Le curseur juste un peu plus loin.
Le dérèglement climatique est devenu le seul maître du monde, celui qui décide de ce qui vit et meurt, de ce que les Hommes peuvent encore voir et doivent encore subir.
L’isolement est devenu une règle, du moins pour ceux qui survivent dans ce coin perdu (de l’Allemagne ?), où ils se sont coupés du monde en détruisant le seul pont qui mène à ces terres.
Atmosphère post-apocalyptique
Voilà pour le contexte, et donne une idée de l’ambiance. Les habitants qui font partie de cette histoire étant dans la logique du « chacun pour soi », le récit se classe donc plutôt dans une atmosphère post-apocalyptique que vraiment dystopique.
Mais, Helene Bukowski a cherché avant tout à raconter des femmes et des hommes, le reste n’étant qu’un cadre particulier qui les amène à réagir à leurs manières.
Jeune auteure allemande de 28 ans, et un premier roman qui n’invente rien mais où un talent singulier se révèle déjà. Elle est de la génération touchée et profondément impactée par les changements actuels du climat (et ceux à venir). Le message sous-jacent est là, évidemment. Mais il n’est pas le centre du récit, pas le seul présage.
Différence
Une fille et sa mère, isolées, des interactions rares avec leurs voisins hors de vue. Une relation chaotique entre une adolescente et une adulte, l’une qui a besoin d’espace, l’autre qui passe par de longues et profondes périodes de dépression.
Et une petite fille rousse qui surgit de nulle part au milieu de la forêt. Recueillie par l’ado, rejetée par tous les autres. « Sorcière », le mot est lancé.
Quand l’Humain se recroqueville sur lui-même, il perd son sens commun. Celui du respect de l’autre, de la tolérance envers la différence et ce qu’on ne comprend pas de prime abord.
Le vrai message du roman est là, à travers ce qui ressemble autant à une fable qu’à un roman initiatique, et à un récit au plus près de la terre.
Peur
La peur de survivre se transforme vite en peur de l’autre, malheureusement rien de neuf avec ces comportements-là… Mais il existe encore des bribes de cette humanité chez certains habitants, malgré les superstitions.
L’écriture de l’écrivaine est saisissante, à la fois dans une certaine poésie noire et un réalisme cru. Directe et pourtant imagée. Personnelle, sans aucun doute.
Point d’attention : Il faut accepter de ne pas connaitre les tenants et aboutissants, de ne pas se voir offrir les réponses à nombre de questions. L’autrice fait le choix de laisser le lecteur imaginer beaucoup de choses. Les lecteurs qui ne supportent pas de voir des portes laissées ouvertes risquent de ne pas trouver leur compte. Pour ma part, j’aime ce jeu-là, quand il est bien mené comme ici.
Cette écriture rend les personnages complexes, à la fois irritants et attachants. Et la construction imaginée rend le roman accessible à tous, universel. Un récit assez court, qui se focalise sur les protagonistes et utilise l’environnement pour enfoncer le clou.
Les dents de lait est une fiction mordante dans le propos, lyrique à sa manière. Avec des messages qui portent, si on sait entendre. Clairement, cette manière de projeter la fiction vers un avenir proche et plausible rend la réflexion plus forte. Surtout quand, comme Helene Bukowski, on a un talent de plume personnel, dès son premier roman.
Yvan Fauth
Date de sortie : 19 août 2021
Éditeur : Gallmeister
Genre : roman noir / post-apocalyptique / dystopique
4° de couverture
Skalde et sa mère Edith vivent dans leur maison isolée à l’orée de la forêt. L’adolescente n’a jamais vu le bleu du ciel : leur région est en proie au brouillard et à la sécheresse depuis si longtemps. Les derniers habitants du coin, après avoir fait sauter l’unique pont qui les reliait au reste du monde, espèrent ainsi que leur autarcie volontaire les protègera du chaos. Un jour, Skalde découvre dans une clairière une enfant à la chevelure rouge feu. D’où vient-elle ? Comment a-t-elle pu arriver jusqu’ici ? Consciente de sa transgression, l’adolescente recueille la petite fille, sous le regard méfiant de sa mère Edith. Car les deux femmes ne se sont jamais vraiment intégrées à cette communauté pétrie de peurs et de superstitions. Tandis que les villageois s’organisent, le trio devra bientôt faire face à une véritable chasse aux sorcières.
Catégories :Littérature
Belle chronique, claire et argumentée – j’aime beaucoup le passage des portes laissées ouvertes, choix narratif audacieux qui déplaît à beaucoup mais pas à moi (tout comme toi)…
Je garde ce roman dans la PAL, mais pas pour tout de suite, d’autres urgences s’accumulent 😉 On en reparle peut-être plus tard !
Cela me paraît très intéressant. Surtout pour la complexité des personnages et les rapports humains. Il est vrai que les jeunes auteures campent facilement leurs romans dans un monde bouleversé par les changements climatiques. Je suis en train de lire le premier roman d’Anne-Lise Avril sur un décor similaire. Espérons que cette prise de conscience touche aussi les dirigeants politiques et économiques.
Je fais partie de ceux qui ont été laissés au bord de la route avec toutes leurs questions. J’accepte de ne pas avoir toutes les réponses mais sur ce coup-ci, il y a eu trop.
Jolie chronique Yvan, je suis d’accord pour l’écriture, le lyrisme la beauté des mots, j’ai adoré la complexité du rapport mere fille mais pour le reste j’aurais aimé qu’elle aille plus loin et ne pas avoir de réponses à mes questions m’exaspère. Mais pour un primo roman bravo à l’auteure
du coup, on n’est pas éloignés, à avoir apprécié l’écriture et le rapport mère fille
Effectivement 😘et pour un primo roman je le trouve plutôt bien réussi
Hum, moi qui aime que l’on referme les portes, je vais être frustrée, je le sens bien, mais je peux faire un effort aussi !
Je n’ai jamais eu de réponse à comment papa Noël arrivait à distribuer tous les cadeaux à tous les enfants de la Terre, mais j’ai survécu à cette question sans réponse….Je survis toujours avec ce mystère 😆
Bon, rassure-moi juste : est-ce qu’on a les chutes du Niagara qui coulent de nos yeux ou pas ?? Parce que pour le moment, l’oiseau bleu m’a déjà fait chialer deux fois, je suis en manque de kleenex…
Merci monsieur Yvan :p
C’est les portes grandes ouvertes et non on ne pleure pas.
Avec Manook tu es immunisée de toute façon maintenant…
Une de mes lectures, une belle découverte, reste à la chroniquer