, Jeanne va disparaître. Un an plus tard, sa cousine, Lucie, va partir à sa recherche dans les rues de Paris.

Le monde ouvrier est en ébullition. En mars, a lieu la catastrophe de Courrières, dans le bassin minier du Nord. Plus de 1000 mineurs trouvent la mort. Le pays entier est en émoi. La grève commence. À Paris, les ouvriers se préparent à la perspective du premier mai. Pour la première fois, une manifestation nationale est organisée à Paris, pour réclamer la journée de huit heures.

C’est la toile de fond du récit, dans laquelle vont évoluer des personnages, notamment Lucie qui va découvrir les milieux ouvriers et féministes ainsi que la répression dont ils sont l’objet.

J’ai aimé faire vivre mes personnages dans ce moment un peu oublié de l’histoire, qui correspond au premier poste de ministre de l’Intérieur de Georges Clemenceau. Et puis la 3ème République porte notre époque en germe. J’ai toujours la volonté d’offrir un jeu de miroir avec notre temps.

Cette nouvelle histoire est pourtant assez différente de celle de ton précédent livre, on n’est plus vraiment dans le polar…

Ce roman comporte une double enquête. Celle sur la disparition de Jeanne et celle sur un mineur assassiné à Courrières, les jours suivant la catastrophe. Après, ce ne sont pas forcément des policiers qui recherchent la vérité. Mais peut-être que ce récit se situe à la croisée des genres, en prenant différentes formes : polar, oui, mais aussi roman historique, roman noir et roman social.

À côté de l’enquête, ce qui m’intéresse, c’est le jeu global de faux-semblants. C’est le roman de l’illusion. Les masques sont au cœur du récit. Un des personnages arrondit ses fins de mois en faisant un numéro de mime, dans la rue. Certains personnages ne sont pas ce qu’ils paraissent. La dissimulation est partout.

De même, l’illusion s’inscrit dans la toile de fond du récit. La journée de manifestation du 1er mai 1906, qu’on appelait “Le Grand Soir” a donné libre cours à beaucoup de fantasmes. C’est l’illusion qui domine, ici. Les ouvriers, comme une grande partie de la bourgeoisie, voyaient cette journée comme celle du grand chambardement, le jour où le peuple déposséderait les possédants. Les ouvriers imaginaient s’emparer des usines, bloquer la circulation, renverser le pouvoir. De l’autre côté du spectre social, les plus fortunés quittaient la ville ou envoyaient leurs capitaux à l’étranger. La petite bourgeoisie entassait les provisions à domicile. Mais finalement, il ne s’est pas passé grand chose. Les rues de Paris étaient cadenassées par l’armée. Cette journée a surtout servi au pouvoir en place – à Clemenceau, donc – à affirmer son autorité, ce qui a permis à son parti de remporter les élections législatives dans la foulée. Finalement, l’illusion a amené la désillusion.

As-tu eu en tête de travailler ton texte à la manière des auteurs de l’époque ?

Pas vraiment. Bien sûr, le roman historique demande de la rigueur dans l’usage du vocabulaire. La chasse aux néologismes est ouverte. Mais on est loin du naturalisme d’un Zola qui retranscrivait la réalité en détail. Ce n’est pas pas mon projet.

J’aime jouer avec l’idée de tirer mes romans historiques vers le présent. Par exemple, une scène dans le roman se passe dans un bistrot où les gens dansent en se bousculant. En réalité, c’est un pogo que je décris, pour mettre en avant un côté punk dans mes personnages. L’idée m’est venue en voyant une photo d’époque un peu floue où les gens dansaient de manière très agitée. Ça me rappelait des souvenirs.

Tu as vraiment raconté cette histoire au plus près des personnages…

Je voulais des personnages forts, réalistes, auxquels on croit, des personnages au plus près des pavés et dont on voyait toutes les facettes, leur courage, leur lâcheté, leur désarroi devant une situation ou même leur capacité à trahir.

La jeune Lucie Desroselles incarne cette volonté. J’ai beaucoup aimé écrire ce personnage. Elle ne veut pas rester à la place qu’on lui attribue ; elle veut faire quelque chose pour sa cousine disparue et c’est pour cela qu’elle part à sa recherche. Elle découvrira la réalité terrible du monde qui l’entoure.

Le personnage de François est également typique de cette démarche. C’est un ouvrier, il fait grève pour la journée de huit heures, mais il travaille des jours par-ci par-là pour gagner un peu d’argent. Il se livre aussi à son activité de mime où il peut se montrer féroce mais il est faible également, il a tendance à s’effacer dans les moments critiques. C’est un homme doux, qui ne veut pas d’ennui mais qui se retrouve pris dans un engrenage qui le dépasse.

Une nouvelle fois, les femmes y ont une place importante…

Dans La République des faibles, les femmes subissaient la situation, même si une volonté d’émancipation apparaissait par moment. Ici, j’ai voulu faire le portrait de femmes fortes.

C’est dans cette perspective que j’ai voulu raviver le souvenir de personnages réels, un peu oubliés. Madeleine Pelletier et la citoyenne Sorgue, qui ont un rôle important dans le récit, sont des personnages ayant existé, transformés ici en personnages de fiction.

Madeleine Pelletier était la première femme psychiatre de France. Elle ressemblait beaucoup au portrait physique que j’en fais dans mon roman. C’est une femme qui a été arrêtée à la fin de sa vie pour avoir participé à l’avortement d’une jeune fille violée par son propre frère. Elle est morte dans un asile psychiatrique un peu avant la deuxième guerre mondiale.

L’autre femme se faisait appeler la citoyenne Sorgue. C’était une journaliste qui parcourait le pays de grève en grève pour porter la bonne parole révolutionnaire et se battre pour l’émancipation des femmes. Il existe une photographie intéressante où l’on voit la citoyenne Sorgue en compagnie des mineurs grévistes après la catastrophe de Courrières.

Photographie de la citoyenne Sorgue – la vraie – lors de la grève des mineurs de Courrières

Ces femmes étaient d’un courage inouï. Elles étaient capables de dire non. Non à leur famille, non aux lois qui les plaçaient en état d’infériorité. C’était elles contre le monde et il fallait pour cela une volonté inflexible. C’est quelque chose que je retrouve maintenant quand je vois ce qui se passe en Iran avec ces femmes qui se dressent contre un pouvoir qui les tue. Mon livre est aussi un hommage à toutes ces femmes courageuses.



Catégories :Interviews littéraires

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1 réponse

  1. Merci à vous deux pour ce bel échange. 🙏😘

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