Quel grand écart ! Sans aucun doute l’un des plus grands qu’il m’ait été donné de lire. La colère est un roman noir bourré de testostérone tout autant qu’empli de sensibilité. S.A. Cosby réussit l’exploit de concilier action et émotions, à sa manière. Pour un résultat étonnant et sacrément convaincant.
Situation explosive
Posons le décor et les personnages, vous comprendrez vite la divergence, l’antagonisme des forces en présence. En Virginie-Occidentale, on mélange encore difficilement les hommes de couleurs différentes. Encore moins dans certains milieux.
Ike Randolph est noir. Buddy Lee Jenkins est blanc. Deux ex-taulards, pas mal de sang sur les mains. Dépassant la cinquantaine, Ike s’est rangé après un énième séjour en prison. Buddy Lee végète dans sa caravane pourrie.
Leur point commun ? Ce qui va les lier inexorablement ? Leurs deux fils, assassinés ensemble de plusieurs balles, dont la dernière en pleine tête. Dernier « détail » qui rend la situation explosive, ce jeune blanc et ce jeune noir étaient en couple.
Oui, les fils uniques de ces deux terreurs étaient homosexuels. Les pères ayant toujours vécu dans un monde très cloisonné, autant dire que les liens familiaux avec leur progéniture se sont quasi brisés depuis leur coming out.
Se remettre en cause
Ces deux morts brutales vont être le lien inattendu qui va créer une convergence de deux mondes, de deux hommes que rien n’aurait pu associer avant.
L’idée générale du roman est formidable, mais sacrément osée. Accorder ce qui paraît inconciliable. Et surtout montrer que rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, justement. Parce que ces deux terreurs vont réussir à toucher le cœur du lecteur, au plus profond, une sacrée prouesse narrative et romanesque.
La mort de leurs fils va les faire vaciller de l’intérieur, leur faire jeter un autre regard sur les choses et les hommes. Ces deux types sont meurtris par cette perte, et refusent de laisser les coupables s’en sortir.
Ike Randolph et Buddy Lee Jenkins vont se remettre en cause, essayer de se racheter en la mémoire de leurs enfants. Leur enquête parallèle va les forcer à comprendre. A écouter les autres, à accepter leurs différences. En quelques jours, ces deux frappes vont devenir inséparables, alors qu’ils ne se seraient jamais adressés la parole avant.
Sensibilité à fleur de peau, et pétarades…
La sensibilité à fleur de peau du récit est là, avec deux personnages qui cherchent (enfin) à comprendre, à accepter l’homosexualité de leurs enfants, à leur dire par les mots et les actes qu’ils les aiment et qu’ils sont déchirés de ne pas leur avoir dit avant. Oui, certaines scènes sont poignantes au possible. Pour laisser poindre une humanité vraiment touchante, par la grâce d’une écriture qui sait jouer sur les variations.
Deux sacrés protagonistes, détestables de prime abord, et qu’on va au fil des pages apprécier de plus en plus. Parce qu’ils vont apprendre à se connaître eux-mêmes. Et le choc est rude.
A ces scènes, se rajoutent des passages tout aussi forts, mais d’une autre manière, débordantes d’action, de violence, de fusillades. Une manière d’évacuer leur trop-plein de colère, de fureur, de haine envers les assassins de leurs fils. Qui ne sont rien de moins qu’un gang ultra-violent, cachant le commanditaire de ces meurtres.
Leçon de tolérance
Ça pétarade dans tous les sens, ça cogne, ça beugle, avec des passages sacrément explosifs. Quand Ike et Buddy Lee laissent parler cette violence qu’ils cherchaient à contenir tant bien que mal, quand ils lâchent les chiens, ça déménage. Personne n’a dit qu’il n’y avait qu’une jolie morale dans cette histoire.
Le résultat tient incroyablement bien la route, le mélange fonctionne à plein. Pour bien faire passer le message principal du respect de la différence. Parce que l’amour n’a ni couleur ni orientation.
Tout le talent de l’écrivain réside dans ce mélange détonnant, qu’il dompte par un style à la fois rentre-dedans et plein d’émotions, à coups de bons mots et d’une qualité narrative singulière.
La colère est un roman noir qui marque, secoue physiquement et émotionnellement, divertit et fait réfléchir sur cette Amérique des contraires et des excès. S.A. Cosby a un talent fou à mettre en scène cette histoire de tolérance, et ose la sensibilité au sein d’un roman qui ne cache pourtant pas sa violence. Un sacré grand écart, une sacrée réussite.
Yvan Fauth
Sortie : 06 avril 2023
Éditeur : Sonatine
Genre : roman noir
Traducteur : Pierre Szczeciner
Prix : 23 €
4ème de couverture
Un état des lieux sans concession de l’Amérique des marges.
Ike Randolph est noir. Buddy Lee Jenkins est blanc. En Virginie-Occidentale, cela revient à dire que tout les oppose. Ils ont pourtant été tous les deux pareillement lamentables en dénigrant avec la même violence l’homosexualité de leurs fils, maintenant mariés l’un à l’autre. Alors, quand Isiah et Derek sont assassinés, la douleur a un goût de culpabilité”. Qui a tôt fait de se transformer en colère, un colère viscérale, qui réclame un exutoire.
Catégories :Littérature
Sonatine déniche encore une merveille 👍
encore une oui ! Ce sont des champions pour ça !
Quelle chronique !!! J’adore ta façon de pitcher ! J’ai très hâte de lire ce livre qui a l’air de franchement déménager !!
Franchement c’est une très belle surprise, épatant !
Merci 😉
Wooowww la chronique. Merci Yvan.
Je le note en très très gros.
Tu fais bien !
Je vais encore perdre un bout de rein dans l’histoire. 😁
Comment résister à une telle histoire, surtout présentée comme tu sais si bien le faire !
Alors ne résiste pas 😉
Merci !
Quelle souplesse si tu as réussi à faire un grand écart à JCVD, entre deux camions qui roulent ! 😆
J’avais déjà noté ce roman, il me tente encore plus, à cause de toi :p
Quand on lit, on a tous les pouvoirs, même ceux de JCVD 😉
Hâte de le lire ! Merci Yvan!
Bonne future lecture, Gisèle !
si c’est de la même veine que » les routes oubliées » , ça va être délicieux à lire
Je ne l’ai pas lu, mais on me dit qu’il est encore meilleur