1 livre et 5 questions pour permettre à son auteur de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
VALENTIN MUSSO
Dans mon obscurité
Editeur : Seuil
Sortie : 05 mai 2023
Lien vers ma chronique du roman
Trois femmes, trois destins qui rien ne semble lier…
L’idée de départ était de raconter l’histoire de trois femmes de générations et de milieux différents, qui ne se connaissent pas. En apparence, en effet, rien ne relie : Ludivine est une lycéenne, Emma est une correctrice qui passe l’essentiel de son temps chez elle, et Zora résout des cold cases à la Brigade criminelle de Paris. Pourtant, dès le début, les deux premiers personnages vivent une histoire parallèle puisqu’elles tombent toutes les deux amoureuses pour la première fois de leur vie et s’engagent dans une relation compliquée.
Le but du jeu dans ce roman est d’essayer de trouver comment les trois histoires vont se rejoindre, ces trois destins ne formant en réalité qu’une seule et même histoire. Écrire, c’est pour moi jouer avec le lecteur : lui livrer des indices, le pousser à élaborer des hypothèses tout en le conduisant naturellement sur des fausses pistes.
Une fois de plus, tu arrives à proposer une autre variation autour du roman à suspense…
Comme tu le sais, j’aime offrir à chaque roman des histoires qui ne se ressemblent pas. L’originalité de Dans mon obscurité vient du mélange de tons et d’atmosphères. On est dans un livre à suspense mais à chaque personnage sont attachés un style et un genre différent : le thriller domestique pour Emma, le roman jeune adulte pour Ludivine et le roman policier pour Zora. J’ai pris beaucoup de plaisir à passer d’une histoire à l’autre. Cette dimension polyphonique permet de relancer l’action et de garder un rythme soutenu dans la narration.
” Ce sont l’histoire et les personnages qui m’ont conduit vers ces thèmes, que je n’avais pas vraiment définis au préalable “
Voilà une intrigue totalement ancrée dans son temps et dans notre société actuelle…
Effectivement. Mon précédent roman, L’homme du Grand Hôtel, se déroulait dans une Amérique largement fantasmée : les personnages évoluaient dans une sorte de décor théâtral, un monde à la lisière de la réalité et de la fiction.
Dans ce roman, je voulais d’une part revenir en France (l’histoire se déroule entre Rennes et la Normandie) et d’autre part l’ancrer dans le monde actuel. Il est par exemple question des réseaux sociaux, du ravage du harcèlement scolaire, d’emprise et de réflexion sur le consentement…
Mais ce sont l’histoire et les personnages qui m’ont conduit vers ces thèmes, que je n’avais pas vraiment définis au préalable. Stephen King expliquait d’ailleurs dans ses Mémoires d’un métier qu’il fallait toujours partir de ses personnages et jamais de concepts ou de thématiques.
” Je voulais donner des personnes malvoyantes ou non-voyantes une autre image que celle que l’on a souvent en tête, par ignorance “
L’un de tes personnages est aveugle, c’est un joli challenge que de faire percevoir au lecteur la manière dont elle vit et ressent ce qu’il lui arrive…
Dans la partie consacrée à Emma, il fallait renoncer totalement à la vue pour se concentrer sur l’ouïe, l’odorat, le toucher. J’ai donc dû adapter mon style à la manière dont elle appréhende les espaces qui l’entourent et perçoit son entourage. Je voulais donner des personnes malvoyantes ou non-voyantes une autre image que celle que l’on a souvent en tête, par ignorance. Le personnage d’Emma dit elle-même « regarder » des films, il est très peu question de canne blanche, elle utilise énormément son téléphone, parfois de manière détournée, et refuse d’être considérée comme une victime. Le plus important pour elle est de pouvoir conserver un maximum d’autonomie sans dépendre des autres.
Je voulais depuis longtemps aborder la question du handicap dans un roman. Quand j’étais enseignant, je travaillais dans un établissement qui accueillait une ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire). J’ai donc été dans ma profession sensibilisé au handicap, même si ce terme même est contestable car il exprime un jugement normatif. Il y a simplement des handicaps plus visibles que d’autres et qui ne deviennent facteur d’exclusion que lorsque l’environnement n’est pas adapté. Un handicap n’est pas une identité.
Durant mes recherches, j’ai découvert combien la société avait pris du retard sur cette question. S’il y a bien sûr eu des progrès, la loi « handicap » votée en 2005 n’est toujours pas appliquée. Tous les lieux recevant du public devaient par exemple être accessibles en 2015, ce qui est loin d’être le cas. Et l’accessibilité aux transports en commun n’est toujours pas garantie et a même régressé sur certaines lignes.
Et tu proposes encore un fois une fin vraiment renversante…
Merci. Dans ce roman, il y a une très grosse accélération de rythme dans les cinquante dernières pages et des révélations qui, je crois, sont difficiles à voir venir. Réfléchir à l’agencement de ces derniers éléments est ce que je préfère : il faut chercher à laisser le lecteur sous le choc lorsqu’il tourne la dernière page. J’ai toujours précisément la fin en tête quand je commence à écrire une histoire. Je n’ai pas besoin d’avoir de synopsis précis à partir du moment où je sais où je vais. La fin est une boussole, un point de mire vers lequel tout doit converger.
Jean-Christophe Grangé dit que lorsqu’il débute un livre il connaît mieux la fin que le début. Je pourrais dire la même chose. Je fais en quelque sorte le chemin inverse du lecteur, même si j’écris toujours mes histoires dans l’ordre final de la lecture, pour parvenir à me mettre à la place de ceux qui me liront et à gérer le rythme du récit, notamment dans l’alternance des personnages.
Catégories :Interviews littéraires
Valentin est très touchant. Merci à vous deux pour ce bel échange. 🙏😘