Sidérations – Richard Powers

S’il ne fallait résumer cet éblouissant roman qu’en un seul mot ce serait : empathie. Je crois ne pas avoir lu de texte poussant cette capacité aussi loin, dans autant de directions et avec autant de profondeur.

S’élever

Le roman est avant tout l’histoire d’une relation entre un père et son fils, avec l’ombre de la mère décédée qui plane constamment au dessus d’eux. Dire qu’elle est qu’une ombre serait faux, puisque c’est au contraire une lumière qui les guide.

Un père qui vit la tête dans les étoiles, au sens propre avec son métier d’astrobiologiste, comme au figuré parfois. Un fils qu’on a vite désigné comme éloigné de la norme du fait de ses troubles du comportement, et que les médecins voudraient traiter à coups de cachets.

Ils vont suivre une autre voie, une expérience neuroscientifique expérimentale qui va se révéler incroyablement efficiente. Au-delà de tout ce qui pouvait être envisagé.

Theo, le père, ne se sent pas à la hauteur, et pourtant il fait tout pour son fils de neuf ans, Robin. Sans jamais le juger, en cherchant à l’élever (au sens propre) et s’élever avec lui. Regarder le ciel et l’infiniment grand, tout en vivant au plus près de la mère disparue, pour briser les barrières mentales.

Voyage

Richard Powers propose un roman à nul autre pareil, original par son approche et son traitement, bouleversant par la description de cette relation filiale.

Un voyage vers l’infini, tout autant qu’à travers les merveilles menacées de notre monde. Un voyage intérieur aussi.

L’écrivain américain a créé une alchimie rare, mêlant des concepts scientifiques, astronomiques et biologiques à des considérations écologiques et politiques, tout en restant toujours au plus près des émotions de ce père et de son fils.

Un pari osé qui tient autant de l’observation de notre terre et de l’univers tout entier, que d’une ode à l’imagination. Le tout écrit avec une sensibilité à fleur de peau mais qui ne tombe jamais dans le pathos. Les émotions vécues en seront d’autant plus vraies et puissantes.

L’histoire se déroule dans une Amérique « gouvernée » par un président, sorte de Trump XL, qui va totalement au bout de ses idées révisionnistes. Où la science perd beucoup de terrain face aux croyances, et où les catastrophes naturelles s’accumulent. Le tout laissant les populations dans un état de sidération.

Empathie

C’est sur ce terrain ténébreux que va se dérouler ce récit lumineux, comme un chant au miracle de la vie. Sans pour autant gommer la bataille quotidienne pour la préserver à tous les niveaux, micro et macro.

Impossible de ne pas être touché et émerveillé par la relation qui se tisse entre Theo et Robin. Et par la capacité de Powers à déclencher cette fameuse empathie en 3 dimensions (et bien plus encore).

Quelle belle idée que de voir ce père astrobiologiste inventer des mondes toujours plus imaginatifs où pourraient se développer la vie, et les conter à son enfant. Sans oublier de revenir ici et maintenant, sur cette terre grouillante de biodiversité, pourtant menacée. Une manière de partir en quête de notre vraie place, dans l’univers, sur notre planète et dans la société.

Merveille de sensibilité

Entre questions existentielles et réflexions au plus profond de l’intime, ce roman raconte le destin de ces deux personnages autant que celui de notre monde. Avec un récit réellement inventif, qui n’oublie pas de conter une histoire.

Le livres n’est pas sans rappeler Des fleurs pour Algernon par bien des aspects, et d’ailleurs l’auteur rend hommage à plusieurs reprise à ce classique.

Mais le texte trouve sa propre singularité, autant par l’imagination que par le traitement de l’autisme. Et aussi, surtout, par la magie de ce lien bouleversant avec le « fantôme » de la mère.

Sidérations est une merveille de sensibilité doublée d’une profondeur inouïe, mise en valeur par un puissant pouvoir d’imagination. Un récit lumineux malgré l’environnement sombre. Malgré la difficulté de communiquer et grâce à l’empathie ineffable dont font preuve ce père et ce fils.

Richard Powers bouleverse par ce récit profondément humain, plein de sagesse dans ce monde troublé. Qui nous pousse à rester profondément humble tout en ayant le courage de participer à un destin plus grand que soi.

De l’art de passer des messages en mettant en avant les vraies émotions. Et des personnages magnifiques par leurs failles et leurs valeurs, de ceux qu’on ne peut oublier, qui vivent à côté de vous durant toute la lecture, et bien après. Un livre sublime.

Yvan Fauth

Date de sortie : 22 septembre 2021

Éditeur : Actes Sud

Genre : Fiction

Traduction : Serge CHAUVIN

4° de couverture

Depuis la mort de sa femme, Theo Byrne, un astrobiologiste, élève seul Robin, leur enfant de neuf ans. Attachant et sensible, le jeune garçon se passionne pour les animaux qu’il peut dessiner des heures durant. Mais il est aussi sujet à des crises de rage qui laissent son père démuni.
Pour l’apaiser, ce dernier l’emmène camper dans la nature ou visiter le cosmos. Chaque soir, père et fils explorent ensemble une exoplanète et tentent de percer le mystère de l’origine de la vie.
Le retour à la “réalité” est souvent brutal. Quand Robin est exclu de l’école à la suite d’une nouvelle crise, son père est mis en demeure de le faire soigner.
Au mal-être et à la singularité de l’enfant, les médecins ne répondent que par la médication. Refusant cette option, Theo se tourne vers un neurologue conduisant une thérapie expérimentale digne d’un roman de science-fiction. Par le biais de l’intelligence artificielle, Robin va s’entraîner à développer son empathie et à contrôler ses émotions.
Après quelques séances, les résultats sont stupéfiants. Mettant en scène un père et son fils dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, Richard Powers signe un roman magistral, brillant d’intelligence et d’une rare force émotionnelle, questionnant notre place dans l’univers et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.



Catégories :Littérature

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18 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    Quelle magnifique chronique ❤️, j’en ai des frissons…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Merci mon amie. Comme tu l’as superbement fait toi-même, face à un tel roman nous ne pouvons qu’essayer de faire passer l’émotion du mieux possible. Et rendre un vrai hommage à un tel bijou

  2. Merci pour cette chronique qui dit si bien ce que j’ai ressenti en lisant Sidérations 😍

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      ça fait plaisir de se retrouver à travers ces émotions !

  3. Comme je suis heureux d’avoir pu attirer ton attention sur ce roman ! Cela nous vaut encore une superbe chronique, dans laquelle je me retrouve totalement, bien entendu.
    Merci pour ces jolis mots !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui, je te dois cette lecture mémorable, un immense merci !

  4. Il sera l’une de mes prochaines lectures et j’ai hâte de lire le roman de cet auteur dont je lis tous les livres, tellement la densité et l’intelligence apportent beaucoup.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      bien résumé, quel auteur !

  5. Wouahou quelle chronique ! c’est émouvant !
    Je note ce titre et te remercie pour la découverte 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Bonne future lecture alors !

  6. Ma Lecturothèque – Blogueuse littéraire

    Je l’ai vu l’autre jour en librairie, j’ai hésité – je n’aurais pas dû !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Il y sera encore quand tu y retourneras 😉

  7. Encore un livre qu’il va falloir que je rencontre…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oh oui, il mérite toute l’attention possible

  8. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    J’adore cet auteur et j’adore ta chronique mon ami !

  9. J’ai lu ce livre extraordinaire, et je me sens complètement bouleversée

Rétroliens

  1. Sidérations, Richard Powers – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

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