Interview littéraire 2014 – Robert-Charles Wilson

Robert-Charles Wilson est devenu ses dernières années un auteur incontournable dans le domaine de la SF.

Parce qu’il propose une vraie vision des choses, profondément humaniste. Parce que ces histoires sont originales et accessibles.

C’est un immense plaisir pour moi de vous proposer cet entretien, qui compte énormément à mes yeux.

Un grand merci à Julie pour la traduction. Vous pouvez la retrouver sur son excellent blog Evasions julivresques.

Ma chronique de son dernier roman : Les derniers jours du paradis

Dans vos romans, vous aimez laisser une fin ouverte, en général…

La science-fiction parle du changement. C’est le grand thème commun du genre, une sorte de méta-thème : le changement est inévitable.

Alors bien sûr, je veux que mes romans et histoires semblent avoir (dans un certain sens) une fin ouverte. Comme dans la vie, il y a des solutions et des conclusions. Comme dans la vie, il n’y a pas de solutions ou conclusions finales.

La science est très présente dans vos romans, mais toujours vulgarisée…

Je suis fasciné par la science, et j’espère que mes lecteurs partagent cette fascination. Comme je ne suis pas réellement un scientifique, mon point de vue va inévitablement être large et plus philosophique que technique.

Qu’avons-nous appris sur l’univers, et où cette connaissance nous mène-t-elle? Ce ne sont pas des questions scientifiques, à proprement parler, mais elles découlent de ce que la science a appris et nous apprend.

Vos histoires se caractérisent par un profond humanisme et un vrai amour pour vos personnages…

Merci pour ça. J’espère que c’est vrai.

L’univers lui-même est impersonnel, mais notre expérience de celui-ci est toujours uniquement la nôtre, une perspective profondément humaine. J’aime écrire depuis cette frontière.

Pensez-vous qu’un roman puisse faire passer un message ?

Certains romans sont plus ouvertement thématiques que d’autres, mais je pense que chaque roman a une signification, même si elle est triviale ou banale. Un roman est un message.

Vos récits sont toujours profondément ancrés dans la réalité, malgré leurs aspects SF…

Je vois la science-fiction comme une sorte de réalisme littéraire. Histoires miraculeuses, dans un sens, mais limitées à ce qui est ou pourrait être possible. Histoires miraculeuses restreintes par l’Illumination.

Votre nouveau roman, Les derniers jours du paradis, est une histoire où les touches d’uchronies sont très subtiles…

Je voulais que l’histoire se déroule approximativement dans le temps présent, mais un temps présent modifié par une influence extérieure.

Le cadre devait être à la fois reconnaissable et différent. C’est une uchronie presque par défaut.

Vouliez-vous mettre en lumière, à travers ce roman, certaines dérives de notre société et des moyens de communication en particulier ?

C’est plus la question de savoir comment nous sommes manipulés par les médias et d’autres pressions sociales, et comment nous collaborons à notre propre manipulation – et même de savoir si une partie de cette collaboration découle naturellement de notre évolution et peut même être, dans le bon contexte, une bonne chose.

Ce roman propose sensiblement plus d’action qu’à l’accoutumée et est également plus violent. Était-ce une volonté de départ ?

Sans trop en dévoiler, l’entité extraterrestre dans le roman est totalement immorale. Pas immorale, mais complètement moralement indifférente: moralement agnostique, si vous préférez.

Elle ne connaît ni notre horreur de la violence, ni notre fascination pour elle. Elle utilise la violence comme un outil. Je pense que l’histoire reflète ça.

Vous semblez fasciné par les entités extraterrestres et surtout les autres manières de « penser » ou de réagir que celles de l’être humain…

Nous n’avons qu’un seul exemple de ce qu’est une espèce sensible : la nôtre. Si nous avions d’autres échantillons avec lesquels nous comparer, je suis sûr que nous apprendrions que nous ne sommes en rien exceptionnels à certains égards, et tout à fait uniques dans d’autres.

Tolstoï a dit «Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière ». Je soupçonne que toutes les espèces sensibles et saines d’esprit sont semblables, mais que chaque espèce sensible mais pas tout-à-fait saine d’esprit est folle à sa manière. Et je suis sûr que notre espèce n’est pas tout-à-fait saine d’esprit.

Je trouve qu’avec cette sorte de road trip que vous proposez, Les derniers jours du paradis peut toucher un public assez large…

J’espère que ce roman est accessible et divertissant, même pour un public non familier avec la science-fiction.

Parlons un peu de ce chef d’œuvre qu’est Julian, et qui sort en poche en France. Ce roman est vraiment à part dans votre bibliographie. Vous a t-il permis de développer votre histoire d’une autre manière ? 

Julian prend des libertés scandaleuses avec le concept d’«extrapolation», et il est plus ouvertement politique que le reste de mon travail. Mais ce qui le rend spécial pour moi, c’est la voix du narrateur, Adam Hazzard.

Quand j’ai commencé le livre, je sortais d’une période de lecture obsessionnelle de la littérature américaine du 19ème siècle – pas les grands auteurs officiels, mais les trucs complètement oubliés, la littérature locale et les romans de la classe moyenne, que personne ne lit plus.

Il y avait quelque chose de vraiment intéressant dans le ton collectif de ces livres, comme si ils n’avaient qu’une seule voix, à la fois naïve et savante, sentimentale et cynique, religieuse et sceptique, souvent grotesquement raciste, mais avec des moments brillants d’humanisme et de tolérance. Paradoxe incarné.

Je ne pouvais pas résister à essayer d’importer cette voix dans un roman de science-fiction, et il collait parfaitement avec le cadre rétro-futuriste de Julian.

Vous avez eu plusieurs fois l’occasion de venir rencontrer votre public en Europe et en France. Trouvez-vous qu’il y a une autre façon de percevoir la SF et vos romans sur le vieux continent ?

Je ne suis pas certain de connaître suffisamment le public européen pour généraliser, mais il me semble qu’en Europe, la science-fiction est encore, au moins occasionnellement, perçue comme une branche de la littérature plutôt que comme une composante mineure du divertissement de masse.

Ce blog est fait de sons et de mots. La musique prend t-elle une part dans votre processus créatif ?

Oui, d’une façon complexe, que je ne suis pas complètement capable d’expliquer. Je veux que les mots que j’écris aient une signification explicite, mais je travaille aussi leur musicalité – je me soucie du rythme des mots dans une phrase, du rythme des phrases dans un paragraphe et des paragraphes dans un chapitre : la musique a ces structures aussi.

Et je veux que les mots que j’écris soient évocateur aussi bien que littéral, pour créer une atmosphère, afin de refléter le caractère par inférence – c’est-à-dire en portant une partie du poids de leur sens comme connotation plutôt que comme dénotation, non seulement dans les mots mais dans les espaces entre les mots et dans le silence explicite de ce qui n’est pas dit. Tout cela est de la musique.

Vous avez le choix entre nous donner le mot de la fin ou votre dessert préféré…

Dessert préféré : la tarte aux patates douces. Terrien, tout à fait sans prétention, simple, profondément américain dans le meilleur sens du mot.



Catégories :Interviews littéraires

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9 réponses

  1. Un auteur que j’apprécie beaucoup, il faut que je me mette aux livres que je n’ai pas encore lu !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oh oui je te le conseille, tu l’as compris 😉

  2. Bon, autrement dit “lisez-le” !! 😀 Noté ! Merci Yvan…

  3. Je connais pas bien cet auteur mais je me souviens avoir aimé “Darwina”, un roman hybride, aventure, thriller scientifique, uchronie….Je me souviens aussi qu’il avait fallu que je m’acoche à ma lecture car ce livre est foisonnant.
    Alors merci , l’mi, car maintenant, j’en sais un peu plus. 🙂 Et ma curiosité a été récompensée 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      certains de ses livres sont plus accessibles.
      Spin et Julian sont deux chefs d’oeuvre.
      Le petit dernier n’est pas du même niveau, mais il est excellent

Rétroliens

  1. Les derniers jours du paradis – Robert-Charles Wilson | EmOtionS – Blog littéraire et musical
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