1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
VALENTIN MUSSO
Titre : Qu’à jamais j’oublie
Editeur : Seuil
Date de sortie : 6 mai 2021
Lien vers ma chronique du roman
Tu aimes raconter des histoires de famille. Mais aucun de tes romans ne ressemble au précédent…
C’est vrai que mes romans ont souvent pour point de départ les secrets de famille. C’est un sujet qui offre de multiples possibilités narratives et permet de travailler la psychologie des personnages. Il ne faut pas oublier que la première enquête de la littérature, c’est le mythe d’Œdipe. Alors que la peste ravage sa ville, Œdipe doit découvrir le meurtrier du précédent roi, dont il ignore qu’il est le fils… et le meurtrier. Déjà des secrets de famille, quelques siècles avant notre ère ! Mais si mes romans ont souvent ce thème en commun, j’essaie toujours de le traiter à travers des histoires complètement différentes, en changeant d’époque, de lieu, d’ambiance, de sorte que j’ai un peu l’impression à chaque fois d’écrire mon premier roman. J’ai envie d’entraîner les lecteurs dans des univers qu’ils ne connaissent pas forcément, en évitant de m’enfermer dans un genre trop codifié. D’ailleurs, mon dernier livre porte la mention « roman » et non « thriller » sur la couverture.
Les secrets familiaux sont un poison lent…
Tout à fait. Comme je l’écris dans mon roman, la vérité fait mal une bonne fois pour toutes, alors que la douleur du mensonge ne s’éteint qu’avec lui. Je me suis intéressé ces dernières années à la psychogénéalogie, selon laquelle les traumatismes vécus par nos ascendants se transmettraient de manière inconsciente de générations en générations. Je sais que cette théorie a été pas mal critiquée et j’ignore complètement si elle a une part de vérité, mais elle me passionne en tant que romancier car mes personnages sont souvent obligés de remonter à la source de leurs maux, d’explorer le passé de leur famille pour comprendre ce qui ne va pas dans leur vie. Et les secrets peuvent parfois remonter très loin.
Le roman policier est pour moi une sorte de dévoilement. C’est autant l’histoire d’une enquête qu’une enquête sur son histoire personnelle.
Il est aussi question d’un sujet sociétal, à la fois ancien et dans l’actualité. Et qui nous emmène du côté de la Suisse. Comment est venue cette idée ?
Je suis tombé sur ce sujet un peu par hasard, même si je crois au fond qu’on ne trouve que ce qu’on cherche. Il y a quatre ans, j’ai lu un article dans un hebdomadaire qui traitait des internements administratifs qui ont eu lieu en Suisse tout au long du XXe siècle, dans une indifférence quasi-générale. J’ai très vite su que j’écrirais un roman dessus, car j’avais déjà des idées précises en tête qui pouvaient venir se greffer sur ce sujet.
J’ai commencé à écrire le prologue de Qu’à jamais j’oublie – une scène psychologiquement violente qui plonge le lecteur dans l’action –, mais j’ai très vite abandonné l’écriture du livre parce que je manquais cruellement de documentation. Pour avoir déjà écrit des romans qui ont pour toile de fond des événements historiques, je savais qu’il fallait d’abord passer par une grosse phase de recherches pour donner au récit du réalisme et de l’épaisseur. Je me suis donc lancé à l’époque dans l’écriture de Dernier été pour Lisa, dont l’intrigue était plus aboutie.
Ce n’est que l’an dernier, en furetant dans les dossiers de mon ordinateur, que j’ai relu le prologue, presque comme un simple lecteur, et que je me suis replongé dans cette histoire. J’ai eu la chance que des archives et d’importants travaux universitaires aient été publiés depuis, ce qui m’a permis de m’appuyer enfin sur des éléments concrets pour continuer mon récit.
Le roman reste un vrai suspense, à l’image de la deuxième moitié et de son final qui réservent des surprises ahurissantes…
J’ai toujours aimé les rebondissements et les twists, aussi bien en littérature qu’au cinéma, les histoires qui manipulent le lecteur jusqu’au bout, notamment en jouant sur les points de vue ou l’identité réelle des personnages.
Le meurtre de Roger Ackroyd ou Shutter Island sont par exemple des livres qui m’ont beaucoup marqué. À chaque roman, j’essaie de faire en sorte que le lecteur s’implique activement dans sa lecture et que toutes ses hypothèses s’effondrent dans les dernières pages.
Un bon thriller, c’est aussi cela : un livre à la fin duquel on se dit « L’auteur m’a bien eu ! » En la matière, je m’impose malgré tout une règle : ces rebondissements ne doivent pas être gratuits, ils doivent participer à l’économie de l’histoire et constituer une sorte de caisse de résonance au sujet traité.
L’émotion est prégnante, présente dans tous tes romans, mais dosée elle aussi différemment d’une histoire à l’autre…
Le plus difficile quand j’écris, ce n’est pas de trouver une intrigue ou des rebondissements mais de faire en sorte que les personnages suscitent une émotion chez le lecteur. Ce n’est pas toujours facile, car certaines histoires vous obligent à mettre en scène des personnages qui n’ont rien de très sympathiques et auxquels il est compliqué de s’identifier.
Dans Qu’à jamais j’oublie, cette émotion a été un peu mon fil conducteur. Au départ, c’était pour moi un vrai défi d’adopter le point de vue d’une jeune femme, qui plus est dans les années 60 en Suisse. Mais étrangement, ces passages ont été plus faciles à écrire que ceux qui mettent en scène le narrateur, qui a pourtant mon âge. C’est sans doute dû au fait que j’ai éprouvé très vite énormément d’empathie pour Nina et que j’ai raconté son parcours comme si elle existait vraiment et n’était pas qu’un être de papier. Si ce personnage a sa singularité et une histoire atypique, elle représente aussi toutes ces femmes qui ont été malmenées, réduites au silence, et auxquelles on a toute leur vie refusé le statut de victime.
Crédit photo : Bénédicte Roscot
Catégories :Interviews littéraires
Un auteur qui sait se renouveler me donne envie d’aller vers son nouveau livre. En plus il y a des secrets, du suspens…Donc je pense qu’il y a tous les ingrédients pour passer un bon moment. Merci pour cet entretien.
exactement, c’est un talent de se renouveler tout en gardant son style
J’ai la chance, en ce moment, de lire tes interviews pile pendant ma lecture du titre en question, ça leur donne une saveur particulière !
ça donne une nouvelle perspective aux écrits, c’est chouette 😉