1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre. 5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.
Michaël Mention
Titre : …Et justice pour tous
Sortie : 09 septembre 2015
Éditeur : Rivages / Noir
Lien vers ma chronique du roman
…Et justice pour tous est donc le troisième roman de ta trilogie anglaise. Un roman (noir) cette fois-ci contemporain…
En effet, mais je ne traite du présent que pour mieux évoquer le passé. Ce troisième volet est un retour au premier, Sale temps pour le pays, un nouveau regard sur mon rapport au récit. Je voulais travailler sur la mémoire, la renaissance des individus et des villes. J’aime « tordre » les époques et les identités pour voir ce qui en découle.
À mon sens, la citation de Conrad en préface du roman résume parfaitement ce qu’est la vie :
“C’est un drôle de chose que la vie, ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile.”
Aujourd’hui, je suis là et j’écris. Demain, je serai mort et je n’écrirai plus. C’est aussi con que ça. Et c’est précisément cet aspect « con » que j’aime traiter, cet éphémère qui nous émancipe et nous frustre.
J’aime écrire sur la notion de limite, l’abrupt, le vertige car c’est dans ces moments que tout se joue. Comme dans les non-dits, les regards entre Clarence et Ann lorsqu’ils sont dans leur cuisine.
Avec Jeudi noir, ce roman est celui dans lequel j’ai le plus travaillé ces aspects-là : confronter Mark à son âge, à son incapacité à s’assumer a été une expérience intéressante. J’espère qu’elle le sera pour les lecteurs.
Tu touches à des sujets hyper-sensibles à travers cette histoire, tout comme tu développes ton intrigue à travers la thématique de la vengeance. C’est super casse-gueule et le risque de ne pas trouver la bonne mesure était sans doute présent durant ton écriture. Tu t’es posé beaucoup de questions à ce sujet ?
Comme toujours, quel que soit le thème. Je m’interroge tous les jours au boulot et dans l’écriture, que j’écrive sur les médias, sur un tueur en série ou autre. En ce moment, j’écris sur l’Australie et je ne me suis jamais autant posé de questions quant à mes personnages : leur quotidien, leur rapport au temps et à l’espace, leur légitimité à faire tel ou tel truc. Ça m’obsède tellement qu’en ce moment, je me réveille souvent vers 4 heures et je m’y remets, histoire de partir au boulot avec l’esprit tranquille.
Pour …Et justice pour tous, l’essentiel de la première partie vient d’un bouquin que j’avais écrit il y a une dizaine d’années. Je racontais le déclin d’un quinqua licencié qui basculait dans l’alcoolisme et se retrouvait en possession d’un flingue. La suite du bouquin était trop faible, pas maîtrisée, et je l’avais abandonné.
Puis, l’idée m’est venu de créer un Mark Burstyn de 72 ans, brisé et enlisé dans son passé. J’ai donc raccordé ces anciennes pages au néant de Mark, notamment le passage où il fait cuire ses saucisses et part dans un délire sur le pouvoir… J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce moment, que j’espère ridicule et poignant à la fois.
En ce qui concerne la vengeance, j’ai eu conscience dès le début que Clarence et Mark ne devaient en aucun cas jouir de leurs actes. Ils sont ou ont été des flics, ce qui induisait un conflit entre leur dévotion envers la loi et leur brutalité. Le récit nécessitait un glissement vers l’animalité, en mariant spontanéité et retenue.
Je tenais à la même précision pour Janice et Liam, que je ne voulais pas réduire à leurs identités sexuelles. Janice, avant d’être une femme, est avant tout une journaliste vicieuse et Liam, avant d’être gay, est un flic. On voit trop dans tel ou tel bouquin des personnages incarner une cause, genre « je suis le gay de l’histoire, je suis donc militant etc ».
Bref, j’ai peaufiné jusqu’au bout certains passages. Et là, je peux te certifier qu’un mot différent ou une phrase reformulée changent tout. Lorsqu’on en était aux dernières épreuves, une personne chez Rivages m’a dit que – selon elle – Mark se mettait à tuer « un peu trop facilement », qu’il semblait se faire à cette idée sans trop culpabiliser. Alors, j’ai repris le chapitre, j’ai étiré le passage en question pour faire émerger des nuances qui m’apparaissent aujourd’hui essentielles. Du coup, j’ai réimprimé tous les passages où les personnages passent à l’acte, pour les isoler et mieux faire apparaître le crescendo.
Une fois de plus tu m’as époustouflé par ton travail en terme d’écriture, toujours à la recherche d’un rythme et d’une construction qui sont maintenant ta marque de fabrique. Comment travailles-tu cette écriture ? C’est naturel ou est-ce-que tu soupèses chaque mot ?
Je la travaille de plus en plus. Depuis Adieu demain, je teste des choses, je fais ma « cuisine » en essayant de bousculer mes codes. Au quotidien, j’ai peur de m’encroûter dans la routine, dans le confort, alors je me mets en danger en permanence. Je viens de retrouver un job et j’ai donc intégré une nouvelle équipe, ce qui – pour un timide comme moi – est une épreuve. C’est déstabilisant au début mais, au final, ce stress est assez grisant. Surtout lorsque les gens rencontrés s’avèrent être sains et cools.
Eh bien, j’écris de la même manière, en me confrontant au sujet. Ecrire sur les seventies ? Sur le foot ? Sur l’Australie ? Jamais fait, alors j’y vais, on verra bien.
Du coup, je traque le « mot ultime », celui qui me permettra d’être au plus près de l’instant, de l’émotion visée. Je ne peux pas me contenter d’un mot « suffisant », l’un de ceux issus d’un premier jet et qu’on laisse par flemme, du genre « ça suffira au lecteur ».
Quand t’as la prétention de t’adresser aux gens, que ces mêmes gens claquent vingt euros pour ton bouquin, tu te dois d’être perfectionniste. C’est une question de respect. Récemment, dans mon roman en cours, j’ai passé trois heures sur une idée toute simple, je n’arrivais pas à la verbaliser et ça m’a rendu fou, j’en ai eu les larmes aux yeux. Et finalement, j’ai trouvé. À peine quatre mots, qui correspondent enfin à ce que je voulais signifier.
Toute ta trilogie (et donc ce livre aussi) est une peinture de la société anglaise à travers la situation économique et sociale, mais aussi la musique par exemple. Comment fonctionnes-tu concernant ton travail de recherches ?
Pour me lancer, j’ai besoin de certains critères : un cadre unique, un contexte fort, une culture spécifique. Si l’un de ces critères manque, je n’y vais pas, car je n’y crois pas suffisamment. Pour Fils de Sam, j’avais à traiter l’essor d’un homme et le déclin d’un pays. Pour Le carnaval des hyènes, c’était la critique des médias et l’espionnage…
Le meilleur exemple de ma démarche est Jeudi Noir, qui cristallise toutes mes envies d’écriture : le match France-RFA de 82 était un sujet en or, incroyablement riche, qui combinaient tout : l’époque, la politique, l’effort, l’émotion, l’esprit, la chair, la culture… Ce bouquin me manque car je m’y suis pleinement épanoui.
Et cette fois-ci, le fait que ce troisième volet se déroule en 2013 m’a ouvert plusieurs portes : …Et justice pour tous est plus un bouquin sur le temps, la mémoire, la culpabilité, que sur les crimes pédophiles. Ils ne sont qu’un prétexte pour exhumer ce que mes personnages contenaient jusqu’ici, depuis quarante ans.
Je trouve qu’à chaque roman tu te lâches davantage et que tu as encore atteint un nouveau sommet avec ce roman qui est d’une émotion à fleur de peau (j’ai eu des frissons durant ma lecture)…
Je me lâche davantage, car je suis de plus en plus irrité par notre époque. Chaque jour, un nouveau « buzz », une nouvelle fausse polémique… C’est devenu oppressant. Beaucoup s’indignent, manifestent, puis rentrent chez eux en attendant de s’indigner à nouveau pour manifester encore. Les médias aiment les symboles, ils nous avaient fait le coup avec les « Roméo et Juliette de Bosnie », ils nous refont le coup avec « L’enfant sacrifié mort noyé »… La mort de ce gamin est terrible, mais des gamins, il en meurt tous les jours et ça fait des années qu’on ne fait rien, car il n’y a rien à faire : tout se décide en haut-lieu ou plutôt rien ne se fait en haut-lieu.
Bref, tout ça est abject et la récupération par les politiciens et les réseaux dits sociaux est à vomir. Alors oui, face à tout ce bordel, toute cette vulgarité, je me fais une petite place en espérant qu’on ne vienne pas m’emmerder, ni me dire ce que je suis censé pleurer quand et comment.
À travers mes bouquins, j’essaie de mettre de l’humanité et de l’émotion là où – à mon sens – il n’y en a plus. J’ai le sentiment que notre monde est comme une plaine, totalement lisse, où l’on ne peut même plus raconter une blague sans être taxé de misogynie ou d’homophobie… Eh bien, cette plaine, je la laboure et ça me fait bien marrer.
Copyright photo : Pauline Drey
Catégories :Interviews littéraires
Une merveilleuse interview qui me donne vraiment envie de découvrir l’auteur 🙂
D’ailleurs c’est fait, j’ai acheté “Sale temps pour le pays” 😉
eheh le début d’une histoire peut être 😉
Je nous le souhaite 😉
tiens moi au courant régulièrement de l’évolution de votre rencontre 😉
Bien évidemment 😉
Bonne lecture David 😉 Et bravo à Yvan et Michaël pour cette chouette interview !
merci Fredo, mais c’est Michaël qui a fait tout le boulot 😉
Très chouette interview, et qui donne plus envie de connaître la suite de son œuvre, qui pour ma part se limite à Sale temps pour le pays et Adieu demain. A poursuivre donc, pour mon plus grand plaisir…
Putain, j’adore lire cet auteur, écouter ce mec qui ne dit pas des conneries comme la plupart que j’entends autour de moi. Il est des jours où je mettrais bien des boules quies dans mes esgourdes.
“qu’on ne vienne pas m’emmerder, ni me dire ce que je suis censé pleurer quand et comment” là, je plussoie, j’ai eu mal pour cet enfant la tête dans l’eau, mais des milliers sont morts et tout le monde ou presque s’en branle. Je n’aime pas non plus qu’on me dise ce que je dois aimer ou pas, ce que je dois penser ou pas penser.
Lire cet article avec dans les oreilles un best off des musiques western d’Ennio Morricone a ajouté un petit truc… la petite musique de la boite à musique de “et pour quelques dollars de plus” a donné les frissons.
je suis certain que ton commentaire lui fera sacrément plaisir s’il tombe dessus !
Pourvu qu’il ne se fasse pas mal en tombant dessus… ;-))
C’est vrai que tu es piquante parfois 😉
Mon côté cactus, sans doute…
ça doit être ça 😉
et Kissifrott Sipik !
J’adore les Rivages noir et ton interview est géniale : il me faut ce livre ! 😀
oui mille fois oui il te le faut !
J’aime la profondeur qui se dégage de ces mots. Ca me donne très envie de lire Le carnaval des hyènes ainsi que ce nouvel opus!
tu sais combien je vais être impatient et curieux de ton avis, tout particulièrement 😉
ouep je sais 🙂
je ne l’ai pas encore acheté, va falloir attendre un peu, mais il est sur ma liste 🙂
Cette interview est tout bonnement de la bombe. Merci les gars, vous faites une sacré équipe. J’ai pas encore lu ce dernier opus, mais vu que la trilogie monte en puissance, je sens q’une nouvelle fois je ne vais pas être déçue.
Michaël est un putain d’auteur. Un génie , tout ce qu’il touche se transforme en pépite. C’est aussi un bosseur et un perfectionniste, ça c’est tout à son honneur.
Merci encore messieurs. 🙂