1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre.
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.
Michaël Mention
Titre : La voix secrète
Sortie : 05 janvier 2017
Éditeur : 10/18
Lien vers ma chronique du roman
Qu’est-ce-qui t’a donné l’envie de te lancer dans un polar historique en mélangeant personnages réels et personnages de fiction ?
Je suis passionné d’Histoire pour de nombreuses raisons et la principale, c’est qu’Elle est toujours en mouvement. La manière dont Elle est enseignée en fait un domaine figé, perçu comme « poussiéreux » par beaucoup d’élèves, alors que l’Histoire crée un pont permanent entre passé, présent et futur.
Le monde actuel avec son obsession du profit et son mépris des individus, avec la déliquescence de la classe politique et les freaks engendrés comme Valls et Macron, tout ça s’explique par un long processus historique… alors, quand t’observes ça et que t’aimes le roman noir, tu te lances naturellement dans un polar historique.
Et puis, mêler le réel et la fiction, c’est fun. J’aime m’approprier l’Histoire, la tordre dans tous les sens pour voir ce que je peux en extraire. Et en l’occurrence, le 19e siècle est riche en mutations et contradictions… encore une période charnière, à l’image des années 80 que j’ai traitées dans Jeudi Noir. En dehors des conflits économiques et sociaux, la fin d’un cycle a quelque chose de très romanesque.
Niveau intrigue, on est assez loin d’une « banale » enquête policière. Elle est vraiment originale…
Merci, mais franchement, je ne me rends pas compte. Ça fait un bail que je ne suis plus dans une démarche « d’intrigue originale » uniquement basée sur une résolution. Maintenant, ce qui m’intéresse, ce n’est plus de partir de A pour aller jusqu’à B, mais le trajet entre les deux, les pauses, les déviations…
J’ai amorcé ça dans Adieu demain, où l’enquête n’était qu’un prétexte pour traiter la question de l’identité, du déclin de ce flic infiltré qui sombre pour avoir contracté les peurs des autres. Depuis, mes intrigues sont plus des chroniques – du moins, c’est ainsi que je les conçois – et ça s’est confirmé dans Bienvenue à Cotton’s Warwick : un bouquin sans véritable début ni conclusion particulière, une sorte de parenthèse mortifère où il n’y a rien à chercher, ni attendre, juste à suivre les personnages et voir jusqu’où ils se perdront.
Comment as-tu procédé pour travailler ton texte en t’inspirant des écrits de Lacenaire ?
Ça s’est fait facilement. J’aurais pu relater chronologiquement le parcours de Lacenaire, mais ça n’aurait été que du Wikipédia romancé. Il me semblait plus intéressant de faire découvrir Lacenaire à travers ses écrits et le regard qu’il porte sur ses crimes – avec ce que cela induit en mauvaise foi – afin que les lecteurs se fassent leur propre opinion.
Pour des questions de diffusion, La voix secrète est présenté comme un polar historique et je le comprends, mais c’est avant tout un roman sur l’écriture, le temps, les travailleurs… c’est pour ça que la plume de Lacenaire est aussi présente. Je voulais en faire une sorte de témoin de son époque.
Il y a, dans ses écrits, un regard quasi journalistique et une ironie qui me parle particulièrement, traduisant une certaine amertume. Chaque extrait inclus dans La voix secrète me ressemble, notamment ce moment où Lacenaire dit qu’il aurait pu épouser aveuglement la pensée des milliers de philosophes, mais qu’il a préféré se créer sa propre pensée pour ne pas s’enfermer dans tel ou tel dogme. J’aime cette idée de lire, de se nourrir intellectuellement sans forcément devenir partisan à 100%, pour en garder ce qui semble le plus pertinent.
Ton Paris de 1835 est criant de réalisme, on sent les odeurs, on entend les sons… Tu as particulièrement soigné ces effets-là ?
Oui, et le soin que j’y ai apporté remonte à Adieu demain (encore lui). Le récit prenait une telle direction que, pour la première fois, j’ai dû explorer les aspects sensoriels. Puis, il y a eu l’influence de Caryl Ferey, Hervé Le Corre et d’autres auteurs français dont l’écriture est très profonde, viscérale, alors ça m’a filé un coup de fouet. Depuis, quel que soit le thème traité, je le lie étroitement au sensoriel. Après tout, la vie est comme ça : on ne fait pas que parler, écouter de la musique ou faire ses courses, on sent, on ressent, on voyage d’une sensation à une autre.
Concernant La voix secrète, le contexte du 19e a évidemment favorisé ma démarche : les passages que j’ai le plus réécris sont ceux dans les quartiers miséreux, les taudis… à chaque relecture, je me disais « c’est nul, on voit le cadre mais on ne le ressent pas », alors j’ai réécris des dizaines de fois.
Le passage de l’abattoir (avec son ciel noirci de mouches, les carcasses, la sueur des bouchers etc), je me suis éclaté en l’écrivant car c’était très stimulant. Le genre de chapitre où chaque dialogue et déplacement induit de nouvelles odeurs et sonorités qui, à leur tour, induisent de nouveaux dialogues et déplacements… tout ça installe une dynamique, qu’il est grisante à retranscrire et – je l’espère – plaisante à lire.
Tu en profites aussi pour faire passer quelques messages assez engagés…
Pas des « messages engagés », mais des valeurs auxquelles je crois. Notre monde est si implacable, si obscène avec les Poutine, Trump, Netanyahu… comment veux-tu, quand t’as la chance d’être édité et suivi par des lecteurs, ne pas réagir à tout ce merdier ?
Quand tu vois que Macron a osé intituler son bouquin Révolution… je trouve ça affligeant car les mots ont un sens, une histoire. Heureusement, c’est aussi le titre du nouveau roman de Sébastien Gendron et rien que pour ça, j’adore ce mec !
J’aimerais être capable d’écrire un roman comme Aux animaux la guerre (Nicolas Mathieu), Les visages écrasés (Marin Ledun) ou encore Les initiés (Thomas Bronnec) – pour ne citer qu’eux – car les questions politiques et sociales me préoccupent de plus en plus. Quand je lis de tels livres, aussi profonds, essentiels, je me dis qu’on n’a qu’une vie et que je suis à côté de la plaque avec mes histoires de kangourous… mais bon, c’est comme ça, chacun son créneau.
Ma « fibre sociale », je la développe à travers d’autres thèmes, même si je sens bien que mon écriture évolue et se radicalise dans la défense de certaines causes. J’écris actuellement sur les Etats-Unis et les années 60-70, ce qui sera mon roman le plus social. Je ne me suis jamais autant impliqué dans un bouquin et je mets mes tripes dans chaque dialogue – car j’ai vécu beaucoup d’entre eux – mais quand je me relis, je me dis que ce n’est jamais assez… d’ailleurs, rien que d’en parler, je n’ai qu’une envie : m’y remettre dès maintenant. Bref, comme on dit, les lecteurs jugeront.
Merci pour cette interview, cher Yvan, et à bientôt !
Photo : Olivier Gamas
Catégories :Interviews littéraires
Michaël, fidèle à lui-même, fidèle à ses idées, et il a bien raison ! Moi aussi j’ai ressenti les odeurs, et ça fait peur, l’odoramat dans les livres !! 😆 Brrrr, je ne retournerai pas aux Halles de si tôt !
Et non, il n’est pas à côté de la plaque avec ses “kangoos roux” (lol), il a son style, les autres ont le leur, pitêtre que les auteurs cités rêvent d’écrire comme X ou Y… 😛
Il est intéressant cet homme ! Je note je note … En plus j’aime l’Histoire moi aussi, surtout quand elle n’est pas figée, qu’elle explique ce que nous sommes aujourd’hui, je suis d’accord avec sa réflexion sur le sujet…
Il me semblait bien qu’il l’avais remanier. Voilà j’en ai la preuve. Et Il a bien fait notre Michaël car il est vraiment surprenant une nouvelle fois ! Et oui si la forme de ce roman le cantonne dans le polar historique, en fait ce polar est bien plus que ça !
Alors merci à vous deux, messieurs pour ce bel entretien . 🙂
Il est engagé Michael. Un mec bien
Un mec épatant oui