Si un lecteur veut vous détailler ce qui s’y déroule, étripez-le (et si vous souhaitez le faire souffrir avant, sachez que vous trouverez d’imaginatives idées dans le roman).
Et pourtant, il y a tant à dire sur ce roman (comme tous ceux de ce génie qu’est Ellory).
Losing my heart
R.J. Ellory n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Une fois de plus, il nous propose un récit différent sur lequel il a imprimé sa patte inimitable. Une histoire sombre, très noire, bourrée de surprises et plutôt dérangeante.
Attendez-vous à côtoyer de (très) près un homme aux deux visages, le portrait d’un antihéros par excellence. Un personnage qui, au premier abord, a toutes les caractéristiques du sale type, un gars qui a perdu le sens des valeurs. Qui a perdu son âme et son cœur.
Un récit dur, où la lumière doit se battre pour se faire une petite place dans les ténèbres et toute cette noirceur. Elle n’en devient que plus forte quand elle est ainsi distillée avec parcimonie.
Ellory revient à un roman contemporain, une peinture d’une partie de notre société actuelle. Comme à son habitude, rien n’y est jamais ni tout blanc ni tout noir.
Drink myself to death
C’est pour le moins déstabilisant de se trouver aussi proche d’un personnage si malsain qu’il en a perdu de vue l’essentiel. Il faut un temps d’adaptation pour accepter de passer 500 pages avec un homme qui fait passer ses actions très douteuses à coups d’alcool et de cachets en tous genres.
Et c’est là le premier exploit d’Ellory : arriver à nous faire entrer en empathie avec un homme mauvais qui tente de changer. Un acte peut-il effacer l’ardoise ?
Ce Vincent Madigan est un oxymore personnifié, bourré de contradictions dans ses pensées et par ses actes. L’auteur nous fait vivre ses antagonismes au plus près, au travers d’une narration qui mélange les descriptions et la sombre voix intérieure du personnage.
Un coeur sombre est un vrai polar mais aussi un prétexte pour amener à de nombreuses réflexions. R.J. Ellory a fait d’ailleurs évoluer son écriture pour mieux s’immerger dans cet univers. Le style est parfois cru mais toujours très profond. De l’art de se remettre en cause pour se renouveler et de modifier sa plume pour s’adapter à la petite musique intérieure du personnage central. Même s’il est parfois un petit peu bavard dans le premier tiers du roman. Mais l’auteur est tellement doué, que ce sentiment fugace s’efface vite.
The lesson
Une fois lancée, cette histoire, pleine de rebondissements plus étonnants les uns que les autres, donne l’occasion à l’auteur de partager une certaine vision de notre société. Une perception sombre sur le déclin de certaines institutions américaines corrompues (mais qui pourrait parfaitement s’appliquer à l’Europe).
Un environnement où le personnage s’est longtemps imposé une règle “simple” : manger pour ne pas être mangé. Un récit sur la perte de foi, où la rancœur, l’amertume, la frustration et la désillusion ont pris le pas sur le reste. Très noir, je vous l’ai dit.
Black to blue ?
Un coeur sombre est tout autant un polar ébouriffant que le formidable portrait d’un homme perclus de doutes et de culpabilité. Une description fascinante de la manière dont on se retrouve à basculer du coté obscur, et une vision pessimiste de l’existence. Ellory fait dire à son personnage que : “Tout ce qui peut aller de travers ira de travers”.
On peut tout fuir, sauf sa conscience et elle naît parfois de ses remords. A travers une intrigue qui tourne à la partie d’échecs, l’écrivain surdoué nous parle aussi de culpabilité et d’une possible rédemption. Seul ou à travers les autres. Mais je ne vous dirai pas si cette quête à un sens, sinon vous devrez me tuer.
Un coeur sombre est le genre de roman qui ne peut laisser de marbre, qui prend à la gorge autant par l’action que par ce qu’on ressent, même si cette fois-ci les émotions sont très ténébreuses. Une nouvelle formidable réussite d’un R.J. Ellory qui sait se renouveler pour brosser toujours plus finement son tableau de l’âme humaine. Pour ça, il a un talent véritablement unique.
PS : les têtes de chapitres de ma chronique ont été empruntés, en forme de clins d’œil, à certains titres des morceaux de l’album de rock qu’Ellory a sorti avec son groupe RJ Ellory & The Whiskey Poets.
Lien vers l’interview de R.J. Ellory au sujet de Un cœur sombre
Citations :
“J’étais quelqu’un, puis je suis devenu personne, et maintenant j’essaie d’être à nouveau quelqu’un”
“Je crois que les gens naissent bons, dit-elle, puis que chaque fois qu’il commettent une mauvaise action une partie de leur bonté inhérente s’en va. Finalement il ne reste plus rien que le mal. Comme quand vous faites souffrir quelqu’un, vous lui donnez le pouvoir de vous voler vos rêves, et au bout du compte il ne reste que les cauchemars”
Sortie française : 01 octobre 2016
Éditeur : Sonatine
Genre : Polar
Traduction : Fabrice Pointeau
Mon ressenti de lecture :
Profondeur : 8/10
Dimension de l’intrigue : 8/10
Psychologie : 9/10
Qualité de l’écriture : 9/10
Émotions : 8/10
Note générale : 8,5/10
4° de couverture
Sous sa façade respectable, Vincent Madigan, mauvais mari et mauvais père, est un homme que ses démons ont entraîné dans une spirale infernale. Aujourd’hui, il a touché le fond, et la grosse somme d’argent qu’il doit à Sandià, le roi de la pègre d’East Harlem, risque de compromettre toute son existence, voire de lui coûter la vie. Il n’a plus le choix, il doit cette fois franchir la ligne jaune pour pouvoir prendre un nouveau départ.
Il décide donc de braquer 400 000 dollars dans une des planques de Sandià. Mais les choses tournent mal : il doit se débarrasser de ses complices, et une petite fille est blessée lors d’échanges de tirs. Rongé par l’angoisse et la culpabilité, Madigan va s’engager sur la dernière voie qu’il lui reste : celle d’une impossible rédemption.
Catégories :Littérature
C’est pas gentil, Yvan. Je n’aurai pas le temps de le lire avant la semaine prochaine, et toi tu balances ce genre de chronique. Tu crois que c’est charitable, franchement ? 😛
J’ai juste lu la première page du bouquin quand il m’est passé entre les mains il y a quelque temps, et j’ai compris que ça allait encore être un gros kif, différent de ce qu’il a écrit avant… Sérieusement, hâte de m’y plonger !
tu es mal placer pour faire ce genre de remarque ;-). Je suis curieux de ton futur avis, il est différent, plus noir
Quelle analyse , mais quelle analyse!! Et quelle future lecture , quelle future lecture!!
Merci beaucoup Jean-Michel ! J’espère ne pas avoir fait que de l’analyse et fait passer des émotions aussi 😉
Ça me paraît un bon cru. Je vais donc le noter sur ma liste
un excellent cru ! Pas mon préféré, mais excellent
Ça me paraît intéressant… Je vais me le noter pour plus tard, je ne suis pas pressé… Amitiés.
ben c’est le Maître Ellory, c’est normal 😉
C’est TON maître… 😉
Ben oui, l’un des miens ;-). Comment va Pelecanos, au fait ?
Rien de nouveau pour le moment… A moins que ça m’ait échappé!
Déjà noté pour attendre la parution en poche. Très belle chronique.
merci ;-). Te connaissant, ce livre ne peut que te plaire
Je l’ai pris dimanche à” Lisle Noir” et j’ai eu la chance de le faire signer du “grand maître” himself..
Un beau moment … avec plein d’auteurs vraiment très abordables..
Je vais l’attaquer ce week-end, et après ta chronique , encore plus hâte….
Il est génial à côtoyer, hein ? ;-). Bonne future lecture, Muriel !
J’ai eu la chance de rencontrer l’auteur samedi dernier je n’en suis toujours pas remise…
normal, on ne se remet jamais de sa première rencontre avec Ellory 😉
Sympa ta chronique. Je note en tout cas. Une belle journée à toi!
merci Cat, c’est sympa ! 😉
Bon et bien celui ci il me le faut de toute urgence!!!!;) J’adore tellement cet auteur!!!!
tu verras que c’est encore une autre facette de son talent
Rhaaaa lovely !!!
Rhaaa pour parler du Dieu du roman noir, c’est logique 😉
Mdrrrr mais tu es en forme aujourd’hui 😊
Non je suis épuisé, c’est pour ça 😉
Comme je te comprends 😉
En tant que créatif, tu sais ce que c’est
Le dieu du roman noir, c’est Ellroy, Hammet, Westlake, Chandler, Block, Bunker, Cheney, James Lee Burke, Crumley, Goodis, Hansen, Chester Himes Williams, Thompson, Pelecanos, Ross MacDonald…
Ils sont plusieurs dans le panthéon des dieux du roman noir, namého ! 😆
Mais Ellory, je le veux ! Enfin, pas LUI, mais son dernier roman 😉
PS : oublié ma virgule entre Chester Himes et Williams ! Il y a lieu de lire “Chester Himes, Charles Williams”
Je parlais d’un dieu vivant et en pleine forme, et puis chacun les siens 😉
Mais trop de dieu me fais penser aux romains, aux grecs et aux égyptiens… regarde comment ils ont terminés ! 😀
Dieu vivant ? Oxymore !! 😛
Oui, chacun ses auteurs préférés et les romans seront bien gardés 😉
Ça donne toujours envie de plonger dedans corps et âme, merci pour la chronique.
Alors j’ai réussi ce que je voulais. J’aime tant cet auteur ;-). Merci pour ton mot !
Encore un livre qui va vite finir dans ma besace 😉
tu sais à quel point j’aime cet auteur! en grande partie grâce à toi .. hâte de m y plonger!!
Très très haut dans ma PAL! Après ta chronique, il est dans mes urgences ultimes de lecture!!
Voilà qui me fait plaisir ! Ellory le mérite tant
qui dois-je tuer pour l’avoir tout de suite entre les mains ??
Eheh je te laisse le choix de la victime
j’ai des noms… 😉
J’ai peur pour eux
tu parles.. je suis pas foutue de mettre ne serait ce qu’une baffe alors le reste … lol
Sombre est bien le terme approprié ! Marrant je n’avais pas lu ton avis mais “ni tout noir ni tout blanc” ben zut alors … c’est vrai qu’il prend à la gorge et c’est aussi vrai que Roger se renouvelle avec bonheur à chaque nouvel opus !!
Eheh on est en phase, Kris 😉