Que peut bien donner la rencontre d’un lecteur assidu d’anticipation et d’un auteur reconnu qui s’essaye pour la première fois au genre ? Ce n’était peut-être pas gagné sur le papier, mais avec un talent tel que celui de Laurent Gaudé, ce contact fait des étincelles.
L’écrivain, lauréat du prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta, est un vrai touche-à-tout, qui n’hésite pas à se frotter à différents univers, en faisant preuve d’une formidable ouverture d’esprit.
Car, en France il faut oser inviter l’imaginaire dans la littérature dite générale. Quand c’est fait avec habileté et sans tricher, le résultat peut être mémorable (rappelons-nous le récent Goncourt pour L’anomalie de Hervé Le Tellier).
Etats à vendre
Dans un avenir proche, les états sont à vendre. En pleine faillite, la Grèce est la première à tomber dans les escarcelles d’une multinationale, GoldTex, et au diable l’insurrection qui en découle.
Trois décennies plus tard, Zem Sparak, qui a eu la « chance » de fuir son pays, est un flic de 3ème zone, dans une mégalopole créée de toutes pièces par cette entreprise tentaculaire. Relégué aux basses œuvres, tel un chien qui ne fait que renifler les pistes des bas-fonds de la zone 3.
Le voilà devoir pourtant investiguer sous autorité. En se frottant à Salia, flic de la zone 2, qui, elle, n’a jamais rien connu d’autre que cette vie-là, et fait partie des privilégiés par rapport aux laissés-pour-compte de la zone de Zem Sparak.
Chien 51 est avant tout un polar engagé, et une vraie enquête qui se déroule dans un avenir peu reluisant mais sacrément crédible. Est-ce-que ce monde est sérieux ? Oui clairement.
Autant polar qu’anticipation
L’idée de fusionner polar et anticipation est brillante. Gaudé ne révolutionne rien mais fait preuve d’une maîtrise épatante. A la fois pour inventer un monde, donner du rythme à son intrigue et du corps à ses personnages.
Des personnages forts, jouant avec les caricatures du genre sans jamais y tomber ; un flic éreinté et cabossé, une jeune femme ambitieuse et qui se bat dans un monde d’hommes.
L’écrivain a bien réfléchi son environnement, qui tient la route et se montre suffisamment détaillé, sans trop en rajouter, pour qu’on y plonge. L’ambiance fonctionne, du microcosme à la mégalopole. Pour porter un propos cohérent et prenant, qui exacerbe nos inquiétudes actuelles et qui questionne.
L’écriture est puissante et évocatrice, dans l’action comme lors de tirades d’une grande justesse.
Passé trahi
Que ce soit concernant cette privatisation à marche forcée, ou quand d’autres thèmes sont approchés, questions climatiques comme question de Mémoire. Celle d’un passé trahi, d’un monde perdu. Ce dernier point devient vite prégnant, avec une approche nostalgique du récit.
Mais l’auteur ne sacrifie jamais l’histoire au propos et reste toujours au plus près de ses protagonistes. Avec l’âme de Zem Sparak qui s’agrippe à ses racines.
C’est passionnant quand la SF est ainsi utilisée comme vecteur pour parler de vraies préoccupations, tout en n’oubliant jamais l’intrigue en route. Et en laissant parler la puissance de l’imagination.
Laurent Gaudé est un auteur étonnant, parfaitement à l’aise quel que soit le genre de récit. Chien 51 est une belle réussite, prenante et interpellante. Bien loin d’un exercice de style, c’est au contraire une belle définition de ce qu’est un bon roman d’anticipation.
Yvan Fauth
Sortie : 17 août 2022
Éditeur : Actes sud
Genre : Anticipation / polar
4ème de couverture
Autrefois, Zem Sparak fut, dans sa Grèce natale, un étudiant engagé, un militant de la liberté. Mais le pays, en faillite, a fini par être vendu au plus offrant, malgré l’insurrection. Et dans le sang de la répression massive qui s’est abattue sur le peuple révolté, Zem Sparak, fidèle à la promesse de toujours faire passer la vie avant la politique, a trahi. Au prix de sa honte et d’un adieu à sa nation, il s’est engagé comme supplétif à la sécurité dans la mégalopole du futur. Désormais il y est “chien” – c’est-à- dire flic – et il opère dans la zone 3, la plus misérable, la plus polluée de cette Cité régie par GoldTex, fleuron d’un post- libéralisme hyperconnecté et coercitif. Mais au détour d’une enquête le passé va venir à sa rencontre.
Catégories :Littérature
Je n’attendais pas Laurent Gaudé dans ce genre là, mais pourquoi pas ?
Moi non plus mais tant de véhémentes éloges devraient m’aider à passer le cap de l’ouvrir pour m’y plonger 😉
que j’aime ces auteurs qui savent se réinventer tout en restant eux-mêmes ! Oui ça en vaut la peine
Très alléchant !
Cela donne effectivement bien envie.
J’avoue avoir un tout petit peu hésité, mais franchement la SF en question l’est-elle vraiment ? pas sûre du tout..une fois de plus, même aussi loin d’Eldorado et du” Soleil des scorta”, il m’a bluffée, alors surtout n’hésitez pas !
J’ai beaucoup aimé La Porte des Enfers, et Écoutez nos défaites. Je vais essayer celui-ci, grâce à ton billet, merci !
51 chiens, ce serait beaucoup, mais chien 51, je dois pouvoir le faire ! Je note ! 😉
Je le vois partout et j’ai lu quelques bouquin de Gaudé que j’ai tous be
…..Des bouquins que j’ai tous beaucoup aimés.
Alors celui-là !!!
J’ai aussi beaucoup aimé ce roman fort crédible et qui fait froid dans le dos Et puis il y a l’écriture de Laurent Gaudé toujours aussi exceptionnelle. C’est un vrai grand conteur , en 300 pages seulement, il écrit une vraie tragédie poignante et passionnante qui est aussi un roman social et politique. Ses personnages sont touchants jusque dans leurs faiblesses. Il peut en l’espace d’une page bouleverser son lecteur mais il peut aussi lui offrir une embellie de poésie. Il décrit la réalité de cette société imaginée sans ambages mais sans boursouflure ou complaisance et son roman en dit long sur notre monde. Il est pessimiste mais beau.
J’ai lu une dizaine de romans de L.Gaudé qui m’ont tous plu et dont l’écriture m’a fascinée à chaque fois.
Voilà un joli cri du cœur, merci pour ce commentaire !
Je n’aime guère Laurent Gaudé, un peu trop bien- pensant. Cependant, il aurait mieux mérité le Prix Nobel que Mme l’auto-centrée et ces histoires de nanas