Cinquante-trois présages – Cloé Mehdi

Nombreux sont ceux qui pensent que tout a été déjà écrit, qu’il n’y a plus rien à inventer. Le nouveau roman de Cloé Mehdi leur prouve le contraire.

A 29 ans, après un premier roman en 2014, elle n’en est qu’à son troisième livre. Pas du genre à faire dans la production de masse, ni à répéter les mêmes schémas. Encore moins à rentrer dans un moule. 

Son précédent, Rien ne se perd, un roman noir publié chez Jigal, avait marqué les esprits des lecteurs curieux. Il aura donc fallu attendre cinq ans pour voir ses mots nous revenir. L’attente est plus que comblée.

Inclassable

Vous n’avez jamais lu un livre pareil. Ne prenez pas peur en lisant cette phrase, laissez-vous au contraire séduire et soyez curieux, vous ne le regretterez pas.

Par le passé, en matière de roman noir, l’autrice avait fait montre de personnalité et d’une vraie singularité. Cinquante-trois présages va bien plus loin, au point de rendre ce livre inclassable. A la fois roman noir, fantastique, initiatique, d’anticipation, polar, dystopie.

Avec un tel roman, j’ai envie de décocher les superlatifs comme des flèches : exceptionnel, unique, étonnant, ambitieux, original, touchant, perturbant. Qui pousse à bien des réflexions tout en étant ludique. La quadrature du cercle, que Cloé Mehdi est en passe de résoudre.

Que vous soyez croyants ou non, cela n’a guère d’importance. En dehors de quelques piques bien senties, le roman parle moins de religion que de foi et de convictions. Et de questionnements. En l’Homme avant tout.

Foi et convictions

Imaginez notre société actuelle où la divinité serait représentée par la Multitude. Non pas de nombreux dieux, mais un seul qui se serait « désagrégé » en nuée, au point qu’on nommerait ses parties par un nombre. Les anciennes religions sont bien toujours là, cohabitant. 

La particularité de ces dieux est qu’ils font appel à des Désignés, avec qui ils interagissent, principalement par des ressentis et des émotions.

Ces personnes, dont la protagoniste principale Raylee, sont des Appelés, et le poids sur leurs épaules est écrasant. Surtout que chaque bout de divinité réagit différemment, certains plus tolérants que d’autres qui vont jusqu’à tuer. Une branche de la police, l’Observatoire, est là pour tenter de réguler ce qui ne l’est pas.

Raylee n’est pas du genre illuminé. Elle a un caractère plutôt asocial, fume des pétards. Et pourtant, elle est la représentante du dieu Dix-Neuf (plutôt un « gentil » par rapport à certaines de ses autres parties). Son sacerdoce imposé la fait régulièrement entrer en hyper-empathie, au point de ressentir la souffrance de tous les êtres terrestres, pas seulement les humains. Un fardeau terrible. Ses autres « pouvoirs » ne sont pas vraiment des bénédictions non plus.

Social et atypique

Ce roman, par son côté atypique, et surtout son humanité poignante, est vraiment à mettre entre les mains de tous les lecteurs curieux, quels que soient leurs goûts. 

Il propose clairement plusieurs degrés de lecture, parfois peinture de notre société à travers ses bouleversements, parfois vrai polar (il y a une « sorte » d’enquête policière).

Clairement un récit social, qui parle des laissés-pour-compte, comme de la difficulté de la jeune génération à trouver sa place.

Mais il va même bien plus loin, questionne sur les notions de tolérance, de respect de la différence, de la responsabilité de l’Homme sur son environnement, de la place de la femme… Une histoire profondément humaniste, tellement inclassable qu’elle propose autant des réflexions philosophiques que des passages à l’humour acerbe et tranchant. Et une vraie intrigue avec un vrai final.

Profonde humanité

La construction elle aussi est déstructurée, mais sans jamais perdre le lecteur, anticonformiste à l’image de l’écrivaine. Et l’écriture est juste magnifique ! Elle sait être directe ou poétique, terre-à-terre ou capable d’envolées sublimes.

L’autrice propose une sorte de fable réaliste, on n’est pas à une contradiction près. Et s’il fallait vraiment la comparer, on pourrait rapprocher son livre à certains de Pierre Bordage. Avec comme trait d’union cette profonde humanité désenchantée.

Cinquante-trois présages est un livre aussi original qu’éblouissant. Une lecture rare, puissante, touchant l’âme par ses valeurs et ses interrogations. Et aussi follement divertissante. 

Cloé Mehdi est une autrice unique, à la sensibilité à fleur de peau, à l’univers hors norme. Une Artiste qui propose ici un roman admirable.

Lien vers l’interview de Cloé Mehdi au sujet de “Cinquante-trois présages”

Yvan Fauth

Date de sortie : 04 mars 2021

Éditeur : Seuil

Genre : Inclassable ! Roman noir / fantastique

4° de couverture

Depuis quelques décennies, une nouvelle forme de divinité s’est révélée au monde : la Multitude. Près de Cherbourg, Raylee est la Désignée du dieu Dix-Neuf, choisie entre les humains pour lui servir de canal de communication. Un fardeau plutôt qu’une bénédiction, et qui s’accompagne de symptômes épuisants. Au Bureau des prières d’Europe de l’Ouest, elle reçoit des personnes en quête de sens mais semble elle-même dépassée face à la complexité de la Multitude. D’autant que depuis peu, elle est la cible principale des membres de l’Observatoire, une police dédiée aux conflits avec les divinités : il semblerait que tous les criminels qui s’approchent de Raylee disparaissent sans laisser de traces…

Il est temps pour le lieutenant Hassan Bechry d’infiltrer le Bureau des prières et de découvrir ce qu’il s’y prépare.



Catégories :Littérature

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9 réponses

  1. Jolie chronique, comme d’habitude. Mais là, je passe. Pas séduit par le sujet.
    (Et puis ça m’arrange, vu le bouchon sur ma table de nuit, digne des grands départs sur l’autoroute du Sud 😉 )

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Tu fais une grosse erreur 😉.
      Je ne suis pas croyant et cette histoire de foi et de dieu(x) m’a passionné ! Un véritable exploit

      • Vi vi, sûrement 🙂
        Mais il faut bien faire des choix, je suis déjà tellement loin de pouvoir lire tout ce que j’ai VRAIMENT envie de lire que, si je ne le sens pas, je préfère passer – et tant pis pour moi 😉
        (En revanche, j’ai récupéré Les somnambules. Tu vois, je ne suis complètement perdu pour la cause. Je ne sais pas quand je l’attaquerai, mais c’est un détail !)

        • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

          Je ne t’aurais pas pardonné de ne pas acheter Les somnambules 😉

  2. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    53 nuances de présages, en quelque sorte ? 😆 Ok, je prends la porte…

    En tout cas, j’avais adoré le roman noir de l’auteure, elle m’avait emporté où je ne m’attendais pas et il m’en reste de bons souvenirs (même si j’ai tout oublié, je garde dans ma tête que j’avais adoré).

    Alors qui sait, si un jour j’ai le temps, je me pencherai sur ce roman qu’on n’a jamais vu, lu, parce que ça fait toujours du bien d’être secoué et de lire autre chose 😉

  3. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Je sais ce qu’il me reste à faire après une chronique pareille !! Merci de titiller notre curiosité 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      garde ta curiosité en éveil, c’est un bien précieux 😉

  4. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Celui-là je vais le lire tu t’en doutes !

Rétroliens

  1. Interview – 1 livre en 5 questions : Cinquante-trois présages – Cloé Mehdi – EmOtionS – Blog littéraire

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