Le silence et la colère est le deuxième tome de la tétralogie de Pierre Lemaitre consacrée aux Trente Glorieuses, après sa trilogie de l’entre-deux-guerres, Les enfants du désastre.
L’écrivain ne décrit pas le passé, il y pose ses valises durant des moments clés et raconte l’histoire de la famille Pelletier, à la manière des feuilletons du siècle dernier. Au plus près de ceux qui sont les ingrédients principaux de son histoire dans la grande Histoire : les personnages. Un formidable roman choral, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Un saut de quatre ans depuis Le grand monde, les protagonistes sont les mêmes, mais la vie continue de les modeler, de les toucher. Très différemment les uns des autres.
Monde changeant
Le début des années 50 sert de terrain à l’auteur pour « jouer » avec eux, et ce monde changeant. C’est une période charnière, entre le rigorisme du passé et un modernisme galopant. La France découvre la consommation de masse, les médias prennent de l’ampleur, les villes s’agrandissent au détriment du monde rural.
D’où la construction du barrage qui apparaît sur la couverture, comme un symbole, lui qui veut amener la fée électricité partout mais doit noyer tout un village pour cela. Pierre Lemaitre parle beaucoup par images pour faire passer ses idées.
La société ne sait pas trop sur quel pied danser. Comme en ce qui concerne l’avortement qui reste un délit grave, avec une répression encore plus forte que durant le régime de Vichy, c’est dire ! Les histoires tragiques se succèdent, entre faiseurs d’anges autoproclamés et une justice aveugle face à la détresse des femmes.
La place des femmes
Les femmes qui sont bien l’axe de ce récit. Qu’elles soient journaliste cachée sous le nom d’un homme, en détresse face à une grossesse non désirée, ouvrière face à la tyrannie du patronat.
Et Dragon, comme Geneviève, la femme d’un des fils Pelletier qui est l’un des personnages les plus truculents que j’ai pu rencontrer durant toutes mes années de lecture. Un roman à elle-seule. Elle en fait des tonnes, presque trop, mais l’auteur a su trouver moyen de ne pas tomber dans l’excès.
Un grand vent d’aventure soufflait dans le premier tome, Le grand monde. Le second est à la fois dans la continuité par rapport au récit familial, et différent dans son approche. Cette fois-ci c’est donc l’aspect social qui est mis en avant. Avec un ton résolument plus engagé, même si Lemaitre reste Lemaitre, il l’a toujours été dans ses écrits.
Par ce retour vers le passé, l’auteur donne aussi des clés pour éclairer le présent, et montre à quel point le monde change vite. C’est une période pas si lointaine quand on y pense, et pourtant choquante parfois. A l’image de la manière dont la société de l’époque traite et considère le corps des femmes.
Sacré mélange !
Mais le sel du récit vient bien de ses protagonistes épatants, Pierre Lemaitre est un immense conteur du quotidien, un formidable écrivain qui arrive à donner vie à ses personnages, au point qu’on passe réellement le temps de lecture à leurs côtés. Avec humour ou noirceur, dans les moments forts comme dans les drames. La saga familiale sert le récit historique pour une œuvre fleuve (et ce n’est pas un barrage qui va l’endiguer).
Le lecteur passe par une palette incroyablement vaste d’émotions, du rire aux larmes, grâce à une écriture pétrie d’humanité.
Avec Le silence et la colère, Pierre Lemaitre continue sa grande œuvre sociale et humaniste. A décrire un monde passé qui nous apprend beaucoup du nôtre. Avec une maestria de tous les instants et un joli souffle romanesque, un formidable sens du rebondissement et une capacité à mélanger les genres littéraires avec bonheur.
L’écrivain est à la moitié de son projet sur le XXème siècle, deux autres tomes achèveront la période et la saga Pelletier. Suivra une dernière trilogie consacrée aux année 1970 à 1990.
Lien pour lire les premières pages
Yvan Fauth
Sortie : 10 janvier 2023
Éditeur : Calmann-lévy
Genre : Fiction historique
Prix : 23,90 €
Lien vers la page du roman sur le site communautaire Babelio
4ème de couverture
Après l’immense succès du Grand Monde
Un ogre de béton, une vilaine chute dans l’escalier, le Salon des arts ménagers, une grossesse problématique, la miraculée du Charleville-Paris, la propreté des Françaises, « Savons du Levant, Savons des Gagnants », les lapins du laboratoire Delaveau, vingt mille francs de la main à la main, une affaire judiciaire relancée, la mort d’un village, le mystérieux professeur Keller, un boxeur amoureux, les nécessités du progrès, le chat Joseph, l’inexorable montée des eaux, une vendeuse aux yeux gris, la confession de l’ingénieur Destouches, un accident de voiture. Et trois histoires d’amour.
Catégories :Littérature
Je revis toutes mes émotions (et mes rires) à travers ta chronique. Donc, réussite totale ❤️. Je ne savais pas que l’auteur allait s’attaquer aussi à une autre trilogie des années 70 à 90. C’est une SUPER nouvelle !!
merci, content de partager ces émotions avec toi. Oui, il reste de belles lectures à venir avec sa saga !
Je sais à quel point l’auteur est un monument, malheureusement je butte sur son écriture… autant j’ai adoré ses intrigues (Alex est inoubliable !), autant j’ai éprouvé des difficultés avec sa plume. Je passe donc mon tour !
chaque ressenti est personnel 😉
Ah, le grand Pierre Lemaitre !!!
Il réussit tout ce qu’il touche, c’est un génie.
Je me réjouis de lire celui-ci – je dévore tout ce qu’il écrit depuis un bon moment.
Une trilogie pour fermer le XXème siècle ? Quelle bonne idée ! – même si ça me donne un peu l’impression d’être un dinosaure !
J’ai entendu hier, à la radio, qu’il allait se remettre au thriller… Info, intox ? Quoi qu’il en soit, il nous apportera toujours sa fraicheur légendaire !
je ne sais rien sur cette hypothétique retour au thriller, mais il lui reste 5 romans à écrire sur sa grande saga !
Je suis justement en train de lire “le grand monde” et cela me donne encore plus envie de découvrir la suite. Merci pour cette chronique. J’adore ce qu’il fait.
bonne suite de lecture, Sylvie, tu vivras de belles et fortes émotions !
Et moi je suis en train de lire son tout premier, Le Serpent majuscule, écrit en 1985 et qui n’avait pas été édité à l’époque.
J’aime autant ses “noirs ” que ses “historiques “,pour l’instant…
Il est formidable dans tous les genres !
oh tu l’as déjà lu !
Dire que moi j’ai à peine commencer le tome 1. Puis reposé en me disant, là il va me falloir du temps pour le lire pleinement. Si ça continu comme cela, je vais me faire la trilogie d’une traite…
Et c’est pas plus mal ! Les personnages sont tellement formidables
Du Pierre Lemaître quoi ?