1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
WILL DEAN
Titre : Tout ce qui est à toi brûlera
Editeur : Belfond
Sortie : 24 mars 2022
Lien vers ma chronique du roman
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans ce genre d’intrigue ?
L’idée m’est venue une nuit de 2016. Vers minuit, une image m’a traversé l’esprit. Une plaine, vue du dessus, avec une petite ferme en son centre. J’ai vu une silhouette qui se déplaçait autour de cette ferme, elle avançait et reculait, mais n’allait jamais bien loin. C’est là que j’ai réalisé que cette silhouette était retenue dans ces lieux contre son gré. Et à six heures du matin, j’avais toute l’histoire du roman en tête.
Je dirais que le genre s’est imposé naturellement. Je lis énormément et quand je raconte des histoires, j’ai besoin de le faire avec mes tripes. Souvent, les détails et le ton du récit m’arrivent par surprise. Il m’a fallu seulement trois semaines pour écrire le premier jet de ce roman que je qualifierais de “thriller claustrophobe”, à la lisière de Misery et de Room. Bien sûr, c’est aussi une histoire de courage, de famille et d’espoir.
Votre personnage principal fait preuve d’une force mentale incroyable, même durant les pires moments…
Oui, c’est vrai et je pense que Jane est sûrement le personnage le plus fort que je n’écrirais jamais. Au début, sa résilience vient de la relation qu’elle a avec sa sœur, de sa volonté de la protéger quoi qu’il en coûte. Par la suite, ce n’est plus seulement l’espoir de sauver sa sœur qui lui donne cette force, mais une volonté farouche de sauver tous ceux qui l’entourent. Le personnage de Jane n’est pas dans la démonstration.
Cette force qui l’habite n’est ni exubérante ni revendiquée, au contraire, c’est une force calme, galvanisante, qui vient des profondeurs du personnage. Qui se construit jour après jour. Car Jane subit sans jamais perdre de vue qui elle est, et ce en dépit de toutes les tentatives de Lenny pour la priver de son intimité, de son identité et de sa capacité d’action.
Vous ne vous êtes rien interdit. Mais on sent que vous avez cherché à traiter les sujets avec autant de finesse que de dureté, sans les surjouer…
Ça doit venir du fait que j’ai écrit dans ce que je qualifierai « un état de fugue ». Après tous ces mois passés à visualiser le roman, sans prendre de notes, j’ai décidé de m’asseoir et de me lancer. C’est très intense comme démarche. J’étais resté dans la tête de ma protagoniste pendant des semaines, j’écrivais avec mes émotions sans intellectualiser le récit. Evidemment, quand on est dans cet état, le filtre de la censure est absent. Après cela, je suis passé à l’étape recherches, réflexion et re-réflexion.
Ce qui me tenais particulièrement à cœur, c’était de rendre justice à mon personnage. C’est sûrement la raison pour laquelle il n’y a pas de gratuité dans récit. Le roman est sombre et dérangeant, c’est vrai, mais on y trouve aussi de la lumière et de la beauté.
L’écriture à la première personne fait qu’on entre en empathie totale avec la captive. C’est une manière de raconter qui n’est pas si facile à maitriser…
Je pense que chaque histoire doit être racontée à sa façon. Quand je visualise une histoire, j’essaie d’éviter toute forme de cadres rigides, je me réserve la possibilité de faire des erreurs et de me faire surprendre par la chance. La voix du personnage principal m’est venue facilement, et j’ai décidé de lui faire confiance.
Mais c’était un défi d’écrire de son point de vue, à la première personne. Je me sentais responsable de cette voix, il fallait que ma documentation soit solide et approfondie sur la vie du personnage, mais aussi que je la traite avec beaucoup d’empathie. Aujourd’hui, je crois que c’était la seule manière de raconter cette histoire.
L’un des thèmes sous-jacents concerne la traite des femmes étrangères, ici asiatiques…
Tout est lié à cette vision que j’ai eue un soir de 2016, à minuit. Dans les six heures qui ont suivi, j’ai compris d’où venait cette silhouette qui n’arrivait pas à fuir, quels étaient ses peurs et ses rêves. En répondant à ta question, je réalise que tout ceci peut paraître bizarre. Mais c’est ainsi que commencent mes romans : une personne dans un endroit. Quand j’ai compris que cette femme était Vietnamienne, qu’elle était enfermée là malgré elle, j’ai dû m’interroger : avais-je le droit, moi Will Dean, d’écrire son histoire ? C’est pour cela que, même si le premier jet de l’intrigue m’est venu en seulement trois petites semaines, il m’a néanmoins fallu cinq ans pour que ça devienne ce roman. Et que je sois certain de ne pas avoir cédé aux clichés.
A notre époque, les grands sujets de nos sociétés sont souvent si accablants qu’on se refuse à les explorer, à les analyser. Le rôle de la non-fiction est essentiel pour nous permettre d’y voir plus clair, mais je pense que la fiction a également le pouvoir d’apporter un regard différent sur le monde. Les histoires nous ouvrent à l’empathie. Faire un bout de chemin dans les chaussures de quelqu’un d’autre, c’est s’interroger sur ses propres motivations, ses croyances. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’adore la lecture.
Photo : Sophie Mary (durant Quais du polar 2022)
Catégories :Interviews littéraires
Toujours très intéressant de comprendre comment les romans naissent 😉
Beaucoup plus clair et très instructif !