1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
Interview JULIEN FREU
Ce qui est enfoui
Editeur : Actes sud
Sortie : 04 janvier 2023
Lien vers ma chronique du roman
Comment est venue cette idée d’histoire qui mélange les genres, entre thriller, fantastique et SF ?
Je fonctionne plus en terme d’envie qu’en terme d’idée. Le désir d’origine, c’était d’établir la chronique d’une décennie disparue, enfouie sous l’avalanche du nouveau millénaire. Celle des années 90. J’ai commencé à travailler sur ce projet dès 2005, avant de passer à autre chose. Je suis retourné sur ce texte en 2019, quand je suis revenu vivre dans le village où j’avais grandi. J’ai réalisé alors que l’enfant que j’étais en 1990 avait purement et simplement disparu. Ç’a été le déclic, je devais parler de cela : de petits garçons qui disparaissent. Dont il ne reste quasiment rien. A partir de là, l’histoire s’est mise en place seule. Quant au mélange des genres, ce qu’il faut comprendre, c’est que je cours derrière l’histoire, jusqu’à m’en brûler les doigts. Je ne maîtrise rien sinon le désir impérieux d’écrire. De pratiquer cette magie profonde qui consiste à transmettre le maximum d’émotions, de sensations et de pensées à travers 26 lettres et quelques signes de ponctuation. Pour le reste, c’est l’histoire qui décide. Je ne lui interdis rien. Si l’histoire veut des monstres, alors il y aura des monstres.
Je crois profondément qu’écrire permet d’accéder à un niveau modifié de conscience
Pourquoi ce choix de placer l’action dans les années 1990, et comment as-tu aussi bien retranscrit l’ambiance de l’époque à coups de petits détails ? Souvenirs ou recherches ?
J’ai profondément aimé cette décennie, qui était celle de mon enfance, de mon adolescence, de ma jeunesse. Le désir est égoïste : je voulais restituer ce qui avait été emporté. C’est l’un des prodiges que permet l’écriture : ressusciter la mémoire. Des recherches ont été nécessaires, oui, pour fixer quelques éléments politiques, culturels – notre histoire commune, dans son juste positionnement. Tout le reste, ce sont en effet mes souvenirs, distordus et passés au tamis du roman. Je crois profondément qu’écrire permet d’accéder à un niveau modifié de conscience : pendant les douze mois de la rédaction du premier jet, j’ai eu entre 11 et 15 ans. Je n’avais qu’à piocher. Chercher ce qui pourrait être commun au lecteur, sans tricher. J’ai essayé d’être sincère et honnête vis-à-vis de cette décennie et de cet âge pivot, crucial. Celui de l’adolescence.
Ton histoire est influencée par les romans anglo-saxons, mais tu as pourtant eu la volonté de la placer en France…
Il faut écrire à partir de ce qu’on connaît. Le paysage, le contexte, sont comme des personnages : vous devez les connaître sur le bout des doigts et, de la même façon que vous devez savoir instinctivement comment réagirait chacun de vos personnages quelle que soit la situation, vous devez pouvoir décrire leur environnement à la perfection. C’est le préalable pour que l’histoire paraisse vraie. Il était donc naturel que mon roman prenne place en France. J’ai créé un canton fictif, celui d’Estanville, qui ressemble à l’endroit où j’ai grandi mais avec suffisamment de distorsion pour que cela puisse renvoyer, dans l’imaginaire du lecteur, au lieu de sa propre enfance. Je préfère l’évocation à la description. Je veux que le lecteur se dise : « Hé, on dirait que ça se passe chez moi, ce bouquin ».
Quand on est enfant l’accès à la magie est permanent. On n’est pas encore frappé par cette atrophie de l’imaginaire qu’on appelle « l’âge adulte »
Ce récit est aussi une histoire d’amitiés, entre de jeunes pré-adolescents qui découvrent le monde grâce aux amis…
Naturellement, j’ai cherché à mettre en perspective la fin de deux innocences, celle de l’enfance, et celle du vingtième siècle. Ce que je veux dire, c’est que les années 90 me paraissent être un moment de pivot avant l’accélération de l’Histoire, la grande avalanche du nouveau millénaire, comme la préadolescence est un moment suspendu avant d’atteindre un point de non-retour. Quand on est enfant l’accès à la magie est permanent. On n’est pas encore frappé par cette atrophie de l’imaginaire qu’on appelle « l’âge adulte ». L’amitié est éternelle, l’amour insensé. Chaque évènement creuse son sillon magique dans la mémoire. Cette hyper-sensibilité − au sens d’une pellicule-photo, qui fixe le réel – est jubilatoire à écrire. Les gamins sont sans renoncement, sans compromis, entiers, immenses. Ça en fait de chouettes personnages, je crois.
Tu joues avec le temps, avec ton intrigue et jusqu’à ta manière d’écrire…
L’écoulement du temps est le thème du roman. C’est un livre sur les souvenirs, sur le temps enfoui, et qui cherche à ressurgir. Sur la densité du temps de l’enfance. Sur son accélération dans les moments intenses de l’adolescence. J’ai essayé de retranscrire cette diversité de l’écoulement du temps dans mon écriture, en alternant les moments où l’action devient frénétique (constituée de phrases courtes, en multipliant les angles de vue) avec des instants suspendus, englués dans la sensation d’un temps figé. Certains chapitres sont écrits au présent, d’autres à l’imparfait, des paragraphes entiers basculent au plus-que-parfait et même au futur. J’ai voulu retranscrire cette idée qu’en physique fondamentale la flèche du temps est une illusion. Selon les lois qui régissent la nature, le temps ne s’écoule pas. Tout advient en même temps que tout est déjà advenu. Nous avons déjà eu cette conversation, vous avez déjà lu ces lignes, et vous les lirez à nouveau. Nous avons juste oublié, voilà tout.
Catégories :Littérature
Fascinant ♥️
Merci pour le partage. 🤗😘