1 livre et 6 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre
6 réponses pour vous donner envie de vous y plonger
R.J. ELLORY
Titre : Le carnaval des ombres
Editeur : Sonatine
Date de sortie : 03 juin 2021
Lien vers ma chronique du roman
Un grand merci à Aude, du blog Aude Bouquine, pour la traduction de l’interview !
Cette enquête d’un agent du FBI va se révéler bien plus étonnante qu’elle n’y paraît…
Eh bien, comme tu le sais, rien n’est jamais ce qu’il paraît être dans mes livres ! C’est l’un des romans de la trilogie qui comprend déjà « Vendetta » et « Les Anonymes ». J’ai déjà écrit sur la mafia et la CIA, et je ne voulais pas que le FBI se sente oublié !
Pour moi, les sujets sur lesquels j’écris doivent toujours m’intéresser personnellement. Écrire un grand roman factuel nécessite une quantité considérable de recherches. Si je ne suis pas fasciné par le thème et le sujet, je ne pourrais jamais l’écrire. Comme dans tous mes autres livres, il n’y avait pas de plan ou de synopsis spécifique. Je savais de quoi je voulais parler, j’ai choisi le Kansas comme localisation de l’intrigue (“Le magicien d’Oz“, tu comprends ?), puis il s’agissait simplement de démarrer le projet et de voir où le voyage allait m’emmener. Au fur et à mesure de l’écriture, je continuais mes recherches et je découvrais ainsi de nouveaux fils à tisser dans la toile du scénario. Cela prend toujours une plus grande et plus vaste ampleur que celle initialement prévue. Puis – environ aux deux tiers ou aux trois quarts du chemin – j’ai commencé à réfléchir à la façon dont cela pourrait se terminer, à ce qui pourrait arriver à ces personnages, et finalement comment je conclurai, tu vois ? Pas une fin hollywoodienne à là « et ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours », mais quelque chose qui pourrait être réaliste, compte tenu du voyage qui a été parcouru. Donc, en vérité, c’est autant une découverte pour moi que pour le lecteur, car la fin demeure inconnue jusqu’à ce que j’atteigne les dernières pages.
Ton personnage principal, l’agent Travis, voit son mode de pensées totalement remis en question…
Oui, bien sûr. C’était l’objectif principal. Je voulais créer un personnage qui avait une façon bien à lui de penser. Il a son comportement, ses propres points de vue, sa propre philosophie personnelle sur la vie, puis il est soudain confronté à une situation imprévisible où tout ce en quoi il croyait est remis en question, déconstruit, bouleversé.
Le livre parle avant toute chose de notre façon de voir la vie, de l’idée qu’on s’en fait, de la façon dont nous sommes influencés par les parents, par l’éducation, par la société, et ce qui se passe lorsque nous découvrons qu’une grande partie de ce qui nous a été inculqué est faux. D’une certaine manière, quand nous analysons les œuvres de fiction sensées refléter la vie personnelle d’un écrivain, je parviens à mesurer à quel point ma propre « éducation », reçue à l’école, à l’église, ou ailleurs, est simplement le reflet des idées de quelqu’un d’autre, de comment je devrais penser et de ce que je devrais croire. Ce n’est que plus tard – à l’adolescence et au début de la vingtaine – que j’ai commencé à vraiment lire, à apprendre et à découvrir que tant de choses que je tenais pour acquises sur les mécanismes de la vie et de la société n’étaient pas correctes. Les réponses aux questions du type, qui nous sommes-nous, que faisons-nous ici-bas, pourquoi sommes-nous ici, où allons-nous, etc., ont été formulées par de grands hommes et femmes au cours des dix mille dernières années. Cela a toujours été un sujet extrêmement fascinant, et un domaine que j’ai continué à explorer durant les quarante dernières années. Cette exploration ne se terminera jamais, bien sûr, et c’était un défi intéressant de faire de ce voyage une partie d’une histoire fictive. Je pense qu’il serait vrai de dire qu’une grande partie de ce que le personnage de Edgar Doyle dit à l’agent Travis à propos de la condition humaine est en totale adéquation avec ce que je pense.
Comme à chaque fois, tu as pris grand soin à donner vie à tes personnages. Mais je dois dire que ceux de cette troupe de cirque sont particulièrement marquants…
Pour moi, il s’agit là de l’aspect le plus important de n’importe quel livre que j’écris : décrypter le caractère humain, les émotions humaines, les « vraies gens » confrontés à des circonstances inhabituelles et des situations qui auraient pu réellement se produire. Je ne peux pas imaginer qu’un lecteur puisse ne pas entrer dans l’histoire à cause de quelque chose qui semble trop improbable, irréaliste ou « fortuit ». Je veux raconter la vie de personnages que vous apprenez à connaître et à comprendre, et lorsque le livre est terminé, je veux que vous vous sentiez comme si vous aviez vécu ce voyage avec eux. Plus que tout, je veux que vous vous sentiez comme si vous laissiez derrière vous d’anciens amis proches.
Parfois, je lis un livre et je sens que je ne peux pas vraiment m’identifier à un personnage. Ils ne semblent pas être de « vraies personnes ». Peut-être sont-ils trop intelligents. Peut-être qu’ils font les choses correctement sans jamais se tromper. Les vraies personnes ne sont pas comme ça. Nous nous trompons et nous commettons des erreurs tout le temps. Je pense que tu crées de la tension dans un roman en faisant en sorte que le lecteur soit émotionnellement impliqué vis-à-vis d’un personnage. Cela signifie que le personnage doit ressentir et penser comme une vraie personne. Ces personnages doivent « sonner » comme de vraies personnes. Ils doivent avoir des failles, ils doivent être complexes, ils doivent faire des choses irrationnelles, tu comprends ? Tout comme nous.
Puis, tu as envie de savoir ce qui leur arrive, et cela te fait tourner la page suivante, et la page suivante… Souvent, lorsque j’écris, je me mets à la place du personnage et je me demande ce que je ressentirais et ce que je ferais si j’étais à sa place. Parfois, je me surprends moi-même dans les réponses. Certaines de ces réponses figurent dans le livre. Cela explique aussi pourquoi je n’aime pas rédiger de plan avant de commencer un roman. Je veux que ce soit une aventure pour moi aussi, et je veux avoir l’impression de faire le même voyage, de rencontrer ces gens, de les découvrir, alors que nous nous dirigeons tous ensemble vers la fin. Parfois, j’ai l’impression de faire partie d’une grande famille un peu dingue, mais cela me convient !
C’est aussi un livre d’ambiance, avec une certaine magie qui plane tout au long du récit…
Oui absolument. Telle était encore une fois mon intention. Je voulais écrire un livre où les choses qui étaient acquises pour Travis devenaient très incertaines. Je voulais qu’il découvre la vie et se découvre lui-même. Je voulais qu’il soit une personne très différente à la fin du livre, et tout cela à cause des questions qu’il a été forcé de se poser et des réponses qu’il a trouvées. Travis a des idées très arrêtées sur qui il est, et celles-ci sont régies par ses souvenirs du passé. Lorsqu’il découvre que son passé n’est pas ce qu’il pensait être, il doit tout réévaluer, ce qui l’amène à en apprendre davantage sur sa propre identité qu’il ne l’imaginait possible.
La fin des années 50 aux USA, une période où les méthodes des agences gouvernementales étaient en pleine évolution. Le début du profilage, mais pas seulement…
Exactement, c’est la guerre froide. Le développement des techniques d’espionnage, l’enquête sur les capacités humaines ont d’abord été abordées par la philosophie et la religion orientales. Ainsi, les domaines des expériences extra corporelle et de la « visualisation à distance » ont soudainement intéressé des personnes mal intentionnées et très dangereuses. Des individus au sein de l’espionnage et de la communauté politique voulaient subvertir et profiter de cette idée selon laquelle il y avait davantage dans un être humain que juste son corps et son cerveau. Ils voulaient utiliser ces domaines de recherches pour leurs propres intérêts personnels, à des fins destructrices, et c’est pourquoi le personnage d’Edgar Doyle a finalement dû se libérer de ces liens. Toutes ces expériences ont réellement eu lieu et sont documentées. L’utilisation de la « puissance de l’esprit » pour des entreprises nuisibles qui cherchent le profit est devenue un sujet d’exploration réel et l’enjeu d’énormes financements publics.
Question bonus : Je te l’ai dit, ce livre est un de mes préférés, et tu sais combien j’aime tes romans ! Tu l’as écrit en 2013, comment le vois-tu avec le recul, et ces années passées ?
En fait, il est difficile de se souvenir du processus de recherches et de rédaction, bien sûr. Avec chaque nouveau livre, je plonge complètement dans le sujet, et tout ce que j’ai fait avant passe en quelque sorte à l’arrière-plan.
Comme toujours, lorsque je publie en France un livre écrit précédemment, je relis une partie du livre pour me rafraîchir la mémoire. Parfois, j’ai l’impression de lire un livre écrit par quelqu’un d’autre. Je vois aussi comment j’aurais pu l’écrire différemment. Il y a une chose que je continue à apprendre, c’est que vous pouvez en dire plus avec moins de mots.
Cependant, je suis satisfait de ce livre. Le thème central que je voulais explorer est là. Le voyage mental, émotionnel et spirituel de Travis est là. La corruption et la criminalité au sein de la communauté du renseignement et les mécanismes politiques sous-jacents sont là. Bien sûr, cela aurait pu être abordé d’une manière différente, mais j’ai pris plaisir à me souvenir de ce travail, et j’espère vraiment que le roman sera bien accueilli par mes lecteurs très fidèles qui me soutiennent en France !
Catégories :Interviews littéraires
Passionnant, comme toujours. Je ne me lasse pas de lire et d’écouter parler Roger, tu peux être sûr qu’à chaque fois, il y aura matière à penser et à réfléchir.
Je suis assez fasciné par sa réponse à la première question, quand il explique qu’il ne connaît pas la fin avant de commencer son livre et qu’il la découvre pour ainsi dire en y arrivant. C’est une méthode très rare (et très risquée !), qui nécessite beaucoup de maîtrise et une bonne dose d’audace.
Il y a pas mal d’auteurs qui écrivent sans plan, au fil de la plume, mais la plupart savent comment leur histoire commence et, en général, comment elle devrait finir. Ce sont des jalons presque indispensables – sauf pour Roger, donc. Je trouve cela assez dingue, et admirable bien sûr.
Bref, merci encore pour ce beau partage !
oui c’est fascinant ! Et quand tu vois avec quelle clairvoyance et quel talent il maitrise pourtant son intrigue du début à la fin, c’est juste incroyable. C’est ça le talent, et des comme ça il n’y en a pas beaucoup.
Je me souviendrai toujours de la première conférence à laquelle j’ai assisté avec Ellory. C’était à Quais du Polar, l’année de la sortie de Seul le silence (que j’avais évidemment lu et adoré), alors qu’il était encore pour ainsi dire inconnu. J’avais été bluffé par son intelligence tranquille, le recul qu’il avait sur son travail, sur le métier d’écrivain.
Ce jour-là, je m’étais dit que ce garçon serait à suivre pendant longtemps, sans aucun doute… et voilà où nous en sommes aujourd’hui. Parfois, on ne se trompe pas tant que ça 😉
Incroyable d’imaginer que l’auteur découvre la fin au fur et à mesure de l’écriture ! Alice Zeniter disait un peu la même chose mais elle parlait de littérature générale. Lui c’est d’un roman policier avec un dénouement qui doit frapper le lecteur dont il parle. L’immersion doit être totale … Du coup, il l’a écrit en 2013. Normal qu’à la relecture il pointe les différences possibles. Merci tellement pour cet ITV ! 😉
Ça me fait penser à Stephen King et la ligne verte, où il dit qu’il ne sait pas où il va dès les premières lignes.
Merci à tous les deux pour ce bel échange. Et à Aude pour la traduction 🙏😘