1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
OLIVIER BAL
Titre : La forêt des disparus
Editeur : XO
Sortie : 22 avril 2021
On retrouve Paul Green, le journaliste au centre de ton précédent roman. Avais-tu déjà à l’époque l’envie d’écrire une nouvelle histoire avec lui ? Ce n’est pour autant pas une suite…
À l’époque de Clara Miller, je n’avais pas encore véritablement l’idée de faire revenir Paul. C’est l’accueil des lecteurs, leurs retours chaleureux au sujet de Paul qui ont commencé à me donner envie de le retrouver… Plus largement, une fois un roman terminé, je repense souvent, avec un peu de nostalgie, à certains de mes personnages. Comme on repense, parfois, à des vieux copains perdus de vue. On se demande ce qu’ils sont devenus, comment ils ont évolué. Et c’était le cas avec Paul…
On a commencé à en parler avec mon éditeur XO, puis l’idée s’est vite concrétisée. Et j’ai été sincèrement hyper heureux de faire un nouveau bout de chemin avec ce vieux Paul. De tous mes personnages, Paul Green est certainement l’un des plus attachants, des plus forts… parce que c’est un anti-héros, un loser magnifique. Un type banal qui se retrouve confronté à l’horreur. Il est pétri de doutes, est lui-même terrifié. Et c’est ce qui me plaît. Ses fêlures, sa fragilité. Vous le verrez dans La Forêt des disparus, au début du roman, on le retrouve plus abîmé que jamais. Il vit comme un ermite, isolé du monde et des autres.
Les disparitions, un sujet inépuisable pour les thrillers…
Alors oui, en effet, la disparition est un sujet assez fréquent dans les thrillers. Mais pour moi, c’est un simple point de départ, un canevas à partir duquel je tisse mon histoire. Dans mes romans, j’aime bien jouer avec les codes, les attentes. Ici, d’une simple affaire de disparitions, on va glisser vers quelque chose de plus complexe, de plus terrible. De même, ce qui m’intéresse avec le sujet des disparitions, ce sont moins les disparus eux-mêmes que la manière dont les autres réagissent à ces drames.
En effet, dans La Forêt des disparus, Redwoods, la ville où se passe l’action du roman, détient un sinistre record, c’est la ville qui compte le plus de disparus de tous les États-Unis. Chaque année, ce sont plusieurs randonneurs qui se volatilisent sans laisser de trace. À Redwoods, ces disparitions sont si fréquentes qu’elles sont comme un état de fait. Comme le dit Gerry, le shérif en début de roman : « ça a toujours été comme ça. La forêt prend et ne rend pas. ». Pire, on les exploite comme un argument marketing et touristique. Redwoods est devenu « La Forêt des disparus ». Dans les boutiques du centre-ville, on vend des tee-shirts, des porte-clés, des tasses inspirés des disparitions. Les touristes affluent des états voisins pour jouer à se faire peur dans cette forêt à la triste renommée.
Ce qui m’interpelle, c’est combien on peut devenir indifférent à l’horreur qui se joue sous nos yeux, combien il est facile, souvent, de détourner le regard plutôt que de faire face. À quel moment, des atrocités deviennent habituelles, tolérables ? Comment en sommes-nous arrivés à une telle apathie les uns envers les autres ?
C’est un vrai thriller, avec du rythme et du suspense. Mais aussi un roman tout en ambiance, avec l’environnement qui est un personnage à part entière…
Absolument. Je voulais à la fois entraîner les lecteurs dans une lecture addictive et haletante mais également construire un univers riche et crédible. J’ai ainsi imaginé complètement la ville fictive de Redwoods. Le moindre bâtiment, le moindre nom de rue, son histoire et son passé. J’ai même poussé le vice à en dessiner une carte complète pour garder des repères topographiques. J’aimais que Redwoods soit enchâssé entre, d’un côté l’océan pacifique déchaîné et, de l’autre, une forêt millénaire. C’est une communauté qui a toujours dû faire face aux éléments, aux drames.
La forêt elle-même est un personnage central de l’histoire. Elle agit comme un huis clos ouvert, un étau qui resserre son emprise, page après page. J’aime ce que véhicule dans l’imaginaire collectif l’image de la forêt : un lieu d’émerveillement et, à la fois, de peur primitive. Et, au gré du roman, je joue là-dessus. Plus largement, la forêt est, tout au long du roman, le reflet de ce qu’y projettent les personnages. Un refuge pour la jeune Charlie, un lieu d’oubli pour Paul, un endroit de mort et d’angoisse pour Lauren. La forêt, c’est aussi un élément qui nous dépasse, sur lequel nous n’avons aucun contrôle. Une nature indifférente, qui suit son cours en se moquant bien de ces microbes, les humains, qui foulent son sol et la dévorent, petit à petit.
Tu as choisi le roman choral. As-tu senti que c’était le bon moyen pour que le lecteur s’attache vite aux personnages ?
En effet, en ayant recours au roman choral et au récit à la première personne, je m’efforce de m’effacer au maximum en tant que narrateur pour placer les lecteurs aux premières loges, dans l’esprit même de mes personnages. Il n’y a pas de filtre. Les lecteurs vivent, pleurent et tremblent avec les personnages. Je trouve que ça renforce l’immersion et l’empathie envers les personnages, un peu comme une radiographie de l’âme.
Plus largement, le récit choral me plaît car il montre que chacun a sa vérité. Dans mes romans, même si je parle de choses terribles, j’essaie de ne pas sombrer dans le manichéisme. Il n’y a pas de bien, ni de mal, pas de super-héros ni de grand méchant. Nous naviguons tous à vue, sur le fil du rasoir, parfois happé par les abîmes. Nous sommes tous dans des zones de gris, capables du pire comme du meilleur. Ce que j’aime avec le roman choral, c’est qu’on découvre l’histoire sous le prisme de différents personnages, et de différentes personnalités. On peut ne pas être d’accord avec certains personnages, certaines de leurs décisions, leur en vouloir, le fait de connaître leurs états d’âme, ce qu’ils vivent et ressentent permet d’un peu mieux les cerner.
Derrière le divertissement, il y a un sujet fort en lien avec la peur de l’Autre. Le livre se déroule en 2011, mais cette thématique est intemporelle et contemporaine…
En effet, en écrivant La Forêt des disparus, je ne pouvais pas rester insensible à la crise unique que nous traversons tous. Pour autant, je ne voulais pas d’un récit qui nous rappellerait ce quotidien moribond. J’ai essayé de parler de tout ça de manière plus subtile et, je l’espère, sans jouer les donneurs de leçons.
Le cœur du sujet, à travers notamment le parcours de Paul, c’est la société de la peur, combien on préfère le plus souvent jouer les autruches, se replier sur soi-même, plutôt que de faire face. Redwoods agit un peu comme un miroir déformant de nos sociétés modernes. La peur est ici partout. Peur de l’autre, de l’étranger, peur de ce qui se joue dehors, peur de son propre voisin… Les habitants de Redwoods pensent former une communauté forte et soudée, en réalité, ils étouffent. Ils se dessèchent de l’intérieur. Et l’année qui vient de s’écouler nous l’a prouvé, nous vivons nous-mêmes dans une société de la peur, où tout devient anxiogène.
Catégories :Interviews littéraires
De belles réponses qui prennent une autre dimension maintenant que j’ai lu le livre !
et aussi l’avantage de ces interviews, enrichissantes avant la lecture et après aussi 😉
Voilà ! Pour une fois, mon retard dans les retours de lectures des copains a eu du bon 😏.