Lorsque le dernier arbre – Michael Christie

Il est des hommes comme des arbres, les moments forts sont inscrits dans leur chair. Ils sont liés entre eux, qu’ils le veuillent ou non, à travers leurs racines et au fil du temps.

La vie d’un arbre se lit à travers ses anneaux, sa croissance, comme cartographié. Michael Christie a utilisé cette trame comme chemin narratif pour raconter l’histoire d’une famille canadienne sur quatre générations.

Au-delà de cet aspect métaphorique bien vu, bien pensé et admirablement traité, il y a un roman foisonnant.

Quatre générations

1908, 1934, 1974, 2008, 2038, cinq époques. A suivre les Greenwood sur 130 ans, de manière décroissante puis croissante. Cinq ambiances mais un lien fort entre les périodes, interconnectées, même si les membres de cette famille n’en ont pas réellement conscience.

Le roman commence par raconter notre demain. Pas loin, à peine quelques années en avant. Certains ont parlé de dystopie pour cette partie, je dirais au contraire que ce n’est que légère anticipation. Les arbres des forêts primaires se meurent déjà aujourd’hui, du fait du dérèglement climatique et de la destruction humaine. Ce que l’écrivain imagine n’est que ce qui risque fort de nous arriver à tous, de notre vivant.

Jusqu’à en mourir. Les arbres et nous sommes liés, à la vie à la mort.

N’imaginez pas un pamphlet écolo, ce livre est un roman aux multiples ambitions, toujours dans la subtilité. Romanesque autant que lucide, sur le monde passé, le présent et le futur.

Michael Christie n’est pas du genre à abattre son boulot (bouleau ?) à la chaîne. Albin Michel avait publié un recueil de nouvelles il y a presque 10 ans. C’est presque le temps qu’il lui a fallu pour construire cette fresque familiale, ces destins différents.

Grand dépérissement

Le temps n’est pas le même pour un homme que pour un arbre, pour une génération que pour une autre. Ce roman est un marqueur d’époques.

Quelle formidable idée que de lier un dysfonctionnement familial à celui de la nature. Quelle épatante manière de montrer que la transmission de la dégradation de l’environnement peut se voir en parallèle avec la détérioration d’une famille.

Le livre début donc en 2038, comme un choc pour le lecteur. La plupart des arbres sont morts par la faute du climat, des maladies et des insectes. Cette évolution est déjà en marche…

Cette partie du roman est prenante (mais elles le sont toutes !) par son ambiance et cette volonté de tout de suite mettre l’humain au centre de la forêt (mourante).

Le globe n’est plus qu’orages de poussière et maladies pulmonaires, à part de rares oasis. C’est le « Grand Dépérissement ».

Conflits et traumatismes de générations

L’auteur n’a pas l’ambition de raconter dans le détail comment le monde en est arrivé là. Il va le faire, sur 600 pages, à travers la vie et le sort d’une famille liée aux arbres, viscéralement. Liée à leur défense comme à leur destruction.

Chaque époque racontée, avec changement de style à la clé pour mieux s’en imprégner, crée sa propre histoire. Sauf que ce qui germe en 1908 créera des ramifications inconscientes pour les décennies à venir.

Il est question de conflits de génération, autant que de traumatismes qui se transmettent. D’incompréhension aussi, avec souvent une mauvaise connaissance de la réalité de l’ascendance. Causes et conséquences, au plus près de l’humain et des émotions qui forgent ou déforment une vie.

Nous avons beaucoup à apprendre des arbres concernant la transmission. Eux savent diffuser l’essentiel de leur essence et de leur force à leurs congénères, au moment de disparaître. L’Homme occidental du XXe et XXIe siècle n’a jamais vraiment su s’inspirer de l’âme de ses ancêtres. Et il faut savoir creuser pour comprendre, parce que les gens ne sont pas toujours ce qu’ils montrent d’eux. « Les gens ne sont pas toujours eux-mêmes », comme l’écrit l’auteur.

Intelligence des parallèles

Ce qui frappe dans ce livre, c’est l’intelligence des parallèles. Entre les générations, entre les époques. Admirable construction du « Grand Dépérissement » qui est à comparer à la « Grande Dépression » des années 1930.

Je sors tellement enrichi de cette lecture. Un récit protéiforme qui arrive à charger émotionnellement le sujet du dérèglement climatique. Une parabole écologique et humaniste qui sait autant mettre en avant la force de la nature (et sa fragilité) que les failles des femmes et des hommes (et leur capacité incroyable de résilience aussi). C’est un livre parfois sombre, comme l’est la vie, mais imprégné de lumière aussi.

Sacré travail de documentation, pour parler des végétaux autant que des humains, pour arriver à construire ce mélange de genres littéraires en adaptant son écriture. Sensible et vrai, tout en étant joliment imaginatif.

Conteur transcendé par son histoire

Même si j’ai trouvé une léger manque d’équilibre entre les époques (certaines traitées plus longuement que d’autres, j’aurais aimé qu’il soit encore plus long !), c’est un livre précieux, une aventure littéraire rare. Parfois à rapprocher d’un Steinbeck, d’autre fois profondément moderne. Toujours accessible, jamais démonstratif.

Jamais manichéen non plus (les destructeurs d’arbres et les écolos de l’extrême sont décrits dans leurs contradictions), ce tableau aux multiples couches est captivant. Par la grâce d’une plume formidablement humaine, qui sait faire réfléchir autant que ressentir. Et qui amène à mieux nous comprendre.

Lorsque le dernier arbre est une fascinante odyssée humaine, à rebours de la fin des années 2030 (demain) au début du XXe siècle (un hier si proche à l’échelle de la nature).

Michael Christie est un conteur sublime, transcendé par une histoire qui dépasse les temps, les frontières et les âmes. Atypique par essence. Du grand art.

Citations :

« …la période naïvement touchante d’avant le Dépérissement, quand les gens croyaient encore qu’un engagement modéré et de bonnes intentions éviteraient la catastrophe »

« Pourquoi attendons-nous de nos enfants qu’ils mettent un terme à la déforestation et […] qu’ils sauvent la planète demain, quand c’est nous qui, aujourd’hui, en orchestrons la destruction ? »

« Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. À défaut de quoi c’est maintenant »

Yvan Fauth

Date de sortie : 18 août 2020

Éditeur : Albin Michel

Genre : fiction

4° de couverture

« Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »

D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
20382038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?
Fresque familiale, roman social et écologique, ce livre aussi impressionnant qu’original fait de son auteur l’un des écrivains canadiens les plus talentueux de sa génération.



Catégories :Littérature

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12 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Magnifique chronique !!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      chronique de rentrée ;-). Comme toi avec la tienne, il fallait que ce soit pour un livre fort

  2. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Il est déjà noté et surligné !! Par contre, tu aurais encore pu faire un jeu de mots avec “à la chaîne” (chêne) 😆

    Merci pour ta critique qui donne encore plus envie de le lire 🙂

  3. Lord Arsenik – Noumea - Nelle-Calédonie

    J’avoue humblement que je l’avais zappé en parcourant les sorties de cette rentrée littéraire. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis… la preuve que non, je viens de changer d’avis.
    Ma PàL, déjà monumentale, ne te remercie pas… moi si !

  4. Très bel avis qui donne envie ! Je note 🙂

  5. Il m’attend. Hâte de le commencer

  6. Je ne connais pas du tout mais je note merci !

  7. Je suis en train de le lire et je ne peux qu’appuyer tes mots. Quel livre formidable ! Je me régale et comme toi je me sens enrichie.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      ça me fait très plaisir de lire tes mots ! bonne suite de lecture !

  8. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    superbe chronique mon ami

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