1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre.
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.
Ian Manook
Titre : Mato Grosso
Éditeur : Albin Michel
Sortie : 04 octobre 2017
Lien vers ma chronique du roman
Tu portes en toi cette histoire depuis longtemps…
J’ai écrit la première version de ce roman en 1976, dans l’année qui a suivi mon retour du Mato Grosso. C’était à l’époque une œuvre ambitieuse et, je dois le reconnaître, un peu prétentieuse. C’était écrit façon nouveau roman, à la deuxième personne du pluriel, au présent de l’indicatif, sans chronologie et construit de façon complètement déstructurée. C’était supposé rendre compte de la déliquescence d’une vie perdue dans un pays où seul compte le présent immédiat.
Au cours des quarante ans qui ont suivi, je l’ai réécrit trois fois. Une première fois à la première personne du singulier et au passé simple, dans le style de l’auto-confession, puis une autre fois en revenant au présent, mais à la troisième personne du singulier, dans un genre plus narratif.
C’est après l’écriture de la trilogie mongole que j’ai décidé de le reprendre en combinant les deux dernières versions, et en les retravaillant autour d’une mise en abîme d’une des versions par rapport à l’autre. J’ai testé cette formule dans une nouvelle, Retour à Biarritz, publiée en 2015 dans la collection des Petits Polars du Monde.
L’aboutissement de Mato Grosso, tel que le roman existe aujourd’hui, c’est en fait comme une libération. Il fallait que ce texte sorte, que je l’expulse, et le succès des Yeruldelgger me permettait enfin de le faire.
Il y a beaucoup de choses personnelles dans ce roman, en lien avec tes voyages au Brésil…
J’ai aimé et j’aime le Brésil, et j’ai aimé m’y perdre à cette époque-là. J’ai échoué dans le Mato Grosso après quatorze mois de vagabondages d’Islande en Belize, et j’y suis resté treize mois, dans le Pantanal essentiellement. Comme pour la trilogie mongole, tout ce qui concerne le pays s’inspire et se nourrit de mes seuls souvenirs, et pour la petite histoire je ne suis retourné dans le Mato Grosso qu’en mars 2017, c’est-à-dire bien après avoir terminé l’écriture du roman dans sa forme définitive. Pour être sincère, j’ai partagé ou vécu à un moment ou à un autre une grande partie des sentiments et des émotions que j’évoque dans le roman, et j’ai effectivement participé à l’expédition transpantanaire qui sert de fil rouge à l’intrigue et qui m’a marqué à jamais.
Ce récit est totalement inclassable. C’est pour moi une de ses grandes qualités…
Oui, c’est presque un récit en effet. Je l’ai voulu en tout cas comme un roman d’écrivain voyageur, c’est-à-dire une intrigue qui s’enrichit du vécu de l’auteur. Je sais que ce texte va désarçonner beaucoup des lecteurs de Yeruldelgger. Ils ne doivent pas s’attendre à un thriller comme mes trois livres précédents. En fait c’est un livre pour qu’ils me connaissent mieux. Qu’ils sachent qui est vraiment l’auteur des Yeruldelgger. Comment j’ai pu, par l’enrichissement de mes premiers voyages, devenir celui qui est aussi tombé amoureux de la Mongolie.
Je pense qu’il y a plusieurs façons d’aimer la littérature. Aimer les livres pour ce qu’ils sont, genre par genre, histoire par histoire, et aimer les auteurs, en leur accordant le crédit de la confiance, même quand ils s’écartent de ce qui a fait leur succès pour explorer d’autres écritures. C’est le pari que j’ai fait en leur proposant Mato Grosso et j’espère qu’ils me suivront jusqu’au fin fond du Mato Grosso.
Il y a deux personnages principaux dans ce livre. L’insaisissable écrivain français Jacques Haret, et le Brésil lui-même…
Jacques Haret est à la fois le personnage du roman, et l’auteur d’un roman au cœur du roman. Il est à la fois contemporain dans son premier rôle, et remonte quarante ans plus tôt dans son second. C’est dire s’il est insaisissable en effet. Il ne faut pas oublier que c’est le roman d’un auteur, moi en l’occurrence, qui a vécu ce voyage il y a quarante ans avant de devenir écrivain il y a quelques années à peine. Il est aussi insaisissable que je le suis moi-même quand je pense à ma propre destinée. En fait la vie n’est pas une continuité qui ferait que le présent est le moment le plus éloigné du passé. La vie est un empilement dans lequel chaque nouvelle strate étouffe les précédentes. Puis il y a des tremblements de vie comme il y a des tremblements de terre. Des accidents heureux ou malheureux qui fracturent ces strates et font qu’elle se retrouvent toutes à l’air libre, côte à côte, comme en géologie. Et on est à la fois, dans le même temps, le jeune voyageur d’antan, le vieil écrivain d’aujourd’hui et tout ce qui est arrivé entre temps.
Quant au Brésil, je me considère comme un écrivain voyageur et comme la Mongolie dans la trilogie Yeruldelgger, le Brésil est évidemment un des personnages principaux de Mato Grosso. Dans les deux cas d’ailleurs, c’est un cri d’amour, dans la mesure où, pour l’instant, je ne peux écrire que sur les pays où j’ai aimé voyager.
C’est aussi une histoire sur le pouvoir de la littérature…
Souvent dans les salons ou pendant les signatures, on nous demande quelle part de nous il y a dans nos personnages principaux. Mais moi j’ai toujours été intrigué par la part des autres qu’il peut y avoir dans les personnages secondaires. Tous les auteurs se nourrissent de ceux qui les entourent et qui, souvent, les lisent. L’écriture et la lecture sont deux exercices fondamentalement différents, réunis par le seul lien magique du livre. D’un côté une seule personne qui construit à partir de ses émotions personnelles un texte unique, et de l’autre côté des milliers de personnes qui s’approprient de mille façons différentes ce texte original à partir de leurs propres émotions et de leur propre vécu. Avec quelques fois un impact que l’auteur ne pouvait pas imaginer. Ou au contraire qu’il a voulu. C’est sur cette relation de l’auteur au lecteur, par l’entremise des personnages, que j’ai voulu travailler dans ce roman qui est aussi une marque d’admiration pour Stefan Zweig dont j’admire l’écriture. Il est aussi présent dans ce livre que le Brésil, pays où il a choisi de mourir dans les bras de sa femme, en 1942, face à l’abomination qu’était devenu notre monde. Et où sans nul doute il s’apprêterait à faire aujourd’hui le même choix en voyant que nous n’avons tiré aucune leçon du passé.
Catégories :Interviews littéraires
entretien intéressant…. merci, mais je n’ai pas apprécié ce livre…
Il est différent des précédents, moi j’ai apprécié cette virée brésilienne atypique
Intéressant entretien sur le genèse d’un bouquin, comment un roman évolue, à travers différentes moutures. Curieux de le découvrir… Au fait, c’est Ian sur la photo de couv? 🙂
Amitiés.
bonne question 😉
Et la réponse est??? 😉
non (ou peut être oui ?) 😉
Damned… 😀