Interview – 1 livre en 5 questions : S’adapter ou mourir – Antoine Renand

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger

ANTOINE RENAND

Titre : S’adapter ou mourir

Editeur : Robert Laffont / Collection : La bête noire

Sortie : 07 octobre 2021

Lien vers ma chronique du roman

Comment as-tu procédé pour te plonger dans le quotidien méconnu de ces modérateurs de contenu…

J’avais cette idée au départ d’un modérateur de contenu qui prendrait l’initiative d’aller sur le terrain après avoir vu une vidéo choquante, pour s’assurer que la police avait pris les choses en main.

Afin d’en savoir plus sur ce métier, j’ai d’abord visionné un reportage dans lequel un journaliste infiltrait une formation de modérateurs de Facebook. C’est là que j’ai découvert des éléments incroyables et méconnus : le fait que les employés soient salariés d’une société intermédiaire et non de Facebook, pour instaurer une distance entre eux ; la clause de confidentialité qu’on les oblige à signer et qui leur interdit de révéler à qui que ce soit ce qu’ils font ; l’interdiction de mentionner le nom de Facebook dans les locaux de la société intermédiaire ; et surtout le syndrome post-traumatique dont beaucoup de modérateurs sont victimes après avoir regardé à longueur de journée des vidéos ultra-violentes.

En découvrant ces éléments, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet de roman plus vaste et qu’il fallait absolument que j’incorpore tout cela. J’ai très vite senti le type de narration que je pourrais en faire et cela m’excitait beaucoup : d’un côté, le lecteur se trouve plongé dans le thriller avec le récit de la jeune fille kidnappée ; de l’autre, il découvre comme le modérateur cet univers un peu absurde, dans une ambiance différente de celle des polars habituellement.

J’ai poursuivi ma documentation en lisant des articles, des livres avec des témoignages, et tout corroborait.

Ton scénario est très travaillé, ton écriture cinématographique. Et ton personnage principal est scénariste et réalisateur de film. Tu as puisé dans ton expérience passée pour en arriver là ?

Bien que toutes les situations soient fictives, j’ai mis beaucoup de moi dans ce personnage de quarante ans qui devient modérateur. C’est une façon de faire courante chez les écrivains, mais c’était par moments troublant dans ce polar. Je me suis parfois senti projeté dans des situations violentes.

Je ne le ferai pas à ce point dans chacun de mes prochains romans, mais c’était ici pour moi tout à fait justifié. Cela me permettait de m’approcher d’une vérité.

Je parle dans certains chapitres de cinéma car le personnage a été réalisateur. C’est un milieu que je connais bien, même si, là aussi, son parcours est différent du mien. C’est toujours un plaisir d’évoquer la magie du 7ème art, ainsi que certains côtés moins reluisants des coulisses.

Ce qui m’a frappé dans la construction de ton épatante intrigue, c’est que tu oses…

Mon envie était d’amener quelque chose de différent des standards des polars. Jouer avec les codes, ne pas me contenter de raconter une enquête. J’avais un peu expérimenté cela dans L’Empathie, où l’on était par moments au cœur d’un thriller, et où à d’autres on en sortait.

Dans S’adapter ou mourir, je voulais des chapitres avec du pur thriller, et d’autres qui pourraient se trouver dans un roman de littérature dite « blanche » (l’histoire du couple d’Arthur, ses discussions avec son frère, la formation de modérateur, ses flirts…). Pour ajouter au décalage, j’ai écrit les chapitres d’Ambre à la troisième personne du singulier, et ceux d’Arthur à la première personne.

Je te remercie de parler de « oser » car c’était un défi, je n’étais pas sûr que cela fonctionnerait. Que le lecteur se ferait embarquer. Et j’ai un souvenir très précis d’un matin, après deux mois d’écriture (j’ai écrit pendant un an), où je me suis réveillé avec une profonde angoisse. C’était une période où je travaillais sur les chapitres où mon personnage essaye de séduire Isia, une collègue modératrice ; je n’étais pas à l’aise avec ces scènes et, ce matin-là, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que t’es en train de faire ? T’es censé écrire du polar… Si ça se trouve, la structure ne va pas du tout, personne ne va accrocher à ce système de narration… »

Je me prends souvent la tête quand j’écris mais je n’avais jamais eu ce genre d’angoisses… Heureusement, j’ai terminé ces chapitres et j’ai fait lire le début du roman à mes proches ; leurs retours positifs m’ont rassuré et j’ai continué mon travail au fil des mois, bien moins douloureusement qu’à ce moment-là.

L’homme a toujours été obligé de s’adapter ou de mourir. Cette expression prend-elle une nouvelle dimension dans ce monde de la communication à outrance ?

C’est plutôt dans le monde du travail que je voyais une résonance avec ce principe. En découvrant les conditions dans lesquelles ces modérateurs sont embauchés et la manière dont Facebook les traite, notamment en dressant une barrière entre l’entreprise et eux, j’ai rapidement eu envie d’élargir mon sujet à la précarité ambiante de beaucoup de travailleurs, ainsi qu’à l’ubérisation de la société. Arthur, quand il cherche un boulot alimentaire, s’interroge sur tous les changements que nous constatons chaque jour. Il est peu qualifié, hormis les domaines dans lesquels il travaillait, et il se rend compte que les jobs alimentaires se raréfient et que les nouveaux, qu’on a vu apparaître ces dernières années, n’offrent aucune sécurité de l’emploi.

J’avais très envie d’ancrer le roman dans cette réalité qui pose question.

Je trouve ta fin particulièrement réussie, assez atypique, avec une volonté de proposer autre chose qu’une banale chute de thriller…

Merci beaucoup. Il y a en effet un épilogue d’une cinquantaine de pages. Je pense que cela rejoint mon envie générale de proposer quelque chose de différent des thrillers habituels, de surprendre le lecteur, et surtout d’accompagner mes personnages après la trame policière. Découvrir leurs vies ensuite, personnelles et professionnelles. C’est un livre centré sur les personnages et je voulais montrer comment ils évoluent, avec de petits chapitres elliptiques dans l’épilogue. Il y a de multiples surprises et certains personnages prennent leur revanche.

Cette partie reprend le titre du roman, cette fois ponctué d’un point d’interrogation.



Catégories :Interviews littéraires

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8 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Passionnant !!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      je suis du même avis 😉

  2. Bravo Antoine d’avoir osé. Merci à vous deux pour ce bel échange. 💙🙏

  3. Caroline - Le murmure des âmes livres – Lectrice enthousiaste & amatrice de livres audio. Retrouvez mes chroniques sur le blog. #lecture #livre #litterature #roman #bloglitteraire #chroniquelitteraire #lemurmuredesameslivres

    Merci pour Interview très intéressante.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      merci Caroline. Oui, ce passionnant roman ne pouvait que nous amener à un passionnant échange !

  4. Pour le moment, je n’ai pas encore eu l’occasion de lire un ouvrage de cet auteur, mais la chronique donne envie de le découvrir.
    Je trouve la photo de la couverture, ce mélange de tons bleu et vert, extrêmement attractive. Si je n’avais pas lu l’interview, je crois que cette photo, en librairie, m’aurait intriguée.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      preuve que le boulot a été bien fait par l’éditeur ;-). C’est vrai que cette couverture est super efficace !

  5. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Merci pour ce bel entretien mon ami

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