Inexorable – Claire Favan

Il suffit de tourner les premières pages de ce livre pour se rendre compte qu’il est différent.

Différence

Différent par son environnement, la France, alors que les précédents romans de Claire Favan se déroulent tous aux États-Unis.

Différent par son sujet et son contexte. En deux pages, on sait qu’on ne vivra pas cette lecture de la même manière que la plupart des autres. La préface est, en effet, écrite par Gabriel Favan, le fils de l’auteure.

La différence… Voilà bien un des sujets centraux (mais pas le seul) de cette histoire très librement inspirée de ce qu’a pu vivre Gabriel, que le système ne voit pas comme un ange, alors qu’il souffre juste d’un handicap invisible qui l’empêche de rentrer dans le moule. Ce moule de la société qui ligote et étouffe au lieu de permettre de s’épanouir.

Mais ne croyez surtout pas que ce livre est un témoignage. C’est bien un roman noir, qui flirte avec le polar parfois, qui met en scène des personnages de papier. Le récit se nourrit de l’expérience et des émotions des Favan pour les mettre au service d’êtres fictionnels et d’une vraie intrigue.

Traumatisme

On entre très vite dans cette histoire, pris par son coté réaliste et crédible, touchés par les protagonistes, entraînés avec eux dans les rouages inexorables du système (et des autres…). Oui les autres, ceux qui jugent sans essayer de comprendre. Ceux qui profitent de la faiblesse d’autrui pour se défouler. Ceux qui ne comprennent pas que chaque être humain est dissemblable et que la cohabitation demande d’essayer de comprendre l’autre.

Car il est question de traumatisme aussi, beaucoup. Ou comment des événements tragiques peuvent faire qu’on ne contrôle plus rien et que la vie devienne un abîme. Dommages collatéraux en cascade et une mère qui défaille.

Ça fait longtemps que j’attendais ça. J’aime les livres de Claire Favan, ses enquêtes policières de l’autre côté de l’Atlantique, ses intrigues où la douleur psychologique est toujours bien présente. Mais j’espérais de longue date la voir s’approprier un environnement plus proche de notre réalité immédiate.

Je n’imaginais pas que cette incursion se ferait avec autant d’émotions et qu’elle y mettrait autant d’elle-même. Voilà bien ce qui rend les bons romans noirs particulièrement saisissants et leur lecture profondément poignante : ils touchent la corde sensible à travers la noirceur du monde (mais aussi, ou surtout, à travers sa part de lumière).

Envers du décor

L’écrivaine a bien joué sa partition, elle ne tombe pas dans un coté militant, ne cherche pas à parler d’elle. Non, elle utilise son expérience pour construire une intrigue prenante, tout en permettant au lecteur de s’interroger.

Elle utilise des mots simples pour parler de sujets complexes, ce qui rend la lecture d’autant plus immersive.

Ce roman est comme l’envers du décor des précédents romans de Favan. Comme si on se retrouvait du coté des personnages avec une intrigue en arrière plan, et non l’inverse. Une sorte de coup de projecteur sur les coulisses, loin de l’enquête habituelle.

Et pourtant il y a bien pour partie un polar ! Mais le « folklore » américain n’est plus là pour cacher les sentiments.

Fictionnel mais personnel

Dans la vie, on peut être poursuivi par son image, déformée, qui peut nous coller éternellement aux baskets.

Avec sa manière d’écrire, faite de beaucoup de dialogues, Claire Favan rend les choses très vivantes et empathiques. Toujours proche de la psychologie et de ses failles, sans chercher à en faire trop, et donc au plus près des émotions du lecteur.

La différence ne devrait pas conduire à une inégalité de traitement pour autant. Chaque rouage peut plonger une personne dans un engrenage infernal, vers les ténèbres.

Claire Favan franchit un cap avec cette histoire qui touchera inexorablement votre âme. Inexorable est un vrai roman noir doublé d’une réflexion sur le traumatisme et la différence, et nourrit de l’expérience personnelle de l’auteure qui y puise la force pour rendre le récit profondément empathique. Une nouvelle preuve que le divertissement noir est porteur de messages. Vive la différence.

Lien vers l’interview de Claire Favan au sujet de « Inexorable »

Sortie : 11 octobre 2018

Éditeur : Robert Laffont / La Bête Noire

Genre : Roman noir

4° de couverture

Vous ne rentrez pas dans le moule ? Ils sauront vous broyer.

Inexorables, les conséquences des mauvais choix d’un père.
Inexorable, le combat d’une mère pour protéger son fils.
Inexorable, le soupçon qui vous désigne comme l’éternel coupable.
Inexorable, la volonté de briser enfin l’engrenage…

Ils graissent les rouages de la société avec les larmes de nos enfants.



Catégories :Littérature

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27 réponses

  1. Nath - Mes Lectures du Dimanche – Livres, ongles & Rock 'n Roll

    Là je suis tentée !

  2. Je viens de l’ajouter à ma PAL aussi !!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Et tu fais bien !

  3. Lord Arsenik – Noumea - Nelle-Calédonie

    Je me tâte (en tout bien tout honneur), je n’ai pas encore lu Dompteur d’Anges et les 2 me branchent bien… Dur de choisir les deux semblent radicalement différents.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Les deux sont très différents, les deux méritent d’être lus (oui je sais, je ne t’aide pas)

    • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

      Je ne me tâte pas, ayant lu « dompteur d’anges » que j’avais apprécié, malgré la violence et la brutalité, je signe pour celui-ci ! Où est mon stylo ??? 😀

      PS : tu en causes tellement bien, aussi, que si je ne l’avais pas déjà coché, je le ferais de suite, vilain braqueur de compte en banque vide ! 😆

  4. Difference, émotions, traumatisme , tous ces mots sont si justement employés pour ce livre. L’empathie pour les personnages aussi, cette maman qui souffre le martyre pour son enfant et qui sacrifie tout. Bon oui il y a les personnages de papier c’est sur mais il se dégage une telle émotion de ce livre qu’on pourrait le conseiller pour une thérapie, du moins, pour la première partie, après on reste dans le thriller et Claire donne une belle leçon d’écriture.
    Très belle chronique

  5. lebouquinivre – Jeune femme de 26 ans, aimant la Vie (avec un grand "V"!) avec à la fois ferveur et abandon. Aux multiples facettes. Passionnée par les arts sous toutes leurs formes, je voue un culte à MUSE et à la musique, à Thilliez et aux bouquins, à Rimbaud et à sa prose, à Tom Hanks et au ciné... Une autre partie de moi idolâtre le FC Nantes et le football. Un bout de moi est implacable dans ses combats. Engagement et solidarité. Le cancer ne devrait pas exister, encore moins chez les enfants. D'ailleurs, je vous invite à soutenir "Imagine For Margo". Et Tom évidemment. Et enfin, comme le dit Sénèque: "Un bonheur que rien n'a entamé succombe à la moindre atteinte; mais quand on doit se battre contre les difficultés incessantes, on s'aguerrit dans l'épreuve, on résiste à n'importe quels maux, et même si l'on trébuche, on lutte encore à genoux." Comme dirait Bénabar, bien le bonjour Msieurs, Dames!

    Quelle belle chronique! J’ai envie de le lire! J’ai l’impression qu’il réunit exactement tout ce que j’aime. Mon petit doigt me dit que j’aurais l’occasion de l’acheter d’ici 8 jours….

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est bizarre, mon petit doigt me dit pareil 😉

      • lebouquinivre – Jeune femme de 26 ans, aimant la Vie (avec un grand "V"!) avec à la fois ferveur et abandon. Aux multiples facettes. Passionnée par les arts sous toutes leurs formes, je voue un culte à MUSE et à la musique, à Thilliez et aux bouquins, à Rimbaud et à sa prose, à Tom Hanks et au ciné... Une autre partie de moi idolâtre le FC Nantes et le football. Un bout de moi est implacable dans ses combats. Engagement et solidarité. Le cancer ne devrait pas exister, encore moins chez les enfants. D'ailleurs, je vous invite à soutenir "Imagine For Margo". Et Tom évidemment. Et enfin, comme le dit Sénèque: "Un bonheur que rien n'a entamé succombe à la moindre atteinte; mais quand on doit se battre contre les difficultés incessantes, on s'aguerrit dans l'épreuve, on résiste à n'importe quels maux, et même si l'on trébuche, on lutte encore à genoux." Comme dirait Bénabar, bien le bonjour Msieurs, Dames!

        Il doit y avoir une coalition de petits doigts 🤙🏻

        • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

          Ahahah !

  6. Judith - Les chasseuses de livres

    Je vais clairement me laisser tenter ! Merci pour ton article je ne savais même pas qu’il y avait un nouveau Favan! Je suis ravie 🙂

  7. Bon roman noir avec une thématique de fond intéressante, à classer tout près de « Je t’aime » de Barbara Abel sorti cette année ou encore « L’enfant aux cailloux » de Sophie Loubière.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui des romans noirs qui marquent parce que ancrés dans notre société

  8. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Pas encore eu le temps de le lire

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      tu es à la bourre comme moi 😉

  9. brindille33 – J'aime la nature, les livres, romans, polars, la photo, la musique, cinéphile, les documentaires, autodidacte. Et l'informatique depuis sa naissance, où j'ai tout appris toute seule.

    J’avais lu les deux premiers livres de l’auteure, voilà un bail, et cela m’avait laissé une forte impression, tellement forte que je n’avais plus suivi les nouvelles parutions. Et là, je termine Inexorable où nous sortons dans un tout autre registre en lisant, les remerciements à la fin de l’écriture.
    L’engrenage de la couverture est bien trouvée et rejoint totalement le titre.
    Un enfant subit un traumatisme ce qui va par la suite influencer toutes ses actions ultérieures. A ses côtés une maman qui va faire comme elle peu. En terminant la lecture, je me suis demandée si vraiment ils allaient pouvoir aller de l’avant. L’enfant devenu adulte et la maman avec ce grand sacrifice, qui pourrait comme les rouages d’une horloges continuer ainsi à vouloir inexorablement tourner en boucle dans les réactions, actions, etc… un engrenage comme une horloge qui se termine avec un grand si.
    Je n’oublie pas cet immense rejet de toutes les personnes qui condamnent sans savoir, qui jugent, n’essaient même pas à haut niveau de comprendre. J’ai comparé ce combat d’une maman à ceux de parents d’autistes. D’ailleurs Gabriel Favan y met un très beau prologue concernant les différences invisibles. Dans le livre, c’est l’agressivité et le rejet des autres enfants petits. Ils ne se font pas de cadeaux. Vite mis dans des cases et jugés. La suite est logique, inexorable. Cela sonne comme un glas.
    J’ai été très touchée par le sujet ayant vécu moi-même une différence non exprimée, fort heureusement ayant pu m’intégrer en taisant pendant des années cette immense colère.
    Voilà Yvan un léger avis tout frais où j’ai essayé de ne rien révéler.
    Merci pour ton avis qui m’a bien plu.
    Amitiés. Geneviève

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Merci pour ce long et très intéressant retour ! Inexorable restera un livre à part, parce que très personnel.

      • brindille33 – J'aime la nature, les livres, romans, polars, la photo, la musique, cinéphile, les documentaires, autodidacte. Et l'informatique depuis sa naissance, où j'ai tout appris toute seule.

        C’est un livre qui sort hors du commun. Il m’a laissé une forte impression. Je vais bien entendu relire d’autres livres de l’auteur. J’ai lu les deux premiers dès leur sortie. Je crois me répéter 😉
        Mais, quelle maitrise !

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