Les fragiles – Maud Robaglia

L’une des maladies du siècle. La dépression. Maud Robaglia a construit autour de ce thème un roman étonnant. Singulier dans le fond et dans la forme. Du genre qui ne peut laisser indifférent.

Singularité

L’idée maîtresse, d’abord. Créative, forte, originale. L’écrivaine imagine une société future où le bonheur se doit d’être la norme, et où ce mal à l’âme doit être proscrit. Il faut dire qu’il se propage comme un virus, dans cette société de demain. Une véritable pandémie qui fait que les « fragiles » sont devenus si nombreux qu’ils sont mis au ban, cloîtrés, comme si effectivement la dépression était contagieuse.

Une idée un peu folle (mais pas tant que ça), en forme de dystopie, qui donne déjà sa singularité au texte. La plume vient fortement renforcer cette caractéristique, tant elle est puissante et personnelle. Intime, atypique, marquée. De quoi rendre ce roman vraiment particulier.

Croisée des chemins

Le livre est court, 200 pages. Moi qui aime les romans longs, je dois pourtant admettre que ce texte est de taille idéale pour que son caractère marqué se grave dans l’esprit du lecteur.

Je ressors emballé de cette lecture, malgré un sujet pour le moins plombant. Parce que l’idée de base est juste géniale, parce que la forme inclassable est étonnante, parce que l’écriture est audacieuse.

A la croisée des chemins – roman d’anticipation, satire noire et sociale, littérature blanche intimiste – ce livre se déguste mot après mot. Parce qu’ils sont mûrement réfléchis. Clairement pas le genre à conseiller pour un simple moment de détente.

Jusqu’à la fin, totalement inattendue et assez cryptique, et que j’ai eu besoin de lire deux fois pour en saisir la sève, le cheminement de ce texte étant impossible à anticiper.

Ecriture

J’adore le concept, il dit beaucoup sur notre société, nos relations interpersonnelles, et la manière dont elle traite la fragilité. Cette déshumanisation se voit renforcée chaque jour, ce qu’imagine l’autrice est tout sauf abracadabrantesque.

Dans un monde où l’image de soi et la réussite personnelle (souvent de façade) comptent plus que tout, où l’ennui est un ennemi, toute faiblesse est fuie plutôt que soutenue. Toute différence est bannie. Au final, il s’agit bien de parler de folie collective plutôt qu’individuelle. Jusqu’à l’absurdité.

Même si j’insiste sur la particularité de ce roman, je veux également souligner que l’émotion y a sa place. A travers un personnage principal touchant par son mal-être et ses doutes.

En ces temps où tout est souvent lissé, lire un tel roman hors normes est réjouissant. Avec un sujet pourtant plombant, Maud Robaglia nous offre un roman singulier, impertinent et juste. Et, grosse cerise sur le gâteau, il est formidablement bien écrit. Les fragiles, c’est un peu chacun de nous.

Lien vers mon interview de Maud Robaglia au sujet des Fragiles

Yvan Fauth

Date de sortie : 06 janvier 2021

Éditeur : Editions du Masque

Genre : Roman noir

4° de couverture

Jérémiade n’est pas dupe. Elle sait bien que sa fille, la parfaite petite ménagère, et son gendre, chief happiness officer, ne sont pas aussi joyeux et équilibrés qu’ils prétendent l’être. Personne ne l’est. Surtout pas elle, dont la vie se résume depuis quelque temps à vérifier la solidité des plafonniers. Jérémiade travaille au Parfait Nettoyeur, où elle vend des shampouineuses à moquette et des aspirateurs.
Tout nettoyer la calme, l’aide à contenir ses larmes dans un monde où le moindre signe de faiblesse est devenu suspect. Depuis que le pays connaît une vague de suicides sans précédent, faire part de ses états d’âme expose à rejoindre le camp des Fragiles, et les Fragiles, on les isole, on les enferme et on les traite. Car si la fragilité est contagieuse, il faut l’éradiquer. Afficher son bonheur devient alors une question de survie.
Mais Jérémiade n’a jamais su faire semblant…



Catégories :Littérature

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16 réponses

  1. En lisant le résumé la première fois, j’ai buté sur le prénom de l’héroïne, que j’ai trouvé un peu… lourd, dirons-nous. Du genre “je souligne en jaune fluo le sujet de mon livre”…
    Mais tu en parles tellement bien, et l’idée de départ est effectivement si originale, que je me laisserai peut-être tenter.
    Tu es fort, toi, hein 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Autant faire original, même avec les prénoms ;-). ça ne m’a pas dérangé, sachant que le personnage devient vite autant un concept qu’une personne touchante. La plume devrait te plaire

  2. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Je dois avouer que le prénom “Jérémiade” m’a également laissée perplexe… Très intéressant cette chronique qui le fait penser à quelque chose que j’ai très souvent observé : as-tu remarqué que lorsque tu vas mal, les gens ont tendance à te fuir ? Comme si la “dépression” était une maladie contagieuse… La société préfère les gens qui vont bien, qui sourient, qui affichent un sourire de façade….

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      c’est exactement ça, l’auteure pousse l’idée au bout, et c’est très intéressant. Franchement, je pense qu’il te plairait

  3. Le mot magique est là: dystopie.
    Tu sais que j’adore ça alors je pense que ce sera forcément pour moi !

  4. Le mot magique est là: dystopie.
    Tu sais que j’adore ça, ce roman est forcément pour moi 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est avant tout un prétexte pour parler de nos fragilités

  5. Il me semble que ce concept de “bonheur obligatoire pour tous ” a quand même déjà été largement exploité dans la littérature, non?
    Qu’est que ce roman a d’original par rapport aux autres?
    Ceci dit,le sujet m’attire toujours!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      L’écriture, clairement

  6. Nath - Mes Lectures du Dimanche – Livres, ongles & Rock 'n Roll

    De mon côté, voilà plutôt un thème que je préfère fuir, non pas par réflexe conditionné à ce besoin de ne voir que des gens qui vont bien, bien au contraire, mais surtout parce que je suis justement du genre à soutenir, et j’ai vécu pendant ce confinement quelques abus d’une personne qui a fini par me prendre pour la ligne SOS suicide de jour comme de nuit…

  7. brindille33 – J'aime la nature, les livres, romans, polars, la photo, la musique, cinéphile, les documentaires, autodidacte. Et l'informatique depuis sa naissance, où j'ai tout appris toute seule.

    Quelle originalité dans la façon de traiter ce sujet. Et surtout de nous mettre à nouveau dans des cases et écarter nos différences. Un roman qui doit donner froid dans le dos quant à cet imaginaire ?

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