Quelques extraits de romans parus en 2012, picorés de-ci de-là durant mes lectures.
“L’ère que nous quittons est encore lisible. Les gens cherchaient la réalité dans la fiction et s’amusaient du décalage. De nos jours, c’est l’inverse : nous quêtons l’imaginaire dans le réel. Comme si nous avions besoin de savoir qu’on nous ment. comme si cela nous prodiguait un certain réconfort.”
– Les Sami (peuple lapon) ont-ils des coutumes si différentes des scandinaves ? Il existerait des rites aussi sauvages chez les Sami ? Ils me donnaient pourtant l’impression d’être excessivement pacifiques.
– Ils le sont. En général. Cela m’étonne même qu’aucun d’entre eux ne t’ait encore dit que le mot guerre n’existait pas en langue sami.
Il fit réchauffer son petit-déjeuner habituel, une bouillie de sang de renne. Il y a longtemps, Mattis, quand il avait encore son esprit et qu’il ne craignait pas son ombre, l’avait invité chez lui à boire du café et manger du pain. Aslak n’avait pas aimé. Heureusement, le renne lui donnait tout ce dont il avait besoin. Depuis toujours. Il était né dans une transhumance, voilà bien longtemps. La première fois qu’il avait tété le sein de sa mère, il faisait moins quarante degrés. Sa mère en était morte. Il avait alors été nourri à la graisse de renne fondue. Le renne était un bon animal si l’on savait en prendre soin. Il nourrissait, habillait. (Aslak, éleveur de rennes)
(Blake parlant à Manon)
– Les hommes fonctionnent à peu près tous de manière identique. Nous avons beau paraitre très différent et avoir des vies qui ne se ressemblent pas, ce sont les mêmes moteurs qui nous animent.
Nous passons notre vie à gérer nos envies, au mieux nos devoirs, en fonction de nos moyens.
Pour vous, les filles, c’est différent. Contrairement à nous, vous n’agissez jamais pour vous-mêmes. Votre vie n’est pas gouvernée par ce que vous voulez ou ce que vous pouvez, mais en fonction de ceux que vous aimez.
Nous faisons toujours les choses dans un but, vous les accomplissez toujours pour quelqu’un.
– Ce sont tes frères qui t’ont appris à tirer ? dit-il après une longue courbe.
– Oui.
– Vous chassiez quoi, avec vos carabines?
Jana haussa les épaules.
– Des carabiniers…
Ceux-là ne ramassaient pas seulement les cartons, ils vivaient parmi eux. Une famille entière, anonyme, recyclée elle aussi.
Ils s’étaient construit une barricade, une coquille vide qu’ils refermaient derrière eux la nuit venue pour se protéger du froid, des chiens errants, des paumés ; ils en ressortaient le matin, raides d’un sommeil sans mémoire, tout de guenilles et sales, incapables de dire merci aux rares passants qui leur donnaient la pièce.
Ils étaient devenus cartons.
Alors asseyez-vous, Franck… dites-moi ce qui s’est passé ce matin.
– Vous pouvez lire mon rapport.
– Je veux l’entendre avec vos mots à vous.
– C’est moi qui ai écrit le rapport. Ce sont mes mots.
– Vous comprenez ce que je veux dire, Franck. Je veux l’entendre de votre bouche.
– Il a tranché la gorge de sa petite amie. Il s’est tranché la gorge. Il y avait tellement de sang que ça glissait comme un toboggan dans un putain de parc d’attractions. Ça vous va ?
p. 20
(Extrait de la préface)
Malaise. Émerveillement. Mélancolie. Irritation. Soulagement. Honte. Distraction. Nostalgie. Indignation morale. Culpabilité.
Les voyageurs sont confrontés à un concentré de sentiments confus qui font la condition humaine.
La migration est une forme de mort, une démangeaison que l’on ne peut pas soulager.
Je SUIS un consommateur, je ne peux y échapper, pas plus que vous.
Tout ce que je veux, c’est ne plus être un Playmobil aux prises avec le marketing, cet “instrument du contrôle social” comme disait Deleuze.
Je veux être capable de définir ce que sont mes désirs à MOI, en dehors de ceux que les objets de consommation cherchent à me mettre de force en tête, comme autant de dealers de bonheur artificiel et éphémère.
(extrait du prologue)
“Mon père a décroché une bourse pour étudier les rituels dans un village de pêcheurs au fin fond du Japon, et une famille lui a donné une vidéo d’une femme qui avait survécu à Hiroshima, mais était devenue difforme.
La chaleur avait incrusté une montre de gousset dans le bras. On la cachait parce qu’il y en avait eu d’autres comme elle, des gens qui avait fusionné bizarrement avec des animaux, de la terre ou les uns avec les autres, puis que le gouvernement avait emmenés ailleurs et qu’on n’avait jamais revus.”
Il sont aussi superficiels qu’une flaque d’eau dans un caniveau et ils consultent leurs portables comme s’il s’agissait d’instruments de navigation sans lesquels il ne sauraient pas où aller après le cinéma.
Il ont trop de choses, et comme ils en ont trop, il en veulent encore plus, car c’est tout ce qu’ils connaissent. Avides, aussi éloignés de la satiété que de la faim parce qu’on les nourrit sans arrêt, avant même qu’un début de faim puisse se manifester.
Nous avons beau aspirer à la lumière, nous avons besoin de l’ombre. Le désir qui nous fait rechercher l’harmonie nous pousse aussi, dans un obscur recoin de notre cœur, vers le chaos. Un chaos tout relatif, Nous ne sommes pas des barbares. Pourtant, c’est bien ce que nous devenons dès que le monde déraille. Le chaos est toujours à l’affût. (premières phrases du roman)
Le capitaine Anato, au final, se demandait si ses origines étaient réellement un atout. Il reconnaissait cependant une chose : la Guyane lui était peu familière, il la découvrait un peu chaque jour.
Ni métropolitain, ni vraiment ndjuka. Un négropolitain, avait-il entendu dire.
Ça fait longtemps qu’il n’y a plus ni printemps ni automne, des saisons qu’elle a connu dans sa jeunesse, même si elles étaient déjà réduites à une peau de chagrin.
Maintenant c’est “la saison de la canicule” et “la saison des tempêtes”. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait des tempêtes au milieu de la canicule, ou des périodes de canicule entre deux tempêtes…
(Début de la postface des auteurs)
Dans ce roman, tout ce qui est invraisemblable est vrai.
Et tout ce qui est vraisemblable est fictif.
Atomka de Franck Thilliez
Parce qu’il n’y a rien de pire que la mort. Et pas seulement quand elle vous frappait, mais aussi quand vous y surviviez.
Lucie avait survécu à la mort de ses jumelles.
Et la vie le lui rappelait cruellement chaque jour.
Aie à l’esprit que la force, l’énergie et le courage n’échoient pas à celui qui s’indigne et se fâche. Plus on se rapproche de l’impassibilité, plus on est fort. La colère traduit la faiblesse de même que l’affliction : toutes deux sont des blessures, des capitulations.
Marc Aurèle
Anne a été “blessée” lors d’une attaque à main armée dans le VIII° arrondissement et “molestée”, lui a dit l’employée de la préfecture de police.
Camille adore ce mot, “molester”. Dans la police, on l’adore. On adore aussi “individu” et “stipuler”, mais “molester”, c’est beaucoup mieux, avec trois syllabes on couvre une gamme qui va de la simple bousculade au passage à tabac, l’interlocuteur comprend ce qu’il veut, rien de plus pratique.
Un évènement est considéré comme décisif lorsqu’il désaxe totalement votre vie (…). Cet évènement décisif, saisissant, inattendu, capable d’électriser votre système nerveux, vous les distinguez immédiatement de tous les autres accidents de l’existence parce qu’il est porteur d’une énergie, d’une densité spécifique : dès qu’il survient, vous savez que ses conséquences vont avoir pour vous des proportions gigantesques, que ce qui vous arrive là est irréversible.
Londres le 14 juin 1944 (Mary, historienne du temps)
Ne pas savoir. C’est la seule chose que les historiens ne comprendraient jamais. Ils pouvaient observer les gens de la période, vivre avec eux, tenter de se mettre à leur place, mais ils ne ressentiraient jamais ce qu’ils éprouvaient.
“Parce que je sais ce qui va se produire. Hitler n’a pas envahi l’Angleterre, il n’a pas utilisé les gaz toxiques ni détruit Saint-Paul. Ni Londres. Ni le monde. Je sais qu’il a perdu la guerre.”
Mais eux ne le savaient pas. Ils avaient traversé le Blitz, le jour J, les V1 et V2 sans la moindre garantie d’un happy end.
Proverbe :
Parce qu’il manquait un clou, le fer fut perdu.
Parce qu’il manquait un fer, le cheval fut perdu.
Parce qu’il manquait un cheval, le cavalier fut perdu.
Parce qu’il manquait un cavalier, le royaume fut perdu.
Elle connaissait le pays sans lumière. Assez souvent, elle avait interrogé des candidats ayant été systématiquement battus, violés, abandonnés ou humiliés. C’était des réfugiés du pays des choses épouvantables, et par leur intermédiaire, elle avait commencé à se faire une idée de l’immensité et du vide de la géographie de celui-ci.
Le problème consistait en une corruption endémique, issue des années où le vice avait dépensé sans compter et où la vertu s’était mise à mendier.
Je suis devenu l’enfant sans “je t’aime”. Un orphelin privé d’amour à cause de parents trop fatigués pour le lui dire.
Une fois, j’ai demandé à papa qui était son meilleur ami et il m’a répondu “ta maman”. Papa n’a pas de copains à qui téléphoner en dehors de tous ceux avec qui il travaille. Moi, je pense que son meilleur ami, c’est quand même le balai-brosse avec lequel il cire le parquet.
Les histoires sont des créatures sauvages. Quand tu les libères, qui sait ce qu’elles peuvent déclencher.
Un type bien de Dean Koontz
La bibliothèque, une petite construction de brique, avec d’étroites fenêtres à barreaux, avait des airs de forteresse, comme si les bibliothécaires, prévoyants, savaient qu’un jour, dans un futur proche, il leur faudrait défendre les livres contre des hordes de barbares.
Sa vie avançait sur des rails, ne sortant jamais de son sillon, se dirigeant sereinement vers un avenir déterminé et connu. Mais cette bête sur ses traces ne représentait pas seulement son passé, elle était sa destinée, et les voies qui étaient censées l’éloigner d’elle le ramenaient inexorablement vers sa gueule béante.
En décidant de combattre ceux qu’il considérait comme ses ennemis de l’extérieur, Martial se rendait compte qu’il excitait également ses bestiaux de l’intérieur, qu’en sortant des ornières, il ouvrait des brèches pour l’ultime adversaire pressenti, lui-même. Et c’était cet adversaire-là, encore à l’état larvaire, qui lui fichait une trouille carabinée.
Je ne peux pas leur faire confiance. Je ne connais personne dans cette pièce, y compris moi même.
Catégories :Littérature
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