Jean-Philippe Depotte vient de sortir son dernier roman “Le chemin des dieux“, dans la magnifique collection “Lunes d’encre” des éditions Denoël.
Ce roman est une extraordinaire plongée dans le Japon d’hier et d’aujourd’hui, entre tradition et modernité. Un roman absolument magnifique, dans un veine fantastique d’une rare intelligence et d’une belle sensibilité.
L’auteur est un passionné, comme le prouve cet enthousiasmant entretien. Un grand merci à lui.
Le lien vers ma chronique du Chemin des Dieux.
L’entretien :
Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?
1. l’Intrigue (parce mon seul but est de raconter de bonnes histoires)
2. le Fantastique (parce que c’est la littérature que j’aime et que je veux faire vivre)
3. le Japon (bien sûr ! le pays, l’expérience qui a tout changé).
En 2005, je suis directeur de production d’un studio de jeux vidéo, tout va bien pour moi, je fonce droit sur la quarantaine avec un sourire satisfait. Et puis, ma femme rentre un soir à la maison avec un projet incroyable : une expatriation au Japon ! Ni une ni deux, je démissionne, je plaque tout, et nous partons en famille, avec nos deux fils, pour quatre années d’une vie merveilleuse en plein centre de Tôkyô.
Nous ne connaissons rien du Japon, nous découvrons tout. Nous découvrons un pays en apparence proche de nous mais subtilement différent. Et – oui ! – je tombe amoureux du Japon, de son esthétique, du mélange permanent de la tradition et de la modernité, des femmes en kimono sur les quais du métro, des salarymen en costume à genoux sur la paille de riz des restaurants de quartier, des vendeurs de brochettes, des cigales, des lucioles, d’un monde toujours sauvage dans un paysage urbain.
C’est au Japon que j’ai commencé à écrire mon premier roman. Et depuis ce jour, je m’étais promis de raconter une vision fantastique, mais personnelle, de la beauté du Japon. C’est ainsi qu’est né le « Chemin des dieux ».
Le roman est basé sur un certain nombre de mythologies japonaises. Comment avez-vous travaillé les recherches dans ce domaine ?
Au Japon, les dieux sont partout. Dans les cailloux, dans les rivières, dans le ciel et dans les arbres. Le Shintô est une religion animiste qui a produit une foule de créatures profondément enracinées dans la culture japonaise. Il y a Kappa – l’homme batracien, Tanuki – la raton-laveur de Pompoko, Kitsuné, Tengu, … On croise leurs statues dans les rues de Tôkyô, leurs effigies à l’entrée des restaurants, des temples leurs sont consacrés au coin des rues passantes et les offrandes des gens du quartier les garnissent, toujours fraiches du jour même. Alors, après quatre ans de vie au Japon, vous pensez bien que je connais ces créatures comme mes voisins de palier ! Au point d’avoir envie de raconter leur histoire.
Quelles ont été les « libertés » que vous vous êtes octroyées concernant ces traditions japonaises afin de les inclure dans votre histoire ?
Les mêmes libertés que j’ai prises avec l’Histoire (grand ‘H’) dans mes romans précédents. Le « chemin des dieux » est avant tout une intrigue, un mystère, un thriller. Et les dieux du japon y deviennent des personnages de fiction. Et je pense (en tout cas, c’est ma feuille de route) que le roman peut tout se permettre en ce qui concerne son intrigue, mais qu’il doit respecter le cadre dans lequel il s’inscrit. Ainsi, mes personnages vivront leur histoire le plus librement du monde, mais le décor qu’ils traverseront sera, à l’inverse, strictement fidèle à la réalité. Ma réalité. La réalité du Japon que j’ai tant aimé.
Vous insistez sur la vision animiste des japonais, assez éloignée de nos certitudes occidentales…
Depuis l’Europe, nous voyons le Japon comme un pays très structuré, très hiérarchisé, pyramidal. Et pourtant, les Japonais n’ont jamais ressenti le besoin de se doter d’un Dieu souverain, omniscient ou juge suprême. Leurs dieux, au contraire, vivent parmi eux, à leurs côtés, parmi les arbres de la forêt ou sur les bords des chemins. Ou même, et c’est ce que j’ai voulu montrer, dans ces espaces qui séparent les bâtiments, dans les rues, dans les jardins publics. Les dieux du Japon n’expliquent ni le pourquoi, ni le comment des choses. Ils sont là, sans raison, comme ils ont toujours été. Ils ne sont pas à l’image des gens, ni les gens à leur image. Ce sont de « simples » voisins d’éternité.
En parlant d’histoire, vos différents romans ont montré, qu’outre leur dimension fantastique, vous êtes un passionné d’Histoire avec un grand H…
Oui. Et le « chemin des dieux » marque donc une sorte d’exception sur mon étagère. J’adore l’Histoire, j’en lis des tombereaux, et je me suis fabriqué avec mes trois premiers romans une étiquette de littérature fantastique historique. Je l’assume complètement. Mais alors, le « chemin des dieux » fait-il vraiment exception ? Non, je ne pense pas. Et même si son intrigue est purement contemporaine, je la considère plutôt comme hors du temps. C’est d’ailleurs le thème de ce roman : au Japon, en toutes choses – du jeu de Sumô à la cérémonie du thé –, il y a l’éternité dans chaque instant.
Votre passé dans le monde des studios de jeux vidéos vous aide t-il dans votre manière d’écrire ?
Dans mon studio de jeu vidéo, je jouais le rôle du directeur de production. Cela signifie que mon job était d’organiser le travail des graphistes, des game designers et des programmeurs. Autrement dit, de savoir comment mettre en forme un fouillis créatif pour l’aider à converger vers une œuvre à peu près bien proportionnée. Dans le cadre de ce travail, j’ai donc beaucoup réfléchi et expérimenté. Et toute cette expérience m’est naturellement revenue sous les doigts quand j’ai commencé à écrire mon premier roman. Je suis quelqu’un de très organisé… Dans certains milieux artistiques, cela passe pour un défaut. Moi, je ne pense pas. On a un cerveau gauche, on a un cerveau droit, pourquoi ne pas utiliser les deux moitiés à la fois ?
Vos romans ont tous un aspect fantastique. Pourtant les précédents ont été publiés dans le catalogue grand public avant de basculer dans la catégorie SF lors de la publication en poche. Ce nouveau roman est le premier à être directement édité dans la collection spécialisée « Lunes d’encre » de Denoël…
Les libraires et les bibliothécaires, en général, ne savent pas où ranger mes romans. Romans historiques ? fantastiques ? littérature générale ? On les trouve à ces trois endroits à la fois. Et je suis très heureux comme ça. Parce que la littérature fantastique n’est justement pas une littérature de genre. Qui sont les grands auteurs de fantastique ? Stevenson, Balzac, Wilde, Maupassant, Garcia Marquez, Borges, … Les voyez-vous en rayon SF ? Le fantastique est une littérature qui parle de l’homme face à lui-même, ses démons, sa vieillesse, sa mort. Une littérature qui s’amuse à matérialiser les craintes et les mystères. Selon l’auteur, selon le lecteur, on y verra un divertissement ou une introspection.
Le reste, c’est du marketing… Il n’empêche que je suis très heureux d’être enfin publié en Lunes d’encre car Gilles Dumay, directeur de cette collection, est l’homme qui a lu mon premier manuscrit et qui lui a fait confiance. En entrant chez Lunes d’encre, je me retrouve assis aux côtés de Philip K. Dick et de Christopher Priest qui sont d’autres références tout aussi impressionnantes !
Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?
Oui, beaucoup. J’écoute toujours de la musique avant d’écrire. La musique a le pouvoir de vous plonger instantanément dans un état d’esprit, une humeur, qu’il peut être difficile de retrouver autrement. Alors, je calibre la musique en fonction de la scène à écrire. Et ça marche !
En général, j’écoute surtout du classique. Mes auteurs fétiches sont les français du XXème siècle : Poulenc, Fauré, Ravel mais j’essaie d’être le plus éclectique et souvent j’explore… Parfois aussi, j’écoute au hasard de Deezer, du Fanfarlo ou du Linkin Park… Et quand la musique est tellement prenante, elle entre dans le roman. On trouve ainsi des extraits cachés de Tom Waits dans les « Démons de Paris », les personnages du « crâne parfait de Lucien Bel » sont ceux du Faust de Gounod. Et le « Chemin des dieux » ? Il est plein des sonorités des biwas japonais et, surtout, des voix suraigües des chanteuses de J-Pop. Mais dans ce cas, je ne vais pas prétendre être un fan. J’ai beaucoup souffert en écoutant les AKB48 pour me fondre dans la peau d’un véritable otaku !
Vous avez le choix entre nous donner le mot de la fin ou nous citer votre dessert préféré…
En écrivant, je mange beaucoup (trop ?) de chocolat. Raffiné, me direz-vous. Pas vraiment : je me gave de Milka…
Catégories :Interviews littéraires, Littérature
Toujours aux avants postes ! Tu aurais dû faire journaliste, tu n’aurais manqué aucun scoop.
Tu crois que je peux me faire une fausse carte en papier journal ? 😉
Mais oui, vas-y ! Ta gouaille fera le reste.
euh…. tu pourrais me le prêter ? …..
Eh salut toi ! 🙂
Bien sur, avec plaisir !