Interview littéraire 2014 – Caroline Berg, traductrice

Je poursuis mes entretiens en rapport avec les différents métiers du livre pour mettre une nouvelle fois en lumière un maillon essentiel de la chaîne : le métier de traducteur.

Caroline Berg traduit des romans venant de Scandinavie. C’est la traductrice attitrée des romans de Jussi Adler-Olsen, entre autre.

Le nouveau roman de l’auteur sortant le 02 janvier 2015 (“L’effet papillon”), voilà une belle occasion de mettre en lumière celle qui nous fait découvrir les aventures du Département V en français. Ceux qui connaissent les thrillers d’Adler-Olsen sentent sans aucun doute comme moi à quel point la qualité de leur traduction participe au grand succès de cette série policière.

Photo : PY Gellibert

Comment définiriez-vous votre métier de traductrice ?

Avoir le privilège d’être le passeur qui transmet les mots d’un auteur à un public qu’il ne peut pas lui-même atteindre.

Hasard ou envie ? Comment en arrive-t-on à la traduction ?

J’ai toujours voulu traduire. Je pensais au départ à la traduction simultanée. Je voulais entrer à l’Organisation Mondiale de la Santé.

Ma passion pour la lecture m’a fait dévier vers la traduction littéraire.

En tant que traductrice, avez-vous l’impression de participer à la découverte de la culture scandinave et danoise à travers votre travail ?

Absolument. Voir réponse n° 1

Avez-vous une méthode bien rodée et si oui laquelle ?

Je m’impose un quota de pages dont je ne déroge jamais. En général entre 6 et 8 par jour en fonction de la difficulté du roman. Un livre de 600 pages me prend environ trois mois pour le premier jet. 

Ensuite je corrige et je remets en forme environ 20 pages par jour pour donner au roman sa forme définitive. Enfin, je passe un jour ou deux à corriger la mise en page avant de remettre la traduction à l’éditeur.

En tout, en moyenne 4 mois de travail. Je travaille sur une base de 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Je me constitue un petit stock de « RTT » en augmentant le nombre de pages par jour quand je suis très tranquille (enfants en vacances) ou très inspirée par un passage ou un autre… Ces RTT me permettent de faire face aux aléas…

Vous permettez-vous de vous éloigner de la traduction littérale pour vous rapprocher davantage du sens ? En d’autres termes, quelle est la part de création dans une bonne traduction ?

Je m’éloigne souvent de la traduction littérale ne serait-ce que pour restituer certains passages humoristiques, jeux de mots, etc.

C’est important que le passage reste amusant, et les jeux de mots, poèmes et autres références sont en général « lost in translation »

C’est la partie la plus difficile et la plus amusante de ce métier. On devient « auteur » le temps de quelques lignes.

En général, êtes-vous en contact avec l’auteur durant la phase de traduction ?

Non, rarement. Je les rencontre parfois quand ils viennent chercher leurs prix littéraires en France.

La série de thrillers de Jussi Adler-Osen concernant le Département V rencontre en énorme succès en France. L’auteur me disait lors de l’interview qu’il m’a consacré en 2014 qu’il le devait en partie à sa traductrice attitrée. A votre sens, quelle part prend la traduction dans le succès d’un livre ?

Le talent d’un traducteur est de savoir se faire oublier. De donner l’impression au lecteur que le roman a été écrit en français au départ.

Les romans d’Adler-Olsen mélangent différents tons et couleurs. Comment travaillez-vous cette aspect des choses ?

Sur ce plan-là, il me suffit de visualiser les situations pour rester dans l’atmosphère voulue par l’auteur. Avec JAO (Jussi Adler-Olsen), c’est facile.

Son écriture est très cinématographique. Je suis une ancienne comédienne. J’ai besoin que les mots et les images sonnent juste.

L’humour de d’Adler-Olsen est assez personnel. Est-il compliqué de le transposer en français ?

Parfois.

 Il y a sûrement des subtilités qui m’échappent. Le moins possible, j’espère.

Assad est un personnage singulier et attachant, avec un phrasé bien à lui. Votre approche de ce personnage est-elle différente ?

Je ne suis pas totalement satisfaite de la façon dont le langage d’Assad a progressé dans la version française. Je trouve que le vocabulaire est devenu trop riche, trop vite.

Mais le personnage est un grand simulateur. On peut à la rigueur penser qu’il faisait aussi semblant de mal parler danois. Nous allons découvrir au fil des romans suivants qui il est réellement.

La série regroupant les aventures du Département V devrait être constituée de 10 romans. “L’effet papillon” qui sort en janvier 2015 en est le cinquième. En tant que traductrice, vous attachez-vous aux personnages à force de les côtoyer ?

Je les attends chaque année comme des amis qu’on ne retrouverait que quatre mois par an. C’est très agréable.

En général, je passe l’été avec eux.

Depuis quelques années déferlent de nombreux romans policiers scandinaves. Comment définiriez-vous le ton si particulier de ces romans ?

Je crois surtout qu’en Scandinavie, le genre est moins « boudé » qu’en France par les « intellectuels ».

Et aussi que souvent, le crime et l’enquête, ou dans le cas de JAO le suspense, sont mêlés d’analyse sociale chez les auteurs de ce qu’on appelle « polar »

Dans le cas de JAO, c’est le mélange entre l’horreur et le rire qui fonctionne. L’engagement de l’auteur aussi qui dénonce les aspects les plus noirs de son pays sans complaisance mais avec humour.

Comment évolue le métier actuellement ? Peut-on dire que les traductions sont meilleures que par le passé ?

Je ne saurais le dire. Nous travaillons chacun dans notre coin. Et j’avoue que je ne lis que rarement une traduction.

Duong Thu Huong, Haruki Murakami et Sofi Oksanen sont les seules dont je me souvienne ces dernières années.

Quels sont vos prochains projets ?

Je viens de terminer la traduction d’un roman d’Aasa Larsson à paraître chez Albin Michel au printemps je pense, peut-être sera-t-il intitulé “Piste noire”.

J’aime infiniment cette auteure à qui je prédis un immense succès en France. Anne Michel est une talentueuse éditrice et parfois il faut un peu de temps pour qu’un auteur trouve son public. Je vous recommande le précédent titre d’Aasa Larsson, traduit du suédois, intitulé “Le sang versé”.

En 2015 :

Le prochain JAO. Dont le titre provisoire est “L’extrémiste”. Le département V enquête sur la mort d’une jeune fille percutée par une voiture il y a 25 ans sur l’île de Bornholm. L’enquête les entraîne dans le monde des adorateurs du soleil. C’est du grand Jussi.

Puis chez Héloïse D’Ormesson la suite de l’Héritère de Hanne Vibeke Holst, roman paru en octobre. L’histoire d’une femme qui entre au gouvernement et qui essaye en même temps de faire tenir son mariage. C’est le roman qui a inspiré la série Borgen.

Le suivant raconte sa lente ascension au pouvoir et s’appellera peut-être “La chute d’un roi”. 

Et pour finir le nouveau roman de Steffen Jacobsen dont j’avais traduit “Trophée” aux éditions Télémaque, un roman très noir. Le prochain s’appellera peut-être “Œil pour Œil” et il parle de Jihad par les armes et commence par un attentat terroriste dans le parc d’attractions de Tivoli.

                                                       

En 2016 :

Un Jussi Adler Olsen et le troisième roman de la série chez Héloïse d’Ormesson prévus pour le moment.



Catégories :Interviews littéraires

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23 réponses

  1. figure toi que je n’ai pas encore lu JAO, non que ca ne m’intéressait pas, mais j’attendais de les avoir tous en poche pour les lire. J’imaginais naïvement qu’il n’y en aurait que 3 ou 4 . Or j’apprends qu’il y en aura 10 !!! je vais peut être pas attendre 5 ans avant de commencer à lire cet auteur 🙂 En tout cas belle initiative que de t’intéresser au travail du traducteur. C’est vrai qu’ils restent dans l’ombre or de leur travail dépend la perception qu’un lecteur a d’un livre et d’un auteur ! Amitiés

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      eheh va ptet falloir commencer avant d’être trop vieux 😉
      J’ai un immense respect pour le travail des traducteurs (fourmis ouvrière comme me le disais Caroline Berg dans nos échanges).
      Encore davantage avec des auteurs comme Adler-Olsen qui mélangent les genres et les tons. pas facile de traduire l’humour danois ;-).
      Oui tu devrais essayer, l’auteur arrive à faire du thriller lent avec les ingrédients du bon polar (contexte social et politique avec quelques boulets rouges envoyés, personnages très travaillés…)

  2. Encore une interview très interressante!!!!;)

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui je trouve aussi, c’est passionnant d’échanger avec des professionnels passionnés de ce type

  3. Je connaissais Caroline Berg, actrice, j’ignorais qu’elle était également traductrice. Une femme aux multiples talents !
    Encore un entretien passionnant Yvan, merci !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      On en découvre tous les jours (moi y compris !)
      Merci à toi !

  4. Vincent Garcia – Montpellier

    Cher ami, je sais maintenant à qui je dois (aussi), le plaisir que j’éprouve avec les livres de Jussi Adler Olsen. Et je vais également m’intéresser de près à cette pete nouvelle dont elle nous parle, à savoir Asa Larsson. Très intéressante interview, Yvan.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui Vincent, c’est aussi grâce à Caroline Berg, sans aucun doute.
      Et je vais faire comme toi concernant Miss Larsson 😉

  5. Vincent Garcia – Montpellier

    Je voulais dire “petite nouvelle”… 🙂

  6. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    4 mois de travail ?? waw, quel boulot ! Je tire mon chapeau, parce que en plus, pas de congés, sauf si elle travaille plus un jour ou deux… bigre !

    Bravo aux traducteurs/trices, je les adore quand ils font bien leur job ! 😉 Merci Yvan et merci à madame Berg d’accomplir cette montagne (jeu de mot facile) de travail pour nous, lecteurs.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      J’aime bien ton jeu de mot 😉
      Merci pour elle !

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        L’avantage d’être polyglotte ! 😆

  7. Pas de mérite, ça me passionne . En outre je pense que de nombreux traducteurs aimeraient travailler autant que moi. J’ai eu de surcroit la chance de faire tandem avec quelques auteurs productifs et talentueux que les éditeurs ont décidé de suivre parce que les lecteurs sont au rendez-vous. C’est donc à vous, les lecteurs que je dois ce privilège. Et puis, à la campagne dans un paysage isolé et magnifique, entourée de chiens et d’enfants avec un feu de cheminée qui crépite dans ma cuisine, il y a pire comme conditions de travail! Je doute fort d’avoir droit à la prime de pénibilité! Merci pour tous ces gentils messages! Et joyeuses fête à tous. Caroline BERG

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Il y a pire métier et pires conditions en effet ;-). Ça ne nous empêche pas d’être admiratif devant le travail effectué.
      Le fait que ce soit une passion est un énorme avantage, oui.
      Merci en tout cas pour votre gentillesse et votre passion pour les mots et les auteurs, Caroline !

  8. Dis donc, sacré boulot! J’adorerais ça mais tu connais mon niveau d’anglais…mdr

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      ben passe au danois, comme Caroline Berg, alors 😉

  9. Pour avoir lu et apprécié JAO, ’Aasa Larsson et Steffen Jacobsen, je tire mon chapeau à cette exceptionnelle traductrice. Caroline Berg passe d’un univers à un autre avec une facilité déconcertante. Car ces trois auteurs en vraiment des styles totalement différents. Bravo.
    Et merci à toi Yvan de nous faire découvrir l’envers du décor 🙂
    Ah, oui, et toujours pas d’interview d’un ou d’une collègue bibliothécaire 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Elle m’a donné très envie de découvrir Larsson. Dire que je l’ai raté à Quais du Polar…
      Tu as un nom à me proposer pour une collègue à toi ?

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