Bernard Prou a publié un excellent roman d’aventure avec Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant.
L’histoire contée dans ce roman est tout aussi étonnante que l’histoire du livre en lui-même. Il fallait absolument que j’échange avec l’auteur et que je lui permettre de nous offrir quelques clés à ce sujet.
Voici donc l’interview d’un auteur et d’un homme comme on en rencontre peu. Le résultat va au-delà de mes espérances. Voilà très exactement pourquoi j’aime tant réaliser des entretiens sur ce blog, un immense merci à Bernard Prou pour son temps et son enthousiasme.
Lien vers ma chronique du roman
Bernard Prou en compagnie de Gérard Collard lors du salon Saint-Maur en poche 2016
Merci d’avoir accepté mon invitation à la discussion. Avant de commencer, qu’est-ce-que je vous sers à boire en apéritif ?
Je dois commencer par un aveu !
J’ai connu une période alcoolique pendant laquelle j’ai touché le fond. Un jour, seul devant le miroir j’ai décidé d’en sortir. Ce jour là j’ai arrêté net la picole. Personne n’y croyait. Cela fait trente ans que je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool. Pas une seule ! Et je n’ai plus de problèmes avec les miroirs.
Alors une eau pétillante fera l’affaire !
Mais ne vous gênez-pas pour moi ! Je ne suis pas un de ces alcooliques repentis qui prêchent l’abstinence. Je n’ai jamais renié mes anciens compagnons d’infortune et j’aime la compagnie des gens à l’euphorie joyeuse.
À votre santé !
(La version originale est de Bernard Dimey)
Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?
Joueur ; utopiste ; opiniâtre.
Trois autres pour la route : incrédule ; généreux ; rancunier.
Et pour le coup de l’étrier : curieux.
Comment en arrive-t-on à l’écriture après avoir été professeur de physique et de chimie, et pourquoi maintenant ?
Je suis un toqué du livre ! J’ai toujours eu un rapport passionnel avec lui.
J’ai toujours été un rat de bibliothèque et un lecteur morfal. Et depuis des décennies : un bibliophile. Si vous saviez ce qu’est capable de faire un bibliophile pour acquérir l’objet de ses convoitises !
Mes anciens élèves dont certains sont devenus des amis me répètent parfois que j’étais un prof atypique. J’étais souvent capable pendant mes cours de leur conseiller un bon bouquin.
Mais je ne voyais le livre que du côté extérieur. J’ai décidé vers 1990 de franchir le pas et de traverser le miroir. (Encore une histoire de miroirs ! Ce sont des objets qui me fascinent.)
En m’appuyant sur des archives inédites que j’avais retrouvées j’ai écrit « l’histoire de la franc-maçonnerie en Haute-Loire », éditions du Roure (43000 Communac)
Deux ans plus tard, avec d’autres archives inédites j’écrivis une biographie : « Laurent-Eynac, le premier ministre de l’Air », éditions du Roure.
Mais tout cela ne restait que du travail d’historien du dimanche. Je n’osais pas aborder la fiction.
Dans les années deux-mille Les éditions du Roure qui m’avaient édité lancèrent un concours de nouvelles dont le thème était « Le bistrot ». J’étais un expert en pays de connaissance ! Ma nouvelle (Le coup de l’étrier) fut primée et éditée.
L’année suivante, je récidivai dans l’album « Un moment d’égarement » avec ma nouvelle Les bas-fonds d’un trou de mémoire dont je vous reparlerai car elle est à l’origine de Alexis Vassilkov.
L’année suivante encore, une de mes nouvelles fut primée et éditée. (Le baron de Ceyssac).
J’y pris goût !
J’ai écris une douzaine de nouvelles rassemblées sous le titre : Le coup de l’étrier.
Je les ai faites imprimer en même temps qu’Alexis Vassilkov mais je ne les ai jamais proposées dans le commerce. (À l’exception d’une demi-douzaine de libraires amis).
Si cela vous intéresse je peux vous livrer les titres des nouvelles du recueil : Le temps des sarbacanes ; Feu mon père ; Le cortège funèbre ; La carrière de l’énarque ; Nique ta mère !; Le rucher de la Butte-aux Cailles ; La ligne Neuf ; Lise et moi ; Mon cinoche.
Maintenant qu’il y a prescription, je peux aussi vous avouer que j’ai écrit quelques unes de ces nouvelles durant les interrogations écrites pendant lesquelles on pouvait entendre une mouche voler dans la classe !
L’histoire du succès de ce roman est presque aussi tumultueuse que celle de votre personnage principal…
Ce livre c’est deux histoires extraordinaires en une seule, aussi invraisemblable l’une que l’autre :
– Le récit de la vie de Alexis Vassilkov à l’intérieur du roman ;
– L’incroyable chronique de la diffusion de l’ouvrage à partir du manuscrit.
L’histoire du succès de ce livre est le fruit de rencontres, d’heureuses conjonctures, d’une brouille et de talents réunis autour du projet d’un entêté.
Après plus de trois ans d’écriture sur deux tables circulaires, une petite table basse en osier dans un appartement de Créteil et une table de jardin métallique dans le jardin du village jurassien de Cuttura, les aventures d’Alexis, comme tous les livres, se matérialisaient sous la forme d’un épais manuscrit. Rien que de plus banal.
Sûr de moi, j’étais persuadé que ce manuscrit intéresserait au moins un éditeur !
J’ai fait parvenir le précieux document à une douzaine d’éditeurs, et pourquoi le taire, je choisis les plus renommés de chez les renommés. Je me déplaçais même chez certains pour remettre le texte aux charmantes hôtesses qui m’assuraient qu’il finirait sous les yeux de la personne idoine. Les mois passèrent et je reçus une douzaine de lettres stéréotypées de refus poli que tout auteur débutant reçoit. Rien que de très banal mais l’auteur débutant qui collectionne quand même de nombreuses heures de vol, commençait à être agacé et moins sûr de lui.
Je décidai d’aller au bout de mon projet. Je me déclarais auto-entrepreneur et éditeur.
Le 1er avril 2014, Brouette éditions naquit avec son logo.
Je fis imprimer à mes frais 350 exemplaires grand format et 150 exemplaires au format de poche.
Pendant un an j’entrepris de toquer à la porte de librairies parisiennes et de l’Ile-de-France pour leur proposer de prendre Alexis Vassilkov en dépôt.
La Griffe Noire de Saint-Maur avait accueilli le roman avec bienveillance en la personne de Jean-Edgar Casel qui m’invita comme coup de cœur au salon Saint-Maur en Poche 2014.
Puis un an de traversée du désert s’écoula.
Et le 3 septembre 2015, coup de tonnerre, Gérard Collard qui avait lu le livre durant l’été en était tombé amoureux.
La suite vous la connaissez un peu. Sept-mille cinq cents exemplaires grand format vendus en France et à l’étranger.
Véronique Cardi, directrice générale du Livre de Poche (Hachette) décide de publier Alexis dans sa collection en mai 2016 où il cartonne.
L’esprit de Tüsput le chamane yakoute veille sur Alexis.
Passons au plat. Si vous aviez le choix, qu’aimeriez-vous manger là, tout de suite ?
Ah maintenant ! un pot au feu me conviendrait bien !
Certains gastronomes disent que ce n’est pas la saison mais je m’en bat l’œil !
Un pot au feu quel régal !
Avec cet Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant c’est un peu un retour à ces aventures « à l’ancienne » qu’on a pu connaître au début du siècle dernier…
J’éprouve un intérêt particulier pour la fin du XIXème siècle, pour la Commune de Paris, pour l’esprit de Jules Vallès et Maupassant bien sûr, l’écrivain et l’homme.
J’ai été marqué dans mon enfance par les feuilletonistes comme Eugène Sue et ses Mystères de Paris, Ponson du Terrail créateur de Rocambole, Gaston Leroux inventeur de Rouletabille et Chéri Bibi, Alexandre Dumas et ses nègres, Michel Zevaco avec son Pardaillan.
Mais là je vous parle d’un temps que les moins de …ante ans ne peuvent pas connaître !
Pour moi, ces feuilletonistes sont les ancêtres des créateurs de feuilletons télévisés d’aujourd’hui comme Vince Gilligan le scénariste de Breaking Bad.
Lorsque mon ami Fernando Arrabal a écrit la postface du roman il a accolé le terme de héros strogoffien à Alexis Vassilkov et il l’a comparé à Don Quichotte. Vous ne pouvez pas savoir combien j’en suis fier !
Vous avez vu juste quand vous parlez d’aventures « à l’ancienne ». C’est tout à fait cela !
Le sous titre « ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant » fleure le XIXème.
De la même façon que chaque chapitre porte un titre. J’y tenais.
J’ai même dans ma besace une vingtaine d’illustrations dessinées par mon talentueux neveu, comme cela se faisait. Je les utiliserais peut-être pour une édition restreinte si cela intéresse quelques amateurs.
Difficile de savoir ce qui est vrai ou romancé dans ce récit. On dirait que vous aimez vraiment vous amuser avec le lecteur…
Vrai ou faux ?
Fiction ou réalité ?
Je suis émerveillé et fasciné par la prestidigitation, la cryptographie, les grands tours de magie, les faussaires et l’histoire du faux, autant en art qu’en littérature.
Du temps de la télévision en noir et blanc il existait un numéro fantastique de télépathie exécuté par deux artistes : Myr et Myroska. Un code oral utilisé entre les deux partenaires leur permettait d’échanger des informations et le public n’y voyait que du feu ! Un merveilleux numéro !
Myr terminait immanquablement le numéro par : « S’il n’y a pas de truc c’est formidable, mais s’il y a un truc, reconnaissez que c’est encore plus formidable. »
La vérité historique peut souvent être mise en doute. La vérité littéraire, jamais !
Je reprends les propos de Umberto Eco quand il disait qu’on peut discuter sur le fait que Hitler se soit suicidé dans son bunker, mais quand Tolstoï écrit que Anna Karénine est morte en se jetant sous un train, c’est indiscutable !
La vérité littéraire est plus vrai que la vérité historique !
Loin de moi l’idée de vouloir berner mon lecteur ! J’espère simplement lui faire passer un bon moment.
Mais je ne veux pas qu’il reste spectateur et consommateur de sa lecture, je veux qu’il s’implique, qu’il s’interroge, qu’il participe, qu’il cherche comme moi je l’ai fait. Le lecteur fait partie du roman.
Quand après avoir cherché sur internet il ne trouve rien sur tel ou tel personnage il doit avoir la puce à l’oreille : l’auteur a utilisé des sources inconnues jusqu’ici et cela se peut, mais cela peut aussi signifier qu’internet n’a pas encore le pouvoir de pénétrer dans le cerveau de l’auteur et c’est tant mieux !
J’ai habillé le roman de notes de bas de pages qui donnent un cachet d’authenticité. Toutes les notes sont vraies, soit dans la réalité historique soit dans la réalité romanesque mais c’est au lecteur d’exercer son esprit critique.
J’ai parfois pris mes rêves pour la réalité et j’ai voulu les partager avec mes lecteurs. Tant mieux s’ils y ont cru, j’y crois moi-même ! Et je suis heureux de leur avoir apporté des instants d’évasion.
Le destin d’Alexis et de ses amis est souvent tragique, mais vous avez su garder un certaine légèreté dans votre manière de nous le raconter…
L’humour et la dérision permettent de survivre.
Je suis sujet à de terrible crises d’abattement contre la bêtise de mon prochain et contre ma propre imbécillité.
Simultanément, je peux être admiratif du génie humain et témoin colérique de son abyssale connerie.
Je suis indocile à l’extrême et je ne supporte pas la hiérarchie qui est la chose au monde la plus factice. Regardez dans les cimetières tous ces galonnés militaires ou civils qui reposent sous leur dalle !
Certaines scènes terribles que j’ai écrites m’empêchaient parfois de dormir. Je me relevais en m’interrogeant sur mon état mental. Comment pouvais-je décrire de telles abominations ?
J’ai pris conscience du pouvoir exorbitant de l’auteur sur ses personnages. On peut d’un trait de plume tuer une de ses créatures et dans le trait suivant donner la vie à une autre.
L’auteur est le seul homme qui connaît les joies et les douleurs de l’accouchement. De même il est le seul individu qui reste impuni de ses crimes.
De toute ma vie, jamais je ne me suis pris au sérieux. Cela m’a joué des tours bien entendu mais j’ai toujours trouvé le dérisoire dans les situations les plus dramatiques, ce dérisoire qui vous protège et qui vous évite la déprime, la folie ou le suicide.
En ce qui concerne le contexte historique, le récit est très documenté. Comment avez-vous procédé, principalement pour la partie en lien avec la Russie ?
C’est grâce à Marianne Masson mon épouse que j’ai pu mener à bien ce roman. Elle a vécu en Russie le temps de ses études linguistiques et parle couramment la langue. Marianne m’a traduit directement des informations depuis des sites russes. Elle était la première lectrice de mes chapitres et y apportait ses réflexions toujours pertinentes. C’est elle qui m’a communiqué son engouement pour ce pays dont j’ignorais tout.
Un travail de documentation a fait le reste. J’ai ingurgité des piles impressionnantes de livres sur le goulag, la Sibérie, les tsars, la musique et l’histoire de la révolution russe…
Et puis je dois encore vous dire combien Google earth m’a été précieux pour explorer l’immense Russie et comment je me promenais dans les rues de Saint-Pétersbourg avec street view bien avant d’aller vérifier sur place.
La Franc-maçonnerie semble être un sujet qui vous passionne…
Très tôt je me suis intéressé à la franc-maçonnerie. J’ai été initié au Grand Orient de France en 1977 et j’ai participé à la commission d’histoire de cette obédience pendant de nombreuses années.
En 1990 j’ai été le commissaire d’une importante exposition au musée Crozatier du Puy en Velay : La franc-maçonnerie dévoilée.
J’ai également fait des conférences publiques sur ce sujet dont je vous livre quelques titres : La franc-maçonnerie pour quoi faire ? L’antimaçonnisme en France ; Les rituels maçonniques ; L’histoire de la franc-maçonnerie en France…
On pourrait dire que dans ce domaine je ne suis plus un apprenti.
Ce blog est fait de mots et de sons. La musique tient-elle une place dans votre processus créatif ?
J’écris dans le silence et l’isolement mais par ricochet la musique prend une grande importance dans mon travail car je me passionne pour la chanson de paroles qui participe à mon inspiration. Je suis admiratif devant un texte musical qui en quelques minutes vous raconte une histoire et vous plonge dans l’émotion la plus intense.
Mes goûts en ce domaine sont des plus classiques : Barbara ; Brel ; Brassens…
Mon âge explique que j’ai eu le privilège de les écouter plusieurs fois sur scène à Bobino et à l’Olympia et d’autres lieux plus confidentiels comme les cabarets de la rive gauche. Des souvenirs historiques qui restent gravés au fond de ma mémoire.
Marianne Masson est auteure, mélodiste interprète et prépare son troisième album qui devrait sortir à l’automne. Je vous tiendrai informé car cela vaut le voyage !
https://myspace.com/mariannechanson
Pour terminer sur ce point je vous laisse écouter cette chanson de Charlebois que je trouve géniale. Mais j’en ai des dizaines d’autres dans mon sac à dos.
Et pour terminer, je vous invite à choisir votre dessert préféré…
Alors là aucune hésitation : un Paris-Brest ! (Je n’ai pas pu m’empêcher de citer ce gâteau dans « Alexis » : cf. édition du Livre de Poche, p.255)
Merci pour votre invitation au dialogue, mais l’addition est pour moi !
– « Patron ! s’il vous plait ! »
Interview de Bernard Prou au salon Saint-Maur en poche 2016 :
Catégories :Interviews littéraires
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Lui, je veux le lire ! Bravo à cet auteur qui s’est accroché, là où tant d’autres n’y arrivent pas parce que hélas, tout le monde ne peut pas être publié… :p
Mais comment ai-je fais pour rater cet entretien.
Peut-être que simplement je l’ai vécu en direct devant un bon plat et une eau pétillante.
Et pour le désert, j’ai une confidence à te faire. Bernard adore aussi le pain perdu.
C’est formidable ton ITW m’a permis d’apprendre 2 ou 3 choses qui vont bien me servir pour préparer un futur Apéro Polar. Mais là, il va falloir être patient.
Mais promis on n’en reparlera car l’histoire ne fini jamais avec un auteur digne héritier des feuilletonistes .
Merci à vous deux messieurs pour ce délicieux partage, je me suis régalée ! 😀