Francis Rissin – Martin Mongin

Voilà un roman qui s’apparente davantage à un kaléidoscope. Mais des images animées qui font apparaître des portraits qui font sens. Même le terme « roman » n’est pas adapté, il faudrait lui trouver une autre appellation, unique, tant cette expérience de lecture est singulière.

Ode à l’imagination

Martin Mongin a l’inconscience et la fantaisie du primo-romancier qui ne se pose pas mille questions et surtout ne cherche pas à entrer dans un moule.

Ce livre inclassable est avant tout une ode à l’imagination. Débridée, mais jamais désordonnée, car toujours soutenue par une plume soignée. Luxuriance des mots, beauté de la langue.

Francis Rissin est un nom, mais avant tout un concept. Une présence d’abord évanescente, mais qui prend peu à peu corps (au pluriel).

C’est un puzzle en onze grosses pièces. Onze chapitres d’une cinquantaine de pages, pour un pavé de 600 pages au final. Sauf qu’il y a des puzzles dans le puzzle, poussant le concept à l’infini et au-delà, tant l’écrivain est imaginatif et fait preuve d’érudition.

Martin Mongin est un (encore) jeune professeur de philosophie dans le civil. Ce qu’il faut en retenir, c’est que son savoir est grand (ça se vérifie à chaque page), mais qu’il a surtout un don pour faire passer un message et pour le partager.

Une telle science laisse juste parfois pour seul petit regret de ne pas avoir tout le bagage nécessaire pour bien tout appréhender. Mais qu’importe ! La magie de ce récit est qu’il ambitieux et pourtant accessible. Une sorte de tour de force dont on ressort enrichi et qui laisse une belle part à l’interprétation.

Polymorphe

Onze histoires différentes liées dans un récit global qui débute par une abstraction pour ensuite devenir polymorphe. L’idée de départ est formidable : de simples citations dans des livres, des affiches qui surgissent de nulle part, créent une sorte de divagation de masse autour d’un patronyme.

Au fil des chapitres, on croit commencer à saisir ce Francis Rissin, mais il s’échappe, toujours. Un méli-mélo de réalité et de fiction(s), comme des couches archéologiques qui seraient tour à tour étudiées par un universitaire, un flic, des gens du cru, un artiste (et tant d’autres encore…).

L’auteur titille notre curiosité et nous append à lire entre les lignes, tout en se jouant de nous dans un véritable jeu de piste.

Voilà une œuvre qui tient autant de la fable, que du thriller, autant fantastique que chronique sociale de la France profonde (la vraie, loin du microcosme parisien), parfois aussi auto-portrait ou témoignage subjectif.

Un multi-univers d’une richesse inouïe, avec une certaine cohérence dans cet enchevêtrement.

Politique et ludique

Car tout est politique, dans tous les sens du terme. Cette histoire est un portrait de la France, si elle devait s’incarner dans une personne. Une peinture pas vraiment flatteuse, d’ailleurs. Francis Rissin, initiale FR, tout sauf un hasard.

Une fiction qui montre comment une idée peut prendre corps dans l’imaginaire collectif, comment un pays peut s’emballer pour le concept d’un messie qui réglera tous les problèmes. Quitte à aller dans les excès, laisser cet homme providentiel devenir un tyran, l’élever au rang de mythe et légende. C’est fascinant (et effrayant).

Clairement, se plonger dans ce roman demande de l’investissement. Mais son auteur fait le pari de l’intelligence du lecteur, sans jamais le prendre de haut.

Le résultat est hypnotique. On se dit que c’est un peu long et pourtant on ne veut pas en sortir. D’ailleurs, le refermer définitivement et revenir à la seule réalité est une douleur. Tous les passages ne vous parlerons sans doute pas de la même manière (un des onze chapitres m’est d’ailleurs passé au dessus de la tête).

Il faut dire que, derrière son écriture fouillée et mouvante, Martin Mongin est totalement habité par son sujet, mais toujours avec la volonté de penser au plaisir du lecteur et de rendre son récit ludique.

Ce pari audacieux, à l’ironie souvent mordante, est aussi un bel hommage à la littérature de genre (d’ailleurs, nombre d’auteurs de SF sont cités dans sa dernière partie).

Ouvrez votre esprit, élargissez vos champs d’intérêts, laissez s’égarer votre imagination au loin tout en restant ancré dans notre société. A ces conditions, la lecture de Francis Rissin risque fort de vous marquer pour longtemps.

Prions pour que Martin Mongin garde cette fraîcheur et cette imagination, dans le futur. Il restera alors un écrivain à part, de ceux qui font honneur à la littérature aventureuse.

Yvan Fauth

Date de sortie : 21 août 2019

Éditeur : Tusitala

Genre : Roman inclassable

4° de couverture

De mystérieuses affiches bleues apparaissent dans les villes de France, seulement ornées d’un nom en capitales blanches : FRANCIS RISSIN. Qui est-il ? Comment ces affiches sont-elles arrivées là ? La presse s’interroge, la police enquête, la population s’emballe. Et si Francis Rissin s’apprêtait à prendre le pouvoir, et à devenir le Président qui sauvera la France ?

Pour son premier roman, Martin Mongin signe un livre vertigineux. Un roman composé de onze récits enlevés, onze voix qui lorgnent tour à tour vers le roman policier, le fantastique, le journal intime ou encore le thriller politique, au fil d’une enquête paranoïaque sur l’insaisissable Francis Rissin. Avec une maîtrise rare, Martin Mongin tisse sa toile comme un piège qui se referme sur le lecteur, au cœur de cette zone floue où réalité et fiction s’entremêlent.

Autant marqué par l’art de Lovecraft, de Borges ou de Bolaño que par la pensée de La Boétie ou d’Alain Badiou, Francis Rissin est un premier roman inventif et inattendu, au propos profondément politique.



Catégories :Littérature

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27 réponses

  1. Aude Bouquine – « Lire c’est pouvoir se glisser sous différentes peaux et vivre plusieurs vies. » Ici, je lis, je rêve, je parle de mes émotions de lectures, avec des mots. Le plus objectivement possible. Honnêtement, avec respect. Poussez la porte. Soyez les bienvenus dans mon univers littéraire.

    J’ai bien fait de l’acheter dis donc !!! Je ne suis même pas sûre d’avoir tout compris à cette belle chronique 😉
    Je me fais greffer un cerveau et je l’attaque 😂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      moi non plus j’ai pas tout compris ahahah ;-). Plus sérieusement, il faut juste te prévoir le bon moment avec du temps devant toi, j’y ai passé une semaine au calme

  2. Je suis un peu comme Aude, je ne suis pas certaine d’avoir tout compris…😂😂
    Ça a l’air passionnant ceci dit.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      ce livre est inracontable, que voulez-vous 😉

    • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

      Ça me console ! Je me comprenais rien non plus…. 😆 Un livre à découvrir donc ! 😉

      • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

        ça instaure le mystère 😉

        • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

          Tu l’instaure très bien ! :p

      • Je ne suis pas certaine de vouloir découvrir que je ne comprends rien !!
        😂😂

        • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

          Au contraire, tout deviendrait limpide… Ou pas 😁

        • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

          Tu n’as pas cette impression de ne rien comprendre lorsque tu écoutes les hommes politiques causer ???

  3. Salut mon ami, chaque chronique de ce livre sera différente car ce livre est protéiforme, multiforme. L’ayant lu et adoré, je trouve que ton avis est d’une grande justesse. Pour celui qui ne l’a pas encore lu, elle peut paraître mystérieuse. Mais c’est le but. Lisez ce livre, vous en ressortirez changé et différent. Si je devais donner une palme du premier roman, il l’obtiendrait haut la main. C’est d’une imagination, d’une beauté lyrique, d’une intelligence rares. Un roman unique. Je me faisais d’ailleurs cette remarque : l’auteur y ayant mis tant de passion, on ne peut qu’espérer qu’il écrive un autre livre. GRAND ! Amitiés

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      tu as raison, il y aura mille manière de parler d’un tel livre et c’est logique ! Mystérieux mais qui intrigue 😉

  4. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Ben voilà, je savais que tu ne pouvais que l’adorer.
    Comme je suis heureuse que tu m’ais fait confiance sur ce coup là !
    La belle découverte de l’année.
    Et merci mon ami pour cette belle chronique.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est à moi de te dire merci 😉

      • Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

        Avec une immense plaisir, j’aime faire découvrir les lectures que j’aime aux gens que j’aime. Et là je suis servie et gâtée.
        Si, si merci mon ami d’avoir osé me suivre, c’était pas évident. Un premier roman, un éditeur pas connu, une nouvelle plume…. Il fallait se jeter à l’eau les yeux fermé !

        • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

          je peux même te dire que j’ai eu peur d’y aller ;-). Mais ça aurait été tellement dommage !

Rétroliens

  1. Semaine « Petits éditeurs » – Francis Rissin de Martin Mongin chez Tusitala – Centre de Lecture publique de Mont-de-l'Enclus
  2. Francis Rissin : Martin Mongin | The Cannibal Lecteur

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