Interview littéraire 2013 – Laëtitia Milot

Laëtitia Milot a plusieurs cordes à son arc. Nous sommes ici pour parler de son roman “On se retrouvera“, un excellent roman noir et une véritable flèche qui touche le cœur et l’âme.

Parce que son bouquin est vraiment une réussite et qu’il surprendra les personnes qui auront la bonne idée de s’y pencher. Parce que c’est un roman éprouvant, parce qu’il est à la fois noir et lumineux et bien mis en avant par une belle écriture.

Un grand merci à l’auteure pour cet entretien particulièrement sincère et touchant.

Le lien vers ma chronique de “On se retrouvera”

L’entretien :

  1. Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?

 Positive, amoureuse, bosseuse.

  1. C’est un vrai roman noir que vous nous proposez, à la fois dénonciation de la violence faite aux femmes et vraie intrigue psychologique…

Avec la parution de mon premier livre, Je voudrais te dire (Florent Massot 2010), je crois que j’ai attrapé le virus de l’écriture !

Ce livre d’entretiens m’a permis de dénouer des choses essentielles dans ma vie personnelle et m’a donné envie de me frotter au roman. Le sujet s’est vite imposé, aussi fort qu’une cause. La violence faite aux femmes est un sujet trop tabou, trop banalisé dans notre société. Combien de fois, quand on est une femme, entend-on dire qu’il faut faire attention à ce qu’on porte, et ne pas s’étonner que les hommes vous jettent des regards déplacés ?

Rien que ça, déjà, ça m’énerve… Comme si les victimes de viol étaient responsables de ce qui leur arrive ! Bref, il ne m’a pas fallu longtemps pour réunir mes deux souhaits : écrire un roman et parler de ce sujet.

On se retrouvera est un roman noir autant qu’un polar : il parle d’un sujet social, collectif, de société. Il est porté par une intrigue de polar, avec une quête qui devient une enquête, avant de virer à la vengeance…

  1. Débuter le roman par la scène du viol était-elle votre idée dès le départ ou s’est-elle imposée au cours de l’écriture ?

J’ai tout de suite eu envie de commencer le livre par cette scène pour rendre hommage aux femmes qui m’ont fait confiance en partageant leur expérience avec moi.

Pour écrire On se retrouvera, je me suis documentée auprès d’une dizaine de femmes victimes de viol. Dans cette scène, rien n’est inventé. Tout provient de leurs témoignages, que j’ai composés comme une mosaïque. C’était très important pour moi de faire entendre leurs voix, leurs mots, pour faire comprendre la souffrance infinie qu’elles ont subie.

Comment montrer autrement la réalité du viol, si ce n’est en parlant du point de vue de la victime ? Ce qu’elle ressent, perçoit, encaisse dans sa chair et dans son âme. Cette scène, je ne l’avais jamais lue comme ça ailleurs, et je devais l’écrire moi-même. Son écriture a été éprouvante et chaque fois que je la relis j’en ai les larmes aux yeux. Mais au fond je crois que c’est pour cette scène-là que j’ai écrit tout le livre…

  1. Les dialogues du roman sont travaillés, votre expérience en tant qu’actrice vous a t-elle été utile pour les rédiger ?

J’ai tout de suite incarné Margot. Au point qu’elle venait me voir dans mes rêves, la nuit.

Comme beaucoup d’écrivains, je crois, j’étais habitée par mon personnage, mais oui, le fait que je sois comédienne m’a sans doute pas mal aidée à la faire exister « réellement », dans les moindres détails !

Quant aux dialogues, je suis contente qu’ils vous plaisent ! Écrire, pour moi, c’est d’abord entendre et voir les situations, imaginer un scénario, des scènes, faire naître des personnages. J’ai écrit le film que je voyais défiler dans ma tête, en fait…

  1. Il est bien sûr hors de question de dévoiler la fin de l’histoire qui est particulièrement puissante. L’idée de cette fin est-elle venue en cours d’écriture ou était-elle déjà claire dès le départ ?

J’avais envie de faire monter le suspens crescendo, jusqu’à la fin. Et je me suis rendu compte que j’avais inventé des scènes quasi symboliques, reliées entre elle par des arcs comme des piliers.

Partant de ce constat, il fallait une « conclusion »  à la hauteur de l’« introduction ». La première et la dernière scène de On se retrouvera fonctionnent donc ensemble. Elles illustrent la mécanique de la violence et la transmission du traumatisme entre les générations, quand personne, dans la chaîne, ne se décide à faire éclater la vérité au grand jour.

  1. Vous avez écrit ce roman en collaboration avec Johana Gustawsson, comment s’est déroulé le travail à quatre mains ?

J’ai rencontré Johana alors qu’elle était journaliste et nous sommes tout de suite devenues amies. C’est avec elle que j’ai pris le virus de l’écriture, puisqu’elle a mené les entretiens de Je voulais te dire, mon premier livre.

Quand j’ai eu toute l’histoire de On se retrouvera en tête, et un premier jet du roman, je me suis rendu compte que ma plume était surtout scénaristique. En toute humilité, je me suis tournée vers quelqu’un en qui j’ai confiance et dont j’aime la plume.

Johana avait une structure très développée et certaines scènes fortes : elle a apporté de la chair et du liant à l’ensemble. Puis, nous avons repris le texte paragraphe par paragraphe, à quatre mains.

Dans la vie, je crois qu’on ne fait pas grand-chose tout seul, et il était très important pour moi, même si c’est mon livre, de dire publiquement que j’y ai travaillé avec une personne de la qualité de Johana.

  1. On met souvent un peu de soi dans ses romans, même de fiction. Qu’en est-il en ce qui concerne cette forte et dure histoire ?

On n’est pas obligée d’avoir été violée pour parler du viol. Il se trouve qu’une de mes proches, et c’est peut-être ce qui m’a rendu le sujet si sensible, a été victime d’un criminel sexuel il y a quelques années. Son témoignage m’a bouleversée, et depuis ce jour, j’ai cherché un moyen de dénoncer le scandale de l’impunité des violeurs.

Pour répondre vraiment à votre question, je pense que malheureusement toutes les femmes ont fait l’expérience un jour, plus ou moins violemment, d’un geste, d’un regard, de paroles déplacées de la part d’hommes qui pensent pouvoir les manipuler comme des objets… Dans l’histoire de Margot, toutes les femmes peuvent se retrouver.

Quant aux détails, On se retrouvera fourmille de petites choses empruntées à ma vie, c’est vrai ! Des couleurs, des surnoms, des gestes, des petits rituels, etc. On écrit avec ce qu’on connaît, je crois !

  1. Cette expérience dans la fiction littéraire vous a-t-elle donné l’envie de continuer sur cette voie ? Si oui, à quoi peut-on s’attendre dans le futur ?

Je ne suis pas encore tout à fait décidée, mais avec la fin ouverte de On se retrouvera, je me suis laissé la possibilité d’écrire la suite… L’avenir nous le dira !

En tout cas, j’ai pris un plaisir intense à raconter cette histoire et je ne suis vraiment pas déçue d’avoir tenu bon tout le temps de l’écriture de mon premier roman. Ce n’est pas facile, mais c’est tellement satisfaisant !

  1. Est-il difficile de sortir du carcan, lorsque l’on est déjà connue, comme vous, dans le cadre d’une autre activité artistique ?

En France c’est particulièrement difficile, les gens vous mettent dans des cases. Quand je suis devenue actrice, on rappelait souvent que j’étais mannequin (ce qui arrive toujours d’ailleurs). Maintenant que je me mets à l’écriture romanesque, on rappelle sans cesse que je suis actrice.

Et puis il ne faut pas se mentir : je suis cataloguée, comme beaucoup de monde, et il n’a pas toujours été facile de convaincre certains journalistes de lire mon roman… C’est assez violent, en fait, tous ces a priori. Mais je suis patiente, et je suis sûre que On se retrouvera va s’imposer de lui-même. Le livre vit sa vie maintenant.

  1. Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?

La musique des mots est essentielle pour moi. Écrire un livre, c’est comme apprendre un rôle, j’ai besoin de faire sonner, résonner la petite musique des personnages. Sinon, oui, chez nous (avec Badri) il y a toujours de la musique. La musique transporte les émotions, elle fait passer des messages…

  1. Au choix, le mot de la fin ou nous citer votre dessert préféré…

 La tarte Tatin. Ce n’est pas génial pour la ligne, mais quel délice !

Lien vers le site de l’éditeur : Fayard Noir.



Catégories :Interviews littéraires

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20 réponses

  1. Merci pour ce bel entretien que j’ajoute bien évidemment à ma chronique ! Amitiés …

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      merci Carine, avec plaisir 😉
      Amitiés

  2. Dionysos – Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, qui tente de naviguer entre lectures récréatives et lectures instructives, entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

    Très belle interview qui nous fait bien connaître cette auteure, bien lancée pour échapper à la première image réductrice que le public a d’elle. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Tu as bien résumé les choses 😉

  3. dosesdencrenoire – Un folle envie de vous tenter avec mes doses d’encre, plus qu’une passion, une folie douce. Des mots pour oublier les maux.

    Très belle interview que je partage;-)et un de plus sur ma liste(avec les cds,le prochain B O D’Alabama Monroe°;-)

  4. Attends, une femme qui écrit un roman noir et qui aime la tarte Tatin ? Je veux lire son livre ! Non, ce n’est pas la tarte qui m’a décidé, le mot “roman noir” m’avait déjà fait tilter.

    Par contre, bien que cette interview soit, une fois de plus, super, je ne vous remercie pas de me donner encore plus envie d’acheter des livres ! Dois-je m’isoler sur une île déserte sans PC ? 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      tu en es incapable !
      De tout façon tu es un peu maso (c’est pas toi qui a chroniqué du Sade récemment ?) 😉

  5. Très belle interview d’une jeune femme sincère dans sa démarche . Sa sincérité paie car son roman vaut plus que le détour; c’est une vrai découverte. Et on n’emmerde les a priori. Oui Laëtitia Milot à écrit un excellent polar. Alors lisez le bordel.
    Ah au fait Yvan , je voulais te remercier pour le souvenir de la rencontre avec cette auteure au tout début de l’été.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Si une bibliothécaire spécialisée dans les polars est aussi affirmative, ça devrait achever de vous convaincre !
      Oh oui, ma chère, notre rencontre autour de cette auteure si naturelle et accessible, est un très bon souvenir 🙂

  6. bonjour léticia comme tout le monde je t’ai découvert dans dans plus belle la vie j’ai découvert une femme extraodinaire a travers tes livre et par ton engagement ver les animaux je t’admirer car tu es humaine et sa fait vraiment plaisir je t ador mon reve et de te rencontrer bisous
    leslie

  7. Liliba – Amoureuse des mots, je suis une grande lectrice, mais aussi rédactrice multicanal.

    Je ne connais pas l’auteur mais cet entretien est très sympa !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Merci à toi 😉

  8. Très séduite par cette interview…je note son livre de suite!!!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      elle donne une vraie image de ce que tu trouveras dans son bouquin !

  9. J’avoue qu’avant d’avoir lu ce billet, je ne serai pas allé vers ce livre…
    Maintenant, je n’hésiterai pas.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Je comprends ta réaction, ce livre est une belle preuve qu’il ne faut pas classer les gens dans des caissons étanches.

Rétroliens

  1. Récapitulatif des interviews – Février / octobre 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  2. Récapitulatif des interviews – février / novembre 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  3. Récapitulatif des interviews – février / novembre 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  4. Récapitulatif des interviews 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical

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