Interview – 1 livre en 5 questions : Salut à toi ô mon frère – Marin Ledun

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre.

5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.

Marin Ledun 

Titre : Salut à toi ô mon frère

Éditeur : Gallimard / Série Noire

Date de sortie : 03 mai 2018

Lien vers ma chronique du roman

On ne t’attendait pas dans ce registre humoristique, comme quoi un auteur peut surprendre, même en étant installé dans le domaine du roman noir !

Le noir est une littérature de critique sociale qui, je l’espère, ne souffre aucune frontière de registre, de ton, pourvu qu’elle exprime, d’une façon ou d’une autre, la violence du monde dans lequel nous vivons. Le noir n’est pas exclusif. L’amour, la solidarité, la fête, le rire ou la jouissance en font partie. J’en veux pour preuve les libations réjouissantes et les éclats de rire que nous partageons ici ou là, à l’occasion de salons « polar » ou de rencontres / dédicaces aux quatre coins de France desquels chacun s’accorde à penser qu’ils sont de formidables moments de retrouvailles conviviales et de bonne humeur. J’ai rédigé Ils ont voulu nous civiliser et Salut à toi ô mon frère au même moment, dans une période compliquée de ma vie, avec la même intention de mettre en scène des personnages qui résistent à l’air du temps, avec les armes de ceux qui n’ont rien, la colère et le désespoir dans le premier, la solidarité et l’humour dans le deuxième. J’espère que les lecteurs comprendront qu’il s’agit des deux faces d’une même pièce et que toutes deux correspondent à ce que je suis. Je tiens à remercier encore une fois les organisateurs du festival Les nuits noires d’Aubusson, Cécile Maugis en tête, pour m’avoir pressé, au fil des années, d’explorer cette fibre d’apparence plus légère à l’occasion des exercices littéraires des « Presque papous ». Il faut une sacrée dose de confiance en soi pour se lancer là-dedans et c’est à eux que je la dois.

J’ai cru comprendre que ce roman tu l’avais en tête depuis longtemps…

Oui et non. Cette famille Mabille-Pons, d’une certaine façon, c’est la mienne, et j’avais depuis longtemps envie d’écrire sur elle, sans trop savoir si c’était une idée empoisonnée ou une passade. Mais le ton, l’angle de vue, cette façon de me marrer de la grande bêtise humaine quotidienne avec Rose et sa famille, et d’en faire un roman, n’est venue que récemment. C’est sans doute mon roman le plus personnel. Pas par cette famille qu’il met en scène, mais parce qu’il correspond à ma façon, dans la vie privée, de rire de la bêtise et de la saloperie humaine pour mieux la supporter, pour mieux résister dans la solidarité, sans grandes illusions sur le sort du monde. Faire sa petite part de bonheur dans un monde de malheur : voilà la philosophie des Mabille-Pons. Et jouir, avec Rose, de la mesquinerie des imbéciles pour mieux se moquer d’eux, de la beauté des gens, des riffs de Metallica et des rimes de René Char, de la force de la littérature pour panser nos plaies et nous ouvrir les yeux.

C’est une prise de risque de te mettre dans la peau d’un tel personnage, une jeune femme de tout juste 21 ans, non ?

Ça a été un bonheur, tu veux dire ! A tel point que j’ai remis ça et que paraîtra l’an prochain la suite des aventures de Rose et de sa fratrie. Je grandis avec les livres depuis plus de quarante ans et j’ai enfin trouvé un personnage qui les aime plus que moi, je ne vais pas me priver. A l’âge de Rose, j’étais bien trop romantique pour deviner à quel point les mots sont importants pour mettre en scène la vie concrète des gens, à commencer par la mienne. Je pensais qu’ils ne faisaient qu’exprimer des sentiments et des états d’âme, mais ils sont aussi de formidables outils pour décrire le monde. Rose le sait bien. Elle est dans la littérature concrète. Elle l’applique au quotidien. Elle ne se contente pas d’habiller le monde de jolies phrases comme dans les romans d’Alexandre Jardin, pour en masquer la laideur. Au contraire, elle mêle les deux, parce que la littérature est l’expression de cette laideur et de cette beauté inouïe. La littérature, ça se vit. Ça s’applique. Tu comprendras pourquoi, pour revenir plus concrètement à ta question, ça n’a pas été si difficile que cela de ne me plonger dans ce personnage, mais aussi dans son Adelaïde de mère, ni plus ni moins que dans les très masculins personnages de mes autres romans. J’aime assez rappeler que si je ne suis pas une jeune femme de vingt-et-un ans, je ne suis pas plus un Jean-Pierre Pécastaings de soixante-dix-huit ans dans Ils ont voulu nous civiliser, une danseuse unijambiste de trente ans dans En douce ou un cyborg dans Zone Est. Après tout, c’est mon boulot de romancier de créer l’illusion.

C’est compliqué de tenir le rythme dans ce type de récit à l’humour omniprésent (ce que tu arrives à faire admirablement bien !) ?

Cette histoire de rythme revient tout le temps dans les commentaires sur mes romans. J’imagine que cela tient au genre, le « polar », mais pour être franc, je ne me pose la question que lorsqu’on me la pose. Bien sûr, je travaille sur la structure des phrases, sur les ellipses, sur les dialogues pour qu’ils soient les plus percutants et les moins verbeux possibles (merci à Philippe Mandilas qui m’a donné ce conseil, il y a plus de dix ans, chez mon premier éditeur, Au Diable Vauvert), mais je crois que ça vient de ma manière d’écrire et de raconter pour convaincre. Je ne l’ai pas travaillé de façon différente dans Salut à toi ô mon frère que dans mes romans noirs précédents. Ce sont mes personnages qui impulsent ce ton humoristique à l’histoire, mais comme dans mes autres romans, j’aspire à aller à l’essentiel, à éviter les temps morts, à fuir l’ennui quand il n’est pas utile à l’histoire. Mais voilà que je fais de longues phrases pour t’expliquer pourquoi j’aime faire court…

On ne te change pas pour autant. Cette histoire est aussi l’occasion de parler de sujets de société tristement d’actualité…

L’un des points d’accroche de l’histoire réside dans son titre. Salut à toi ô mon frère. L’époque des Bérurier Noir. De Porcherie. De leur célèbre « la jeunesse emmerde le Front National ». Du militantisme antiracisme. D’une colère qui s’exprime alors que sonnent (et ne trébuchent pas) les années fric, le règne de l’argent-roi, des politique néo-libérales, avant que naissent les grands mouvements contestataires anti-mondialisation libérale, comme un banc d’essai. J’avais quinze ans et je croyais, naïvement sans doute, que l’adulte que je deviendrai résoudrait avec les autres l’ignominie raciste. Aujourd’hui, trente ans plus tard, si une partie de la jeunesse a bien pris conscience de la nécessité de résister à l’idéologie dominante, une autre vote désormais Front National et s’est pris au jeu des nationalismes, du repli identitaire déprimant et du dépit consumériste néolibéral. Ma génération est aujourd’hui au pouvoir – bon sang, le président de la République est même plus jeune que moi ! – et elle continue d’enfoncer le clou. Les gens comme Rose, Adelaïde et leur smala sont des antidotes à tout cela. Comme des millions de gens autour de nous. Par la solidarité dont ils font montre, par l’amour dont ils débordent, par leur joie de vivre. Ils tracent des micro-résistances, ils nous donnent la pêche, ils nous insufflent leur rage. A leur petite échelle, familiale et romanesque, ils font ce que nous ne faisons pas assez tous les jours, par peur, par lâcheté ou par bêtise : ils disent « non » à la connerie et à l’ignorance crasse, aux slogans et aux mots d’ordre, à la morale bien pensante et aux diktats marketing. En bref, et c’est réjouissant, ils refusent de se soumettre et de subir. Dit autrement : vive la vie (en Rose et noir) !



Catégories :Interviews littéraires

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5 réponses

  1. Je n’accroche pas du tout avec cet auteur. J’ai lu ” l’homme qui a vu l’homme ” ainsi que ” fer rouge “et je dois bien l’avoué je me suis embêté. Pourtant j’ai entendu de bonnes choses, comme quoi il en faut pour tout le monde et tous les goûts. Mais là s’il change de style, pourquoi ne pas essayer. A voir.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ce livre est si différent des autres que ça, vaut la peine de tenter à nouveau

  2. Interview très interessant , je découvre cet auteur alors pourquoi pas …
    Merci

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Ce livre en vaut VRAIMENT la peine, quel pied !

Rétroliens

  1. Salut à toi ô mon frère – Marin Ledun – EmOtionS – Blog littéraire et musical

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