Interview littéraire 2014 – Antonin Varenne

Antonin Varenne vient de sortir un roman absolument magistral, un magnifique et sombre bijou : Trois mille chevaux vapeur.

Ce roman d’aventure et son étonnant personnage principal me restent encore en mémoire, longtemps après avoir tourné la dernière page. Proposer à l’auteur de venir nous en parler était donc indispensable pour moi ;-).

Je découvre l’auteur avec ce roman, j’ai eu la chance d’échanger à son sujet avec lui durant le salon Quais du Polar 2014. Je sais maintenant avec certitude que je suivrai Antonin Varenne, où qu’il m’emmène à travers ses livres.

Un immense merci à lui pour avoir accepté cet entretien.

Ma chronique de Trois mille chevaux vapeur

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?

À la campagne.

Vous êtes un baroudeur, comment cela se traduit-il dans vos récits ?

Baroudeur, n’exagérons pas. Je ne suis pas grand reporter de guerre et je n’ai jamais crevé de soif dans un désert. J’ai voyagé à une époque de ma vie où j’avais le temps de le faire, puis un peu pour travailler, puis pour des raisons familiales entre la France et les USA. Finalement, c’est dans Trois mille chevaux vapeur que j’ai pour la première fois utilisé des souvenirs et des images de mes voyages.


Comment définiriez-vous votre nouveau roman,
trois mille chevaux vapeur et comment en êtes-vous arrivé à raconter ce genre d’histoire ?

C’est un roman d’aventure, dans lequel je ne me suis refusé aucun plaisir, pas de problème de budget pour un livre ! Donc bataille navale, traversée du Londres de 1858, puis des Etats-Unis pendant la conquête de l’Ouest.

L’idée première était d’écrire un western, de changer d’horizon. Finalement, des thèmes déjà présents dans mes autres livres ont resurgi, même à une autre époque ; comme la figure du vétéran, les violences et les traumatismes de la guerre.

Finalement, ce qui a donné son fond et son ton au livre, au-delà de l’aventure, c’était le thème de « la traversée d’un siècle », et donc à cette époque, 1850, de la naissance de la modernité, l’âge de la révolution industrielle.

Votre personnage principal est d’une incroyable complexité, loin d’être un gars sympathique au début du roman (plutôt le genre brute épaisse)…

Pour porter ces thèmes légèrement ambitieux (!), il me fallait un type avec des épaules solides… Bowman n’est pas un tendre, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est en fait le produit de son temps (celui de la Compagnie des Indes du 19e siècle), de son milieu social (la misère de Londres), de ses choix et de sa résistance physique (il s’embarque pour la guerre à 14 ans).

L’idée était de choisir un homme qui incarnait la violence de son époque, un parfait soldat qui ne remet pas les ordres en question, doué d’un sens de la survie monstrueux. Arthur Bowman, comme personnage et comme support d’écriture, est un outil solide, sur lequel je pouvais compter bien que moralement, au début de l’histoire, il soit un type peu recommandable.

Cette histoire est davantage qu’un récit historique, c’est aussi une quête personnelle…

Comme « outil », Bowman est d’abord utile et performant (quand il sert les objectifs de la Compagnie), puis un outil cassé et délaissé (à son retour à Londres après les horreurs qu’il affronte dans la jungle birmane). Quand la Compagnie des Indes britannique disparaît en 1859, en quelque sorte Bowman disparaît avec elle, il en devient le fantôme. Il est alors proche de la mort, symbolique et physique ; il se détruit à l’alcool et à l’opium. Mais il y a quelque chose qui refuse de mourir en lui. Toujours cet instinct de survie. Seulement, dans ce monde changé, il n’a plus sa place.

Si c’est un hasard (un crime, pas tout à fait hasardeux d’ailleurs…), qui le met sur la voie d’une nouvelle vie, il est loin de se douter du voyage qui l’attend. Un voyage qui fera de lui, au bout du compte, un outil de résistance au monde qu’il aidait à bâtir en tant que soldat. Bowman va se construire une conscience, et aussi, durant cette transformation, rencontrer l’amour. En poursuivant un assassin venu de son passé, Bowman enquête sur ses propres crimes. Trouver le coupable, c’est se juger lui-même. Alexandra, la femme qu’il rencontre, le dit en ces termes : « Vous ne savez pas encore si vous cherchez une vie ou une mort honorable ».

Une telle immersion dans le monde du 19° siècle a dû vous demander pas mal de travail de recherches (entre la Birmanie, Londres et l’Amérique naissante). Comment avez-vous procédé ?

Par accumulation, hasards et envies. Parfois une petite info trouvée sur internet m’a amené à lire des livres complets sur différents sujets. J’ai même parcouru une thèse de doctorat sur la naissance de « l’hygiénisme » et de la santé publique, après avoir découvert cet épisode incroyable de la « grande puanteur » de Londres.

Puis j’ai découvert que le premier exposé de Darwin sur sa théorie de l’évolution avait été fait pendant cette grande puanteur : j’ai ressorti mon exemplaire de la théorie de l’évolution, qui prenait la poussière sur mes étagères depuis plus de quinze ans…

Howard Zinn, historien américain, m’a beaucoup inspiré. Son histoire des USA va de Christophe Colomb au 21e siècle, mais cela permet d’avoir en tête une vision plus large, de dégager des perspectives et ensuite, en se focalisant sur le 19e, de choisir avec plus d’acuité et de précision les éléments de décors. Par exemple, pour une arrivée à New York, plutôt que l’image connue des immigrés débarquant à Ellis Island, de choisir une manifestation d’ouvrières du textile.

Vous vous êtes clairement éloigné du polar traditionnel avec ce nouveau roman. Envie passagère ou réelle évolution de votre carrière ?

Carrière, c’est un mot inquiétant, qui supposerait un plan et même des contraintes… Je ne vais tout de même pas m’imposer des contraintes ; quant à un plan, je n’en ai pas. Ce livre était d’abord une envie. M’éloigner du polar n’est pas un choix, ce n’est pas non plus une rupture radicale : de nombreux éléments de ce genre sont toujours présent dans Trois mille chevaux vapeur. Certes, c’est une expérience qui me donne des idées. Ce livre était un tel plaisir, je ne vais pas me priver de continuer. D’ailleurs, sa fin positive autorise même l’idée d’une suite, d’un prolongement.

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique tient une vraie place dans votre roman. Quelle part prend-elle dans votre processus créatif ?

Une chanson, que j’ai écoutée en boucle, parfois des heures : European Cowboy, du chanteur belge Arno. J’avais même imaginé un moment que ce pourrait être le titre du livre. C’est une chanson puissante, qui m’aidait à remettre Arthur Bowman en selle quand il tombait à terre une nouvelle fois.

A partir du moment où Bowman découvre la lecture, puis l’écriture, qu’il entame sa rencontre avec lui-même, j’ai beaucoup écouté la bande originale de « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », composée par Nick Cave et Warren Ellis. Je n’écoute pas souvent de musique en écrivant, mais il arrive que des musiques deviennent des guides pour une histoire, une source à laquelle on revient pour ne pas perdre l’intuition première.

Vous avez le choix entre nous donner le mot de la fin ou votre dessert préféré…

J’ai une sérieuse accoutumance aux sucreries à base de gélatine et de colorants, mais ce n’est pas digne d’un dessert. Donc je terminerai par ce qui pourrait être la première phrase, après Trois mile chevaux vapeur.

Le vieux Ferguson était mort depuis longtemps, mais continuait à vivre dans son fils ; quand il buvait, quand il regardait une femme, qu’il éperonnait un cheval ou chargeait une arme…  



Catégories :Interviews littéraires

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13 réponses

  1. Cette interview confirme une chose : je le commence très bientôt ! 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Roman idéal pour les vacances 😉

  2. J’ai son dernier livre que j’ai eu également au Salon du Livre de Paris (on a dû s’y croiser !), et maintenant je suis vraiment trèèès impatiente de m’y mettre 🙂 !!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Non je n’étais pas au salon de Paris. Content si l’auteur t’a donné envie de te plonger vite dans son bouquin 😉

  3. Cette interview et ton enthousiasme ne peuvent que nous donner l’envie de nous plonger dans ce livre … A rajouter à ma pal et à lire très bientôt…. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Chouette alors 😉 oh oui je vais le défendre ce bouquin et en parler tant que je peux

  4. Rhâââ, encore une lecture que je veux faire !! tu m’énerves, mais tu m’énerves ! 😀

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      D’abord on dit bonjour et après on dit “tu m’énerves” 😉

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