1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
LAURENT SCALESE
A nos jours heureux
Editeur : Plon
Sortie : 01 juin 2023
Lien vers ma chronique du roman
L’ambiance de ton nouveau roman est bien éloignée du polar, autour d’un thème difficile…
Tout à fait. J’ai beaucoup écrit dans ce genre plutôt polymorphe, j’ai œuvré pendant des années dans le polar, le suspense, le wodunit, le thriller, le thriller fantastique, la comédie policière. Je me suis longtemps amusé à bâtir une intrigue, une mécanique bien huilée, à « balader » le lecteur de fausse piste en fausse piste, à le faire frissonner, à ébranler ses certitudes, à jouer avec ses nerfs. Chaque fois, j’ai tenté une nouvelle approche, pour ne pas écrire le même livre, encore et encore.
Et puis, sans crier gare, est arrivé ce moment où j’ai eu envie de rebattre les cartes et d’aller dans une tout autre direction, celle de la comédie dramatique, de la dramédie. À nos jours heureux ce que j’appelle un « roman de vie ». C’était un défi de taille, mais j’ai éprouvé une vraie excitation intellectuelle à l’idée de le relever et de mener ce projet à terme.
” À mon sens, un tel sujet devait être traité avec la gravité requise tout en ouvrant grand la porte à l’espoir “
Ta manière de raconter cette histoire est loin de tout pathos, au plus près d’émotions vraies, et se veut aussi positive…
Absolument. Le plus dur quand on raconte ce type d’histoire est de ne pas céder à la facilité, de ne pas chercher à provoquer l’émotion dans le seul but d’émouvoir. Les émotions doivent avoir une raison d’être, elles doivent être amenées de manière subtile, délicate, sans forcer le trait. Il faut surprendre le lecteur, le toucher au cœur sans qu’il le sente venir. C’est un exercice périlleux, qui nécessite beaucoup de travail, que ce soit dans la narration ou dans les dialogues. L’auteur doit réagir en tant que lecteur. S’il parvient à s’émouvoir lui-même, il peut, en extrapolant, penser que le lecteur sera également ému.
Concernant la positivité de l’histoire in fine, j’ai tout de suite compris qu’il ne pouvait en être autrement. À mon sens, un tel sujet devait être traité avec la gravité requise tout en ouvrant grand la porte à l’espoir. J’ai voulu que le roman soit lumineux, solaire, drôle aussi, que la vie l’emporte sur la mort. C’est un peu l’illustration de la locution « à quelque chose malheur est bon ».
” Certaines scènes du livre ne relèvent pas de la fiction, elle se sont vraiment produites “
Tu as joué cette partition entre réalité et fiction…
Pour tout te dire, je n’aurais jamais osé raconter cette histoire sans savoir exactement de quoi il s’agissait. Dans mon entourage proche, le mal a frappé. Le rapport à la vie, au temps, au quotidien, a profondément changé. À partir du moment où cela se produit, les soucis qui nous pourrissent la vie, les problèmes qui nous paraissent insurmontables, sont relégués à leur véritable place, et la plupart nous apparaissent comme négligeables, des broutilles. La mort n’apparaît plus aussi abstraite. Pour aller plus loin, j’ai rencontré des cancérologues. Je me suis rendu en salle de chimio, j’ai pu assister au déroulement de plusieurs séances et observer les patients. J’ai visité l’institut Raphaël, la maison de l’après cancer, située à Levallois-Perret, fondée par le docteur Toledano. Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est de voir les réactions des patients. Je pense notamment à ces femmes atteintes d’un cancer qui gardent le sourire, à leur attitude face à la maladie, à leur résilience, à leur « beauté », oui, j’ose employer ce mot, une beauté sans fard, sans artifice, authentique. Tout cela m’a beaucoup impressionné, marqué d’une empreinte indélébile.
Certaines scènes du livre ne relèvent pas de la fiction, elle se sont vraiment produites. Pour résumer, j’ai choisi de raconter cette histoire, vraie par certains aspects, sous une forme romanesque. La rédaction ne fut pas chose aisée, émotionnellement parlant. Je n’avais jamais éprouvé cela avant, je ne m’étais jamais senti aussi impliqué.
Tout passe par tes personnages, forts et travaillés, et leurs relations…
Comme tu le sais, je considère que les personnages constituent la pierre angulaire de toute histoire. En tant que lecteur, je me suis aperçu, au fil de mes découvertes littéraires, que si les personnages existaient vraiment, j’avais envie de tout savoir d’eux, de les suivre jusqu’au bout de leurs aventures. J’applique ce principe dans tous mes livres. Pour le quatuor de ce roman, il est évident qu’il porte l’histoire. Ce qui arrive à mes « héros » est suffisamment sérieux, grave, pour qu’ils suscitent instantanément l’empathie. Je les ai en effet beaucoup travaillés. Ils ont des points de vue, sur la société, sur la vie et la mort en général.
J’ai voulu que du drame qui les frappe surgisse quelque chose de fort, de beau, de transcendant, à savoir deux histoires d’amitié, qui se transforment vite en histoires d’amour. Deux couples se forment, celui de Judith et de Grégory, celui de Lola et de Nicolas. À dire vrai, j’avais depuis très longtemps envie de m’aventurer sur ce terrain. Je suis un grand romantique, j’ai souvent le cœur qui s’emballe et la larme à l’œil devant une comédie. Si, si, je te jure !
” Il suffit de passer en revue mes romans, mes nouvelles, et même les scénarios que j’ai écrits pour l’audiovisuel, pour constater que tout est lié, s’entremêle, se complète “
La première partie du roman est aussi l’occasion pour toi de donner quelques coups de griffes à des professions que tu connais bien, et aussi à faire quelques clins d’œil à tes précédentes œuvres…
Il suffit de passer en revue mes romans, mes nouvelles, et même les scénarios que j’ai écrits pour l’audiovisuel, pour constater que tout est lié, s’entremêle, se complète. C’est comme une règle d’or. Au fil du temps, je me suis aperçu que les lecteurs appréciaient ces allusions, ces clins d’œil. Il y en a dans chacune de mes histoires, j’en ai semé un peu partout, comme le Petit Poucet ses cailloux. Ça donne un ensemble cohérent. Le premier exemple qui me vient à l’esprit : dans la mini-série La taupe, que j’ai écrite pour TF1, un des personnages parle d’un cargo baptisé le « Janus », ce qui renvoie à mon thriller L’ombre de Janus Le plus amusant, c’est que j’ai balisé le chemin sans que ni le producteur ni la chaîne ne le sachent. La Voie des âmes, mentionnée dans plusieurs de mes romans et nouvelles, est évidemment celle dont je parle dans le thriller fantastique du même titre. Et ainsi de suite. Sans dévoiler son nom, un personnage de flic qui fut le héros d’un précédent livre, fait une apparition drôle, insolite, dans À nos jours heureux.
Concernant la peinture des milieux artistiques dans lesquels j’évolue depuis vingt-cinq ans, elle est proche de la réalité et apporte une vraie profondeur au récit. Certaines descriptions, certaines anecdotes sont inspirées de ce que j’ai vu, vécu, elles sont issues d’observations personnelles. Elles permettent de donner une vraie densité aux personnages, elles nourrissent l’histoire. C’est à la fois un miroir, une photographie, une satire de ces milieux et des gens qu’on y croise.
Catégories :Interviews littéraires
Encore un bel échange. Merci à vous deux. 🙏😘
Je ne suis pas sûre que ce roman soit pour moi, mais cette interview est tout simplement touchante…
et pourtant je t’assure qu’il est plein de lumière et qu’il apporte humainement beaucoup
Je le garde dans un coin de ma mémoire, dans ce cas, pour un jour où j’aurai besoin de relativiser 😉
voilà