Interview littéraire 2016 – Misha Halden

Avec La viande des chiens, le sang des loups, Misha Halden propose un roman qui ne peut laisser de marbre. Des personnages qui ne peuvent laisser indifférent. Le tout mis en scène par un écriture qui ne peut laisser insensible.

Cette écriture m’a chamboulé. Il y a longtemps que je n’avais pas lu un roman noir aussi étonnant, avec une écriture aussi personnelle. Cela valait bien une interview.

(copyright des photos : Melania Avanzato)

Lien vers ma chronique du roman

Merci d’avoir accepté mon invitation à la discussion. Avant de commencer, qu’est-ce-que je vous sers à boire ?

Merci à vous de m’avoir invité. À boire, et bien… un café, de préférence un peu froid et lyophilisé. Et tenu fiévreusement dans la main pour ne pas que les chats le renversent, c’est la mode de la maison en ce moment.

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?

C’est dur. Passionné, entier, gentil.

On vous connaissait jusqu’à présent sous le nom de Justine Niogret et dans des univers en lien avec la SF et la fantasy. Pourquoi cette envie de vous frotter au roman noir, et de prendre un pseudo au passage ?

J’ai fini par me rendre compte que je n’écrivais que des romans noirs, sous couvert d’historique ou de post-apocalyptique. J’aime l’idée d’écrire dans le but de perdre les différentes « peaux » qui cachent ce qu’on a à dire, au fond. Aller de plus en plus droit dans le discours. Alors j’ai voulu faire du roman noir sans cachette pour planquer ce que je n’osais pas encore vraiment dire.

Et puis j’avais aussi la forte impression d’avoir écrit ce que j’avais à écrire dans la SFFF. Que réécrire un livre dans ces univers serait une répétition de ma part. Il fallait quelque chose de neuf, pour moi, en tant qu’auteur.

Les deux noms différents, c’est pour non seulement bien faire cette différence, mais aussi parce que le premier est féminin, et que pour mes deux derniers livres sous Niogret, quasi toutes les questions tournaient autour de mon écriture « masculine », mes passions « masculines », mes personnages « masculins », bref, les entretiens n’étaient souvent qu’une liste d’étonnements divers et variés tournant autour de ma virilité. On ne parlait pas du livre, du texte ou de n’importe quoi d’un peu intéressant. Autant faire sauter cette partie des échanges, que je juge profondément vide, quand tout un entretien tourne autour.

Pourquoi le nom de Misha Halden, au fait. Ce nom a une histoire ?

Pas vraiment, à part celle construite avec mon éditrice. Nous voulions un nom à consonance scandinave, parce qu’il fait toujours froid dans mes livres, et un prénom agenre.

Passons au plat. Si vous aviez le choix, qu’aimeriez-vous manger là, tout de suite ?

Un fromage de cajou rôti. Cent grammes de cajous, 3 cuillères à soupe d’eau, du sel, le jus d’un citron, on mixe. On peut ajouter du miso, de la levure maltée, du piment, ou ce qu’on veut, en fait, dans le bol du mixer. On met dans un moule huilé, on passe un pinceau trempé dans l’huile d’olive sur le fromage, on passe vingt minutes au four à 170 degrés.

La Viande des Chiens, le Sang des Loups, voilà un titre intriguant. Sans en dire trop, il s’est rapidement imposé à vous ?

Oui. Mes titres viennent vite en général, et ils viennent tôt dans l’histoire du livre, ils sont une sorte de résumé de ce que je veux y mettre.

J’aime presque tous les stades d’écriture et d’édition, mais trouver le titre et raturer mille fois, c’est vraiment un de mes passages favoris.

C’est le récit de personnages qui ne trouvent pas leurs places dans la société ou refusent la place qu’on veut leur imposer. Une manière aussi de parler du droit à la différence ?

Sans doute. Je pense d’ailleurs que ça n’est pas un droit à la différence ; on est tous différent, l’important est aussi d’imposer cette différence. Ne pas s’excuser d’exister, d’être ce qu’on est.

Ça n’empêche pas de se travailler au corps quand on est un gros con, mais ne pas passer sous silence son propre caractère, ses caractéristiques et ses besoins.

Après, les gens prennent, ou pas, qui on est. Et on prend, ou pas, les gens tels qu’ils sont. Et c’est très bien. Arrêter de faire des compromis pour ne pas se confronter au monde.

La violence tout autant que les émotions positives sont exacerbées dans ce récit…

Je ne suis pas quelqu’un de tiède. J’ai beaucoup de mal avec la tiédeur. Je pense que c’est aussi pour ça que j’ai écrit longtemps dans un cadre historique ; ça permet souvent d’aborder des thèmes et des sentiments bien plus francs et entiers que dans un livre « moderne ». Il y a la place pour les passions et les caractères violents, pour les gens qui sont des blocs entiers de quelque chose.

Ma violence à moi ne tient pas dans un quotidien « classique », la tiédeur me fait mal, les compromis me blessent, et qu’on me demande de ne plus être moi, pour le confort des autres, m’angoisse et me choque. Je ne m’impose à personne, d’ailleurs on ouvre mes livres si on en a envie, et on les referme si on les juge chiants. Qu’on fasse pareil avec moi.

Étonnement, j’ai senti l’influence des romans de l’Imaginaire dans la construction et l’ambiance du roman, alors qu’il est pourtant totalement ancré dans le réel…

Oui, on en a beaucoup parlé avec mon éditrice. On s’est demandé si j’étais en train d’écrire un roman fantasy sous couvert de réalité, ou bien si même en écrivant dans le réel il me restait un goût pour faire du conte noir, du symbolisme violent, parler de viande comme on en parle dans la forêt devant une carcasse. Je pense que c’est la seconde solution.

On aime ou on aime pas ce que je fais, mais ça reste de la tripe crue. Je pense que c’est ça qui donne cette couleur de conte et d’histoire qu’on raconte dans une maison sans lumière. Ça et les animaux, le totémisme, il y en a toujours beaucoup dans ce que j’écris.

Certains passages sont l’occasion pour les personnages de se lancer dans quelques diatribes bien enlevées. C’est votre côté anticonformiste ?

Je ne sais pas si je suis anticonformiste. J’ai l’impression qu’on l’est souvent par réaction à une norme, justement, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

J’espère ne pas me soucier de la norme parce qu’elle est définie comme norme ; juste faire ce qui me semble bien, quoi qu’en pense la société sur le moment.

Je pense que la société, quelle qu’elle soit, ne peut répondre qu’à certains types de questions, et restent sur le carreau tous les gens qui s’en posent d’autres. Je pense faire partie de ceux-là sur pas mal de points.

Ce qui frappe dans ce roman, c’est l’exceptionnel soin apporté à l’écriture. C’est ce qui fait la personnalité d’un écrivain ?

Je ne sais pas. Aucun livre ne peut plaire ou déplaire à tout le monde. On cherche tous des choses différentes dans les livres qu’on choisit.

J’aime écrire, l’acte d’écrire, le rapport avec les mots. Je parle tout seul quand j’écris, d’ailleurs, c’est comme une chanson. C’est ce qui me touche en premier, avant l’histoire ou les rebondissements.

Votre avenir littéraire, c’est Misha Halden maintenant ?

On verra bien. Je pense que j’ai clairement tourné une page, en tous cas. Comme je vous le disais, j’avais besoin de neuf, et aussi de me frotter à de nouveaux défis, nouvelle façon d’écrire, nouveau rapport avec l’édition, nouvelles rencontres.

Je fais partie de ces crétins qui finissent mangés par les loups à force d’aller voir ce qui se cache derrière la colline, là-bas, celle après les quarante-sept collines qu’ils ont déjà dépassées. Dans le travail en tous cas, j’estime ne jamais être arrivé.

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique tient-elle une place dans votre processus créatif ?

Je travaille dans le silence, je ne supporte pas le bruit ou la musique pendant que j’écris.

Mais mes anciens livres ont tous des citations de chansons, des paroles, le texte a toujours été lié à plusieurs chansons que j’aime. Mais ça fait plusieurs années que je laisse la musique derrière moi, c’est triste.

Et pour terminer, je vous invite à choisir votre dessert préféré…

Une pomme. Une pomme rouge et un peu acidulée, qui croque, toute froide encore de son arbre.

Misha Halden



Catégories :Interviews littéraires

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9 réponses

  1. J’ai rien compris au plat principal mais le roman m’appelle en criant très fort ☺

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      t’as les oreilles qui sifflent ? 😉

  2. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Rhaaaa qu’elle me plait cette Misha Halden. J’étais déjà grande fan de Justine Niogret !
    Il va falloir compter sur elle a présent dans notre petit univers du polar. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oh une oui ! Une future grande du roman noir, elle en a le potentiel

  3. Ah ça elle est loin d’être tiède, la dame ! Moi j’adore les gens cash et elle, elle l’est !! Elle me plaît bien tiens !!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Eheh, comme tu le dis, elle est directe. Et quel talent !

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