Et c’est ainsi que nous vivrons – Douglas Kennedy

Ce n’est pas qu’un roman, mais une vision. Pas qu’une fiction, mais une anticipation. Douglas Kennedy regarde devant nous et imagine le futur, Et c’est ainsi que nous vivrons en 2045.

Deux décennies à peine, ce n’est rien du tout à l’échelle de nos sociétés, et pourtant le monde que décrit l’auteur est bien différent du nôtre. Ou plutôt, il en est l’extension, avec des curseurs poussés juste (beaucoup) plus loin.

Etats-Désunis

Dans ce futur, place aux Etats-Désunis. Les anciens gendarmes du monde se sont repliés sur leur lutte intestine. Une guerre de sécession version 2.0 a morcelé le pays, au point d’y ériger des frontières comme autant de murs de Berlin version XXL.

Les côtes Est et Ouest et quelques états proches, d’un côté. De l’autre, les états de l’intérieur. Et deux modes de vie et de pensée opposés, démocratie autoritariste vs théocratie redneck.

Douglas Kennedy a pensé, théorisé, ce demain avec minutie. Pas juste en en dessinant les grandes lignes, mais en le réfléchissant avec nombre de détails. Allant parfois bien au-delà du continent américain, élargissant parfois le spectre au monde entier.

L’auteur donne le « choix » entre deux idées sociétales qui s’entrechoquent. Entre l’état de Big Brother ou la dictature de l’Inquisition.

Thriller d’anticipation engagé

Rien de farfelu, ce roman d’anticipation est clairement un prolongement de ce que l’on est en train de vivre à travers un pays et un monde qui se désagrègent. Et où la remise en cause des droits fondamentaux est devenue la nouvelle norme.

Qu’on soit clair, le roman n’est pas un pamphlet politique ou une thèse, mais bien un vrai thriller, avec une intrigue fouillée. De l’art de faire passer des messages forts à travers un genre dit de divertissement. Un mélange détonnant qui prend aux tripes, se révèle haletant après 1/3 de mise en place, tout en mettant mal à l’aise et faisant réfléchir.

Clairement, ce n’est pas un livre qu’on oublie lorsqu’on le pose sur sa table de chevet. Il embolise les pensées, continue son cheminement intérieur.

Démocraticide

La partie thriller met en scène une agente secrète de la partie République (celle des deux côtes) qui doit infiltrer le camp adverse, via la Zone Neutre, pour éliminer une cible. Sauf qu’elle va se retrouver personnellement et émotionnellement impliquée dans cette mission.

Cette partie offre son lot de surprises, et le contexte ambiant rend l’intrigue sacrément addictive et singulière.

Ce que décrit Kennedy n’est rien de moins qu’un démocraticide. Par les deux parties.

D’un côté dans la Bible Belt étendue, sous couvert de croyances religieuses moyenâgeuses, les droits sont bafoués, la différence ou la dissension sont passibles de mort par le feu.

De l’autre, la démocratie est totalement encadrée, tout est fliqué, pour une réelle sécurité apportée mais au détriment de la notion même d’intimité.

L’écrivain américain a clairement choisi son parti, on le sent très vite, mais ça ne l’empêche pas d’être critique et d’alerter. Oui, ce roman est clairement engagé, il y tire à boulets rouges sur la génération Trump et l’avancée de l’obscurantisme au détriment de la liberté et de l’égalité.

Eveil des consciences ?

La diatribe est vive contre ces états de l’intérieur qui « écorchent leur salmigondis de dogmes hypocrites », dixit l’auteur.

Le plus terrifiant sans doute, pour moi, est que ce propos visionnaire, avec sa foultitude de détails, correspond beaucoup à ma manière de voir les choses… Pessimiste clairement, alarmiste assurément. Pour tenter d’éveiller aussi les consciences sur ce possible avenir. Un monde qui fonctionne autrement, mais à quel prix ?

Et c’est ainsi que nous vivrons, une affirmation, tant Douglas Kennedy s’engage sur ce futur proche qu’il a pensé avec minutie. Une vision d’une division qui est déjà en marche, aussi effrayante que fascinante et éclairante, à travers le jeu du thriller d’espionnage.

Avec une intrigue prenante et engagée qui porte le propos tout en faisant défiler les pages devant nos yeux écarquillés. Pour mieux les laisser grands ouverts sur ce qui risque de nous attendre ? Un roman épatant et important.

Yvan Fauth

Sortie : 01 juin 2023

Éditeur : Belfond

Genre : Thriller

Traduction : Chloé Royer

Prix : 22,90 €

4ème de couverture

Après le succès des Hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy poursuit son étude d’une Amérique plus divisée que jamais. Un roman glaçant de réalisme, le tableau effrayant de ce qui pourrait bien devenir les Etats-Désunis d’Amérique…

Après Les hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy poursuit sa fresque d’une Amérique plus divisée que jamais. Un roman choc, glaçant de réalisme, le constat effrayant de ce que pourraient devenir bientôt les États-Unis…

2045. Les États-Unis n’existent plus, une nouvelle guerre de Sécession en a redessiné les frontières.
Sur les côtes Est et Ouest, une république où la liberté de mœurs est totale mais où la surveillance est constante. Dans les États du Centre, une confédération où divorce, avortement et changement de sexe sont interdits et où les valeurs chrétiennes font loi.

Les deux blocs se font face, chacun redoutant une infiltration de l’autre camp.

C’est justement la mission qui attend Samantha Stengel. Agent des services secrets de la République, cette professionnelle reconnue, réputée pour son sang-froid, s’apprête à affronter l’épreuve de sa vie : passer de l’autre côté de la frontière, dans un des États confédérés les plus rigoristes, sur les traces d’une cible aussi dangereuse qu’imprévisible.

Dans ces États désormais Désunis, Samantha devra puiser au plus profond de ses forces pour échapper aux mouchards de son propre camp et se confronter aux attaques de l’ennemi.

Est-ce ainsi que nous vivrons ?



Catégories :Littérature

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9 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Magistral !
    De quoi alimenter nombre de conversations dans les jours à venir. Le thriller n’est jamais aussi bon que lorsqu’il repose sur une base sociétale, voire dystopique/utopique.

  2. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Il y a longtemps que je n’ai pas lu Douglas Kennedy. Mais celui-ci a visiblement tout pour me plaire. Et en plus il pourrait intéresser ma moitié aussi, alors ! 😉 😛

  3. Le livre d’un parfait bobo.
    Qui se rend compte apres coup qu’ils ont joué avec le feu.
    Aie ça brule les doigts.
    J’avais lu ses chroniques dans le JDD.
    Ce n’est qu’une redite.

  4. Un livre qui me reconcilierait peut-être avec Douglas Kennedy ? Dans le genre, j’ai beaucoup aimé “La famille Mandible “de Lionel Shriver, tu l’as lu ?

  5. Le salmigondi. J’aime bien. C’est mal barré tout ça. Merci à toi pour la chronique Yvan. 🙏😘

  6. Le s de salmigondis vient à pied visiblement 🤣

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