
La novella est un exercice à part, hybride. Plus long qu’une nouvelle, généralement entre 30 et 150 pages, moins long qu’un roman, elle est un intéressant compromis pour développer histoire et personnages. Un genre malheureusement peu développé en littérature (surtout pas dans les pays francophones), l’un des spécialistes en étant Stephen King. Vous ne trouverez d’ailleurs pas le mot dans le Larousse…
Gravées en mémoire
Avec ce recueil, Adam Johnson propose six histoires, calibrées entre 35 et 65 pages, qui sont autant de moments forts qui marquent durablement l’esprit du lecteur.
On reproche souvent, à tort, à la nouvelle ou à la novella d’être frustrante et de ne pas être suffisante pour s’attacher au récit et aux protagonistes. Ces six histoires sont une preuve éclatante du contraire. A tel point que je sais, avec certitude, qu’elles resteront longtemps gravées dans ma mémoire, dans mes tripes et dans mon cœur.
Adam Johnson n’est pas un auteur prolifique. Deux romans et deux recueils de nouvelles / novellas. Mais une palanquée de prix, dont le prestigieux prix Pulitzer pour son livre La vie volée de Jun Do. Et ce recueil a été récompensé par le National Book Award.
Posons le constat immédiatement : l’écrivain a un talent fou, et de formidables dispositions de conteur qu’il met entièrement au service de ses histoires et surtout de ses personnages.
Singulier
Une plume forte et accessible, émotionnellement puissante, expressive, qui propose de nombreux dialogues, vous faisant entrer dans ces chroniques de vie dès les premières lignes. Dont il vous semble connaître les personnages depuis longtemps, une fois la lecture terminée. Du grand art, une capacité étonnante à ainsi raconter et nous faire entrer en empathie.
Et pourtant, ses protagonistes et ses histoires sont singuliers. Tous ont des particularités qui les font sortir du lot.
Étrange choix que cette couverture, qui n’est en lien avec aucune novella. Et n’imaginez pas vous retrouver dans du Nature writing parce qu’on parle de Terres d’Amérique. C’est bien le talent de l’auteur américain qui est mis en exergue, pour preuve deux des histoires se déroulent hors du pays (Allemagne et Corée du Sud), et la technologie ou des événements majeurs servent de terreau.
Hormis l’ambiance doucereuse de la novella-titre, qui se déroule entre les deux Corées, les autres sont noires.
Johnson n’est pas du genre à proposer des intrigues qui ne tiennent qu’avec la surprise finale. Au contraire, ses histoires sont davantage des tranches de vie à des moments clés, avec des fins subtiles, ouvertes et qui font réfléchir.
Malaise et empathie
Elles mettent mal à l’aise, tant les sujets sont forts, les histoires tourmentent, le ton grinçant, les personnages bouleversants. De ceux qui restent imprimés dans votre esprit, qui vous hantent, alors que vous ne les avez que peu fréquentés. Du grand art, vous dis-je.
Ces récits n’ont donc pas grand-chose à voir, dans leurs contextes. Mais on peut y retrouver des obsessions communes en lien avec la maladie, le couple, certaines formes d’amour… Des relations ou comportements dissonants mais qui résonnent pourtant terriblement juste par l’empathie de l’écriture de l’auteur.
La chance vous sourit, titre bien cynique pour des novellas aussi sombres, est un recueil dont on ne peut oublier les personnages. L’immense humanité d’Adam Johnson contrebalance cette noirceur pour proposer des fortunes diverses, de celles qui vous déchirent le cœur mais vous rapprochent irrémédiablement de l’âme de ces êtres de papier. Admirable.
(Le titre original du recueil est : Fortune smiles).
Yvan Fauth
Date de sortie : 11 mars 2020
Éditeur : Albin Michel
Genre : Nouvelles
4° de couverture
Tour à tour grinçantes, bouleversantes, drôles et déchirantes, ces six novellas offrent au lecteur une nouvelle façon de voir le monde, s’imposant chacune comme un bijou de subtilité et d’intelligence. On y croise notamment un ancien gardien de prison de la Stasi, qui reçoit devant sa porte d’étranges colis anonymes tout droit venus du passé ; deux déserteurs ayant fui la Corée du Nord et son régime totalitaire pour tenter de reconstruire leur vie à Séoul ; un homme en plein désarroi face à la grave maladie de sa femme, qui ressuscite à la vie sous forme d’avatar le président américain récemment assassiné afin de profiter de ses conseils ; ou encore un livreur UPS à la recherche de la mère de son fils de deux ans après que celle-ci a disparu en Louisiane lors du passage de l’ouragan Katrina…
Récompensé par le National Book Award, ce livre surprenant et audacieux confirme la voix singulière d’Adam Johnson, lauréat du prix Pulitzer pour La Vie volée de Jun Do, et son oeil aiguisé pour décrire le monde d’hier et d’aujourd’hui.
Catégories :Littérature
Je crois que je vais l’acheter !Ah non tiens, je l’ai déjà ! Une certaine personne avait réussi à me le faire acheter ;-). Autant dire que cette chronique me donne très envie de le lire !
Arrêtes de te laisser influencer comme ça 😉
Comme je te comprends. Les nouvelles d’Eric Emmanuel Schmidt sont encore dans ma mémoire, tant elles sont fortes. Le premier livre édité par toi sur les nouvelles par des auteurs de polars est d’une telle réussite. Je termine là le premier. Pour celui-ci, tu me tentes. Une nouvelle, c’est court et le talent s’exprime ou dans la chute ou dans cette concision d’en faire une grande histoire avec les mots nécessaires. Merci. Une fois de plus je me sens prise en otage par les mots de cette chronique. 👏👏👏
Un auteur que je ne connaissais pas. Mais que ton billet donne effectivement très envie de découvrir !! Je note (un de plus…)
L’art de faire des chroniques existe! Un jour tu me feras lire l’annuaire!!! lol
Tout fait d’accord, c’est un livre à lire ! Les nouvelles sont formidablement bien écrites ! Un auteur à suivre .