Ses récits, Franck Bouysse ne vous les offre pas sur un plateau. Il faut prendre le temps de les apprivoiser et ils nécessitent de l’attention pour s’y plonger. Si vous êtes prêts à tenter ce voyage à travers ses mots, ce sont des romans qui laissent des traces. Plateau est le modèle parfait de la patte Bouysse.
Terrien et aérien
Tout d’abord écouter. Écouter la musicalité de cette écriture. Se familiariser avec cette musique des mots qui débute tel un simple bruissement pour se terminer de manière assourdissante. Un texte comme une caisse de résonance. Ou de « raisonnance », tant il nous pousse à réfléchir au monde qui nous entoure.
Mais de quel monde parle t-on ? Pas celui des grandes cités et de la superficialité. Non, Plateau est un roman terrien écrit d’une plume aérienne. Ça peut sembler paradoxal et pourtant le mélange fonctionne bien.
Une histoire qui se déroule dans un hameau perdu au milieu d’une nature qui dicte sa loi. « Face à la nature, t’es rien », nous dit d’ailleurs un des personnages.
Poésie des taiseux
Les personnages justement… Pas des grands bavards, Ils ne perdent pas de temps en palabres et vont à l’essentiel. Sauf qu’à force de communiquer de manière minimaliste, les non-dits et les secrets s’accumulent.
On vante beaucoup l’écriture poétique de Franck Bouysse (avec raison). Pourtant, ce sont bien les personnages qui m’auront le plus touché à travers ce récit. Souvent bourrus, mais vraiment attachants malgré leurs défauts. A l’image de Judith, atteinte de la maladie d’Alzheimer, que l’auteur a réussi à caractériser de manière magnifique.
Des personnages devant lesquels, nous lecteurs, nous présentons sur la pointe des pieds, de peur de les déranger dans leur monde. Des personnages qu’il convient de domestiquer, comme le récit lui-même, pour entrer en empathie. Si c’est la cas, certains passages vous toucheront au cœur, à l’image de plusieurs dialogues sublimes d’humanité.
Nature vs humanité
Alors oui, comme dans chaque roman où la musicalité des mots est prépondérante, certains passages m’ont parlé davantage que d’autres. Tel un album de musique où certains morceaux touchent notre âme et d’autres nous parlent moins. J’ai trouvé qu’à travers certaines tirades, Bouysse en faisait parfois un peu trop, mais elles sont minoritaires face à celles qui m’ont émues. L’écrivain parle beaucoup de la nature mais ce sont les parties en lien avec les personnages qui m’auront touché au plus haut point.
Plateau est un roman noir rare, qui aime prendre son temps. Un récit qui enracine le lecteur dans ce qui est essentiel. Une histoire simple et sombre à la fois, à laquelle il faut s’acclimater, et dont le final réserve un flot d’émotions à ceux qui auront accordé leur rythme à celui du cœur palpitant de l’auteur unique qu’est Franck Bouysse.
Citation :
Au plus profond, elle sait qu’elle n’en a pas encore terminé avec l’homme-torture. La seule chose qui compte pour l’instant : il est physiquement à distance. Une tumeur suspendue dans son corps de femme, pareil à un fœtus malade relié au placenta de sa haine. Et un jour, peut-être, décider, elle seule, d’avorter avant terme de ce souvenir, tant que le cœur bat encore. Qu’elle le sent battre. Pour finir par le balancer sur un tas d’ordures. Libérée.
Sortie : 07 janvier 2016
Éditeur : La manufacture de livre
Collection : Territori
Genre : Roman noir
Mon ressenti de lecture :
Profondeur : 7/10
Dimension de l’histoire : 6/10
Psychologie : 8/10
Qualité de l’écriture : 9/10
Émotions : 8/10
Note générale : 7,5/10
4° de couverture
Plateau, c’est un hameau en Haute-Corrèze où réside un couple de vieux paysans, Virgile et Judith. Judith, est maintenant atteinte d’Alzheimer, elle oublie tout sauf une chose : elle a mal vécu l’absence d’enfant dans le foyer.
Le couple a élevé Georges, ce neveu dont les parents sont morts d’un accident de voiture alors qu’il avait cinq ans. Maintenant Georges vit dans une caravane face à la maison de Virgile et Judith.
Alors lorsqu’une jeune femme emménage chez Georges, lorsqu’un ancien boxeur, Karl, tiraillé entre ses pulsions sexuelles et sa croyance en Dieu vient s’installer dans une maison du hameau et qu’un mystérieux chasseur sans visage rôde alentour, Plateau prend des allures de village où toutes les passions se déchaînent.
Catégories :Littérature
Magnifique chronique, tu trouves toujours les mots pour dépeindre magnifiquement les émotions ressenties à chaque lecture .j’adore 😉
Merci Chris 😉. Je sais combien tu attendais que je lise ce livre
Oui et je sens que je vais le relire bientôt pour faire une plus belle chronique que ma première. Il a vraiment une plume extraordinaire .c’est chouette de l’avoir découvert 😉 dans toutes certes faunes 😉
Oui Franck est unique … Et vrai …
Ses écrits sont criants de vérité et touchants à la fois !
Ta chro est aux petits oignons. ..
J’adore !
Merci Kris, pourtant je suis nul en cuisine 😉
Chouchou te donnera des cours ! Lui, il est nul en écriture… ça fera la balance ! 😆
Depuis le coup de coeur phénoménal de Grossir le ciel, je me suis mis en tête de lire tous ses livres, avec ta chronique, je me dis que celui ci risque encore de me bouleverser de la même manière!!!!!
Ça risque fort oui !
Je l’ai réservé à ma médiathèque , je le lirai la semaine prochaine ! ^_^
Bonne lecture alors 😉
Une superbe chronique qui me plonge direct dans l’univers de Franck Bouysse meme si je n’ai pas encore lu celui la 😊
Très belle chronique Yvan, qui rend bien justice à l’immense écrivain qu’est Franck Bouysse, archétype même du taiseux contemplatif, qui a le don de mettre en mots toutes les superbes images qu’il a sous les yeux…
Un magnifique roman en vérité.
Joli cri du coeur de ta part aussi !
Il le mérite bien… J’ai quelques autres de ses ouvrages dans ma PAL… 🙂
Pas encore découvert ce roman, mais il est quelque part dans tout mon brol de livres ! 😉
Brol 😉. Je viens d’apprendre une nouvelle expression
Et si tu as du bazar, tu as du brol ! À Bruxelles, on a même la semaine du brol, tu balances ce que tu veux sur le trottoir, sauf ta belle-mère et les poubelleurs ramassent !
Pourquoi ça ne marche pas avec les belles-mères ? C’est de la discrimination
Fallait en avoir une comme la mienne, une pas chiante, une qui se mêle de rien et qui tu fous une paix royale ! Merci belle-maman ! Ma mère fout aussi la paix à Chouchou et quand Chouchou dit un truc en cuisine, elle écoute !
C’est beau ta chronique mon ami. On sent l’émotion que tu as pu avoir pendant cette lecture.
Je n’ai pas été autant emballée que beaucoup par “Grossir le ciel”, je me demande si je ne suis pas passée à côté de quelque chose . Ou alors j’ai un coeur de pierre 🙂
Tu vois que j’ai quelques petites réservés aussi, mais oui ai été touché par certaines scènes.
Et non tu as tout sauf un coeur de pierre 😉
oui j’ai vu tes réserves mais tu es beaucoup plus sensible que moi 😉
C’est vrai 😉
ben oui 🙂